Pour n’avoir pas, dit-on, respecté les mesures de son contrôle judiciaire, dans le cadre de l’instruction, en cours, d’une affaire de corruption le visant, Mohamed Abdel Aziz est sous les verrous. Comment expliquer cette impression de gêne que semble susciter l’affaire ?
Elle porte, à l’évidence, une charge de gravité que nul ne peut ignorer. Cette incarcération de l’ancien président mauritanien est d’autant moins banale qu’il n’a pas encore été condamné. Le mettre aussi facilement en détention laisse donc perplexe, dans notre Afrique, où l’opinion n’oublie pas qu’il demeure, un des rares à avoir quitté le pouvoir sans rechigner, au terme de son second mandat. Nous n’osons même pas imaginer tous les prétextes, les faux alibis que certains dirigeants d’ordinaire peu enclins à quitter la table, tireront de cette actualité mauritanienne, pour tenter de s’incruster à tout jamais, en narguant superbement, s’il le faut, leurs peuples.
S’il était absolument indispensable d’incarcérer cet homme, alors, il faudrait l’expliquer, avec pédagogie aux Mauritaniens, mais aussi aux peuples africains, déjà piégés par des régimes qui seront sans doute encore plus déterminés dans leur rapport confiscatoire au pouvoir. Le départ du pouvoir de l’ex-président a été, pour tous, une agréable surprise, et nombre d’Africains ont pu s’imaginer capables d’indulgence, pour absoudre de tous ses pillages, leur président à eux, si seulement celui-ci consentait à disparaître, et pour de bon, de la scène.
Que la justice doive passer est une évidence. Mais, en attendant, un procès, un État comme la Mauritanie peut-il ne pas avoir d’autres moyens que l’incarcération, pour restreindre la liberté de mouvements de son ancien président ? Il ne faut pas que certains en viennent à vivre cet emprisonnement d’un ex-président – qui ne venait pas d’être renversé – comme une humiliation pour tout le peuple qu’il représentait encore il y a à peine deux ans.
Évidemment, dans bien des démocraties pointilleuses, aucune incartade n’est pardonnée aux dirigeants. Ehud Olmert, ancien Premier ministre, est allé en prison, en Israël, et Benyamin Netanyahou n’est pas à l’abri d’un sort similaire. Jacob Zuma est poursuivi, en Afrique du Sud, mais l’envoyer en prison requerrait beaucoup de tact et de doigté. Car, il est rare que le besoin d’exemplarité débouche aussi allègrement sur ce qu’il faut bien appeler une détention préventive.
Car alors, l’exemplarité devient punitive, et peut-être convoquée à volonté et, à l’occasion, opportunément dans ce que d’aucuns suspectent, à tort ou à raison, d’être un règlement de comptes entre vieux amis, désormais brouillés. Il faut espérer que la rigueur de la loi, en Mauritanie, s’abattra avec équité, et ne fluctuera pas au gré du profil des fautifs, un peu comme dans ces opérations anti-corruption qui envoient en prison tel qui a détourné cinq millions, et laissent pavoiser au palais présidentiel et dans les ministères tel autre, qui soustrait indûment milliards après milliards au trésor public.
Rien ne permet, pour le moment, de mettre en doute la véracité des charges retenues contre l’ex-président. Comme rien, pour le moment, ne permet de dénier à l’ex-président toute présomption d’innocence. La solidité des démocraties en construction tient à la capacité des tenants du pouvoir à réserver à leurs pires adversaires un traitement juste, une justice impartiale. Pour mieux se figurer ce qui est en jeu, ici, il suffirait à ceux qui pensent humilier aujourd’hui l’ex-président de s’imaginer, demain, à sa place, en visualisant à la leur, quelqu’un d’autre, féroce et vindicatif.
Avec Jean-Baptiste Placca, RFI