L’avocat le plus médiatisé de Guinée, Salifou Béavogui, s’interdit de micro. Plus un rappel à l’ordre qu’une décision personnelle.
Dire que l’avocat Salifou Béavogui fait la Une des médias guinéens de ce mercredi 28 juillet n’a rien d’extraordinaire, sauf si c’est pour préciser qu’il s’est imposé un silence médiatique ! C’est sûrement l’avocat guinéen le plus médiatisé de cette dernière décennie, qui s’est révélé au public notamment lors du procès contre les accusés de l’attaque du 19 juillet 2011 contre le domicile du Prési Alpha Grimpeur.
Depuis, il défend leaders et militants politiques, journalistes, artistes, défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes….Tout ce qui lui tombe sous la main : des affaires les plus célèbres aux plus anodines. Un travail qui s’accompagne inéluctablement d’un battage médiatique que « Me Béa » ne semble pas détester. Au contraire.
Publicité déguisée, conflit d’intérêts
La double disponibilité de l’avocat pour les justiciables, certains démunis ou vulnérables vis-à-vis de leur adversaire (souvent le pouvoir ou quelqu’un d’autre en position de force), et les journalistes en quête permanente d’informations, lui a fait passer pour un humaniste. Certains sont allés jusqu’à l’appeler « l’avocat des faibles ». Reste à savoir si derrière ce capital sympathie ne se cache pas un intérêt pécuniaire. « Pour le commun des mortels, l’avocat qui intervient tous les jours pour tout le temps est le meilleur », analyse un avocat qui a requis l’anonymat. « Au sein de notre collectif, il y a eu un certain agacement par rapport à ses multiples interventions et surtout le fait d’être avocat de tout le monde. Cela peut entraîner un conflit d’intérêts ou créer un risque de conflit d’intérêts », renchérit la même source.
Une inquiétude qui trouve sa base légale à l’article 61 de la loi qui régit la profession d’avocat en République de Guinée. « Ce texte prévoit que toute intervention radiodiffusée ou télévisée de l’avocat sur des questions essentiellement juridiques doit être autorisée par le Conseil de l’Ordre ou par le Bâtonnier, devant lequel l’avocat sollicité doit préalablement exposer les grandes lignes de son intervention », explique l’avocat. Une disposition qui vise « à empêcher l’avocat de se livrer à une publicité déguisée », sans toutefois « faire obstacle au droit à l’information du public pour les événements traités à chaud ».
La goutte d’eau
Selon nos informations, les sorties médiatiques intempestives de Me Salifou Béavogui agaçaient le Barreau de Guinée depuis sous la présidence du Bâtonnier Mohamed Traoré. Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase remonte au 17 juillet, jour de libération des responsables de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Ousmane Gawa Diallo, Ibro l’ancien Chérif de la Banque centrale, Cellou Ta-Baldé et de Ablo Bah, l’ancien maire amer de Kindia. « Le Conseiller de l’ordre n’a pas apprécié qu’il (Me Salifou Béavogui) se fasse photographier avec des détenus illégalement libérés alors qu’il avait condamné l’illégalité de leur arrestation. Il ne faut pas donner l’impression que les avocats ne dénoncent que les illégalités qui ne les arrangent pas et qu’ils cautionnent toutes les illégalités qui les arrangent. C’est ce que le Bâtonnier lui a rappelé entre autres », souffle un proche du Barreau de Guinée.
« N’intervenir que quand cela est nécessaire »
Une version confirmée par l’actuel Bâtonnier, Me Djibril Kouyaté, interrogé par notre confrère du site Guinée matin. « Je l’ai (l’avocat Salifou Béavogui, ndlr) appelé pour lui faire une admonestation fraternelle… Je lui ai reproché de s’être photographié avec des détenus qui ont été libérés dans des conditions que tout le monde connaît et je lui ai dit qu’il n’a qu’à essayer de limiter un peu ses interventions dans la presse. Il m’a promis de n’intervenir que quand cela est nécessaire ». Et Me Kouyaté de mettre les…poings sur les ires : « Je suis donc surpris d’apprendre que j’ai interdit à un avocat en charge de la défense des détenus politiques de parler dans les médias. C’est archifaux ! En tant que Bâtonnier, si je devais prendre ce genre de décision, je l’aurais fait par écrit. Mais, tel n’est pas le cas. »
Loin de le museler donc, le Conseil de l’ordre des avocats de Guinée invite Me Salifou Béavogui à « ciseler son style » (d’intervention médiatique).
Diawo Labboyah