Deux ONG de défense des droits humains attirent l’attention des constructeurs d’automobiles sur la violation des droits des communautés riveraines des mines de bauxite, des raffineries d’alumine et des fonderies d’aluminium par leurs fournisseurs. Dans ce rapport mondial de 76 pages, la Guinée y trône en bonne place.

Comment rouler en voiture sans écraser les droits des autres ? Difficile équation à l’attention des industriels de l’automobile, pour peu qu’ils prêtent une oreille attentive au coup de gueule de Human Rights Watch et d’Inclusive Development International. Ces deux ONG de défense des droits humains ont pondu le 22 juillet un rapport de 76 pages intitulé : «L’aluminium, angle mort du secteur automobile: Pourquoi les constructeurs automobiles devraient se soucier des conséquences de la production d’aluminium sur les droits humains». Histoire d’attirer l’attention des constructeurs d’automobiles sur les dégâts que laissent derrière ceux qui leur fournissent l’aluminium, l’indispensable matière première à la fabrication des teufs-teufs. Souvent, ces industriels ne voient que le métal blanc et ignorent tout des terres agricoles qu’on détruit, des sources d’eau qu’on pollue, des sans-abris mal ou pas recasés, des boues rouges que rejettent dans la nature les raffineries ou du charbon utilisé pour faire tourner les fonderies d’aluminium et ses «2 % des gaz à effet de serre» polluant l’environnement…

Or, les milliards de dollars ricains de chiffres d’affaires qu’ils réalisent par la vente de leurs grosses cylindrées leur procurent un pouvoir économique à même de contraindre les sociétés minières et les autres acteurs de la chaîne de transformation/approvisionnement à des meilleures pratiques, respectueuses des droits des communautés et de l’environnement. L’alerte est d’autant cruciale que «la transition vers des véhicules électriques laisse présager que les constructeurs d’automobiles vont doubler leur consommation d’aluminium d’ici à 2050», souligne le doc.

Du boom minier au boum environnemental

Le secteur de l’automobile devrait ainsi doubler sa consommation estimée à un cinquième du total de l’aluminium produit dans le monde. En Guinée, la production de la matière première, la bauxite, a explosé depuis l’avènement de l’Alpha-gouvernance. «Les plus grands gisements mondiaux de bauxite se trouvent en Guinée et leur exploitation connaît une expansion rapide: ils représentaient 4 % de la production mondiale en 2014, contre 22 % en 2020 ! La Guinée est désormais le plus gros exportateur de bauxite vers les raffineries chinoises, d’où sort la majeure partie de l’aluminium utilisé dans le monde». Canada, France, Allemagne, Irlande, Russie, Espagne et Émirats Arabes-Unis sont les autres destinations des 82 millions de tonnes de bauxite produite en 2020 en Guinée. Alors que moins d’un million de tonnes sont transformées sur place, la grande partie du minerai guinéen alimente des raffineries – fonderies d’Amérique du Nord, d’Europe (principaux clients de la CBG) et la Chine, pour la SMB. Au final, l’aluminium qui en résulte alimente les constructeurs automobiles Audi/Volkswagen, BMW, Daimler, Ford, General Motors, Groupe PSA (désormais Stellantis), Hyundai, Tesla, Volvo…

Un rapport de la Banque mondiale d’août 2020, cité par les deux ONG, «estime à 15 % la part que représente l’extraction minière dans le produit intérieur brut et entre 20 et 25 % ce qu’elle représente dans les recettes du gouvernement. Mais en dépit de cette richesse minérale, la Guinée reste l’un des pays les plus pauvres du monde : elle figure au 174e rang des 189 états classés selon leur indice de développement humain en 2019».

Approvisionnement responsable

Entre 73 (zone urbaine) et 86 % (rurale) des populations de la région de Boké, qui concentre la plupart des carrières bauxitiques, seraient pauvres. 80 % d’entre elles dépendant de l’activité agricole compromise par l’exploitation expansive de la bauxite. «Souvent, les populations rurales ne reçoivent ni terre de substitution ni indemnisation adéquate pour leurs terres, sans parler d’un quelconque soutien pour retrouver un moyen de subsistance», déplore le rapport.

«Alors que le secteur de la bauxite joue un rôle croissant dans les chaînes logistiques du monde entier, les constructeurs automobiles, par les contrats qu’ils passent avec leurs fournisseurs et les compagnies minières auprès desquels ils s’approvisionnent, devraient assurer que les populations locales guinéennes bénéficient de la production d’aluminium plutôt qu’elles en pâtissent », suggèrent les auteurs du rapport. Face à la traçabilité complexe du circuit d’approvisionnement en aluminium, certains constructeurs automobiles ont rejoint l’Aluminium Stewardship Initiative (ASI), un programme de certification sectoriel visant à «reconnaître et encourager de manière collaborative la production, l’approvisionnement et la gestion responsables de l’aluminium.»

HRW et IDI recommandent aux constructeurs automobiles de : s’assurer que des normes contraignantes en matière d’environnement et de droits humains soient intégrées dans leurs conventions d’achat avec leurs fournisseurs directs ; cartographier leurs chaînes d’approvisionnement en aluminium ; évaluer régulièrement les risques d’atteintes aux droits humains, y compris dans le cadre de l’exploitation de la bauxite, du raffinage de l’alumine et des fonderies d’aluminium… (Excusez du peu !)

Diawo Labboyah