Dans une série de 7 articles, Le Lynx vous propose de creuser quelques sujets liés à la gouvernance. Des enquêtes réalisées avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).

A la date du 27 février 2020, au total 1 490 personnes étaient détenues à la Maison centrale de Conakry. Parmi elles, seules 683 ont été jugées et condamnées. Depuis, 807 prisonniers y croupissent dont 121 mineurs, 8 filles et 82 femmes. Nul ne sait quand se tiendra leur procès. La plupart des gamins  sont détenus pour vol ou tentative de vol. Leur mise en liberté pose problème. Généralement, ils n’ont pas de parents à Conakry, selon l’ONG, Même Droit pour Tous (MDT). Les autres détenus sont sous les verrous faute de soutien. Ils n’ont pas de frais d’avocats et rien n’est fait pour leur jugement.

Qu’est-ce qui explique la détention très prolongée sans procès des citoyens? Combien la pléthore en milieu carcéral coûte-t-elle à l’Etat? Que dit la loi sur la détention préventive? Maître Pépé Antoine Lama, avocat et membre de l’ONG MDT, explique que la détention provisoire est une exception aux principes sacrés de la présomption d’innocence. Elle se justifie par des contraintes procédurales auxquelles le juge peut recourir dans le cadre d’une enquête judiciaire. Cela, conformément aux dispositions de l’article 235 du Code de procédure pénale. Selon Me Pépé Lama, le juge d’instruction a la possibilité de recourir à la détention préventive pour plusieurs raisons. «Il y a, entre autres, la nécessité de conserver  les preuves ou indices matériels nécessaires à la manifestation de la vérité. Notamment empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que leurs familles; empêcher une concertation frauduleuse entre la personne inculpée et ses coauteurs ou complices, protéger la personne inculpée, garantir le maintien de la personne inculpée à la disposition de la justice, mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement. Mais le recours à cette mesure est encadré tant dans la forme que dans le délai. Lorsque le juge d’instruction envisage de recourir à la mesure privative de liberté, la loi lui fait obligation de rendre une décision motivée qu’on appelle ordonnance de placement en détention. Lorsque le juge décide de son renouvellement, il doit aussi obéir à des formalismes. Le mandat se fait dans le strict respect d’une procédure adéquate. La loi lui fait injonction de le faire 5 jours avant le terme de 4 mois. Et avant de renouveler, la loi le fait obligation de provoquer un débat contradictoire entre l’inculpé ou son conseil et le ministère public. En matière criminelle, la loi dit que la détention préventive ne saurait excéder 6 mois, au terme desquels s’il estime qu’il y a lieu de renouveler, la loi lui donne la possibilité de renouveler jusqu’à 12 mois. Il y a que pour certains délits très graves, on peut admettre une prolongation de 18 mois. Ex: le crime de guerre, le crime de génocide, le crime contre l’humanité. Une personne privée de sa liberté par le juge a la possibilité d’attaquer cette décision devant la Chambre de contrôle de l’inspection».

Les raisons de la détention provisoire prolongée

Selon Maitre Pépé Antoine Lama, plusieurs raisons peuvent expliquer la détention provisoire prolongée. La première, c’est le dysfonctionnement du service public de la justice. L’autre, très courante, c’est la perte des dossiers. «Vous avez des enquêtes qui durent pour rien, parce que le juge n’est pas bien équipé pour mener à bien son investigation et que le maintien en détention de l’inculpé s’avère nécessaire ou alors le juge, par omission, oublie carrément qu’il a placé une personne en détention. Il y a aujourd’hui des gens dont les dossiers avaient disparu qui ont eu à recouvrer leur liberté par suite de mécanisme de référer. Mais ils avaient fait 5, 10 ans de détention préventive. Il y a un cas, celui d’une personne qui etait en détention pour coups et blessures volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner depuis quasiment 10 ans, mais qui a été jugée et condamnée en 2017, soit 7 ans après son placement en détention. Une année après, son dossier n’est pas transmis en appel alors que l’accusée (une femme) avait relevé appel. Son dossier d’appel n’était pas transmis, pire, il avait disparu. Nous avons porté l’affaire à la Cour de justice de la CEDEAO. C’est quand l’Etat guinéen a reçu communication de la plainte que le département a mis ses énergies en marche, pour interpeller le magistrat incriminé qui a tout de suite pris des dispositions pour retrouver le dossier et le transmettre à la Cour d’Appel».

Boniface Loua, juriste assistant chargé de protection à l’ONG MDT, sillonne les prisons pour assister les personnes vulnérables ou des cas critiques. Son constat est alarmant. «Au cours d’une visite, nous avons recensé des cas pour pouvoir apporter notre assistance. A la date du 4 février 2020, nous avons recensé des cas de détentions qui sont à la fois des cas criminels et critiques. L’un des dossiers date de 2009 et les accusés étaient au nombre de six, mais deux seulement étaient encore en détention, les autres avaient bénéficié d’un non-lieu. Il y a encore d’autres dossiers qui remontent à 2012, 2013, 2015 et 2016».

Tout le monde s’accorde à dire que le milieu carcéral guinéen est déplorable. Notamment en matière de nourriture, de soins et autres traitements. «Le plus grave est que les agents  pénitentiaires ne sont même pas formés aux conditions  carcérales. Il y a lieu donc de les former, de changer l’administration pénitentiaire, afin d’améliorer les conditions de détention des gens. Par exemple, à la Maison centrale de Coronthie, vous n’avez qu’un seul médecin qui fait tous les efforts. Une Maison centrale construite dans les années 30 pour une capacité carcérale de 300 détenus, et dans laquelle s’entassent aujourd’hui près de 1 600 détenus», a indiqué Aliou Barry, président de l’ONDH (Observatoire national de la démocratie et des droits humains).

Combien coûte l’entretien des prisonniers ?

La détention étant une exception normale pour réguler la vie en société, elle devrait coûter à l’Etat, surtout si elle n’est pas respectueuse des normes internationales. Parce que l’Etat est tenu de nourrir les prisonniers, les soigner et d’entretenir ceux qui sont en charge de les surveiller. Marcel Faya Tagbino, volontaire de l’Eglise, a plus de 25 ans d’expériences. Selon lui, dans l’entretien des personnes en milieu carcéral, le bon repas peut coûter jusqu’à 20 millions de francs guinéens par jour. «Nous avons fait un calcul simple. Dans nos familles, nous avons estimé que 4 personnes partagent un kilogramme de riz. Au niveau des détenus, nous avons fait un kilo pour 3 détenus que nous avons multiplié par plus de 1600 détenus. C’est vrai qu’à la Maison centrale, il y a une amélioration, mais la nourriture n’est toujours pas de qualité. Ils ne font que de la bouillie le matin. Il n y a pas de variation, c’est toujours la soupe et le cube Maggi. C’est un groupe de détenus au nombre de 20 personnes et quelques personnes de l’extérieur qui font la cuisine». C’est pourquoi, il demande à l’Etat de prendre les  dispositions pour donner un contrat à une société qui prend la restauration des prisonniers en charge de manière convenable. «Donc, nous demandons à l’Etat de faire des efforts pour nourrir les prisonniers parce que, quand on n’a pas la possibilité de se mouvoir, on a besoin de manger beaucoup. A la Maison centrale, le détenu se préoccupe de deux choses fondamentales: comment avoir à manger et comment sortir de la prison».

L’apport des ONGs et autres volontaires est plus important que ce que l’Etat accorde aux prisonniers. Notamment dans le nettoyage et la nourriture. Entre 2002 et 2014, une volontaire qui a préféré garder l’anonymat et qui a servi à la prison civile de N’Zérékoré témoigne. «C’est vrai que l’Etat donne de la nourriture aux prisonniers, mais celle-ci n’est pas de qualité et n’est pas suffisante.

La philosophie carcérale en Guinée consiste à dire que si les prisonniers sont bien nourris, ils ont la force, ils pourraient s’évader». La volontaire indique que pour passer les fêtes, avec plus de 300 prisonniers, son ONG dépensait entre 2 millions et 5 millions de francs guinéens pour

seulement la nourriture. «Nous collectionnons également des habits et autres objets pour les prisonniers». Un coût difficile à évaluer.

Karel Mizo Kourouma, directeur exécutif de l’ONG Fraternité des Prisons de Guinée, assiste les prisonniers de Guinée depuis 2003. «Nous avons fait beaucoup pour les prisonniers de Guinée, notamment le payement de leur caution en fin de peine. Nous distribuons les objets hygiéniques, les habits et de la nourriture. Nous servons de trait d’union entre les prisonniers et leurs familles. Nous avons même une école des enfants des prisonniers». Selon lui, le milieu carcéral guinéen est très complexe. «C’est maintenant avec l’action des ONGs qu’il y a amélioration, mais beaucoup reste à faire. Il y a des années, les prisonniers étaient dans de très mauvaises conditions. La population carcérale est pléthorique. La concentration est source de maladies pour les prisonniers. Ce qui fait que les prisonniers sont souvent malades et nous constatons un abandon relatif de la part de l’Etat». Récemment, l’ONG a collecté des nattes, du savon, des habits, et d’autres objets pour un coût de 89 millions de francs guinéens pour donner à trois prisons: Mamou, Kindia et Conakry.

La détention préventive en Guinée coûte des millions de francs guinéens à des ONGs de défense des droits humains, faute de procès tenus dans les délais légaux. Et à l’allure où vont les choses, l’amélioration de la situation n’est pas pour demain avec le laxisme de l’Etat aidant, il faut prier de ne point se retrouver en prison en Guinée.

Toutes  nos  tentatives pour rencontrer le ministre de la Justice ont été vaines. Nous avons même écrit une demande d’informations au département le 7 septembre dernier. Le courrier est reçu le lendemain au Secrétariat central. Depuis, c’est l’omerta totale. Zéro réponse ni au courrier ni aux multiples appels téléphoniques adressées au Chargé de la complication euh… communication.

Pourtant, le témoignage des ONGs atteste que l’entretien des prisonniers nécessite une dépense importante des ONGs et surtout de l’Etat qui a obligation de rendre compte aux citoyens. Puisque l’objectif est de sanctionner, éduquer puis redresser. Mais en  Guinée, les prisons sont plutôt des mouroirs. De nombreuses personnes qui en sortent sont généralement atteintes de maladies chroniques qui les transforment visiblement. Bon Dieu !

Ibn Adama