Le monde fait face à la troisième vague du Coronavirus, avec l’apparition des variants. En Guinée, le nombre de cas et de morts explose. Pour le représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Georges Alfred Ki-Zerbo, le salut se trouve dans le respect rigoureux des gestes barrières et l’accélération du processus de vaccination. Entretien exclusif.
Nous faisons face à une explosion de cas de Covid-19. Quel est l’apport de l’OMS à l’effort de guerre contre la pandémie en Guinée ?
Nous agissons sous le mandat du règlement sanitaire international et la troisième vague qui sévit actuellement a appelé à une grande vigilance au niveau régional, continental, mais aussi global. A tous les niveaux de la riposte, nous avons un rôle à jouer : suivre la situation épidémiologique en particulier la tendance, le nombre de cas et de nouveaux cas, le taux de positivité des tests réalisés chaque jour, celui de décès et aussi l’extension géographique au niveau du pays, la tranche d’âge…
Aussi nous insistions beaucoup sur le renforcement des mesures de santé publique. Il y a eu un relâchement des gestes barrières, comme dans beaucoup de pays : le lavage des mains, la distanciation physique, la gestion des rassemblements et de la mobilité… Les mesures sont appelées à être renforcées. Je crois qu’il y a des mesures qui ont été prises il y a deux jours par le gouvernement, comme le couvre-feu, la gestion des rassemblements, le renforcement des mesures d’hygiène dans tous les lieux publics, dans les familles, les communautés, mais aussi et surtout l’accélération de la vaccination.
Il y a un pipeline important de vaccins attendus en Guinée. La Guinée a homologué près de six vaccins : AstraZeneca, Pfizer, Johnson and Johnson, Sinovac, Sinopharm et Spoutnik V. Des lots sont attendus dans les semaines et les mois à venir afin qu’on atteigne les 10% recommandés au niveau global pour le dernier trimestre de l’année. Et peut-être augmenter rapidement d’ici le début de l’année 2022. Il y a des stocks en tout cas anticipés dans le pipeline de près de huit millions de doses de vaccins annoncés. Ces données nous les tenons du Comité de pilotage de la campagne de vaccination.
COVAX aide aussi beaucoup à travers la facilité globale, mais aussi des donations des certains pays comme les Etats-Unis et la Suède. Il est intéressant de dire que le taux d’absorption des vaccins qui ont été reçus jusque-ici a été relativement bon. Plus des trois-quarts des doses ont été absorbés, le reliquat est en voie de l’être. Il n’y a pas eu de gaspillage dans les opérations, à part les périmés. Des doses sont arrivées avec une date de péremption très proche, au début de la campagne. Il a fallu les retirer.
Le volet communication attire encore beaucoup plus d’attention pour informer les gens sur le bénéfice-risque de la vaccination. Cette troisième vague doit nous inciter malheureusement à utiliser ces mauvaises nouvelles pour montrer aux gens qu’il faut se faire vacciner. Cela ne veut pas dire qu’on ne pourra pas ne pas être infecté. C’est une option subtile qui est difficile à expliquer. Il faut savoir que quand on parle de 95 % d’efficacité d’un vaccin, cela veut dire qu’il y a encore 5 %. Il y a qu’aussi tout le monde ne réagit pas de la même façon à la vaccination. Certaines personnes, en particulier les plus âgées, peuvent avoir un système immunitaire qui met plus de temps à développer des anti- corps, sans compter qu’il y a une fenêtre entre le moment de la vaccination et celui où on développe des anticorps. Cela peut prendre deux semaines. Ce sont des notions qu’il faut expliquer aux gens pour qu’ils comprennent que peut-être il y a des cas de personnes vaccinées qui sont malades, mais cela peut scientifiquement se comprendre. Nous demandons aux gens de continuer à se faire vacciner parce que même s’ils s’exposent au Covid, ils pourraient éviter des infections sévères, comme en voit dans les services de réanimation remplis actuellement.
Il y a des défis à relever, des bonnes nouvelles en termes d’acquisition de vaccins. Il faut remercier beaucoup les donateurs : la Banque mondiale, la Banque islamique de développement, l’initiative COVAX, Gavi… Toutes les agences du système des Nations-Unies, les bilatéraux, les initiatives privées dans le secteur minier et d’autres institutions privées ont fait des efforts. Le gouvernement aussi met de l’argent pour acquérir des vaccins et des moyens de protection, entre autres.
Début janvier, les autorités s’étaient fixées comme ambition d’avoir 20 % de taux de vaccination. Elles en sont à 4 %. Que pensez-vous de leur nouvelle ambition d’atteindre six millions de personnes vaccinées, soit 40 % ?
C’est très ambitieux, mais tout dépendra d’un certain nombre de facteurs. Il faut une très bonne coordination. Même si on a des stocks suffisants, il faut que les opérations soient fluides, surtout sur le terrain. L’organisation des centres de vaccination, la création de la demande au sein des communautés en informant les populations, en les rassurant. On apprend au fur et à mesure. La Guinée n’est pas trop en retard si on prend la moyenne de l’Afrique. Le taux de couverture vaccinale générale sur le continent a souffert de problèmes d’approvisionnements : les stocks ont été bloqués, en particulier avec la crise en Inde. Il y a eu entre juin et juillet un ralentissement dans les approvisionnements. Il y avait aussi cette question d’équité, une concentration des vaccins dans les pays les plus nantis. Le plaidoyer pour qu’en l’Afrique, des pays comme la Guinée reçoivent leur quote-part pour pouvoir monter leur niveau de prévention, est en train de gagner du terrain.
Ensuite, il y a la question de la logistique…Pour Pfiser, il faut des congélateurs avec une température pouvant atteindre -80 degrés, -20 degrés pour le déploiement sur le terrain. Cela demande une chaîne de froid, des investissements en cours avec le soutien de COVAX et de Gavi, de l’OMS et de l’Unicef en particulier. Autant des facteurs qui vont peut-être permettre à la Guinée d’accélérer son programme. Je crois que 40 % c’est ambitieux, mais souvent comme on dit : il faut viser la lune pour atteindre les étoiles.
Les autorités guinéennes annoncent la présence de variants Covid en Guinée. Qu’en dit l’OMS ?
Les variants sont largement diffusés dans le monde actuellement. Il faut savoir que c’est une souche, c’est-à-dire que le virus a des mutations, il essaie de s’adapter. Dans la population des virus, les variants prennent le dessus sur les anciennes formes. Vous verrez que dans une population donnée, le virus Delta par exemple qui prédomine actuellement dans beaucoup de pays, une fois qu’il est introduit prend le dessus sur les anciennes formes du virus parce qu’il est mieux adapté, se transmet plus facilement et touche des populations plus jeunes et avec des symptômes qui nécessitent l’hospitalisation. C’est une situation préoccupante ! L’OMS fait le point au jour le jour de la situation des variants. Elle aide les pays aussi à les détecter en assistant les laboratoires pour pouvoir faire le séquençage, c’est-à-dire avoir le matériel génétique du virus et détecter ses mutations.
Le plus important, les mesures barrières sont toujours efficaces : lavage des mains, port du masque, distanciation physique, gestion des rassemblements et de la mobilité…Il faut les renforcer. Deuxième : plus on aura de personnes vaccinées, plus le variant sera contrôlé. Actuellement, l’épidémie qu’on a dans le monde, c’est celle des personnes non vaccinées. 95 % des malades hospitalisés en Europe ne se sont pas vaccinés. Ce sont ceux-là la nouvelle cible du virus. Plus rapidement on va couvrir une proportion importante de la population, plus on sera protégés. Voilà les deux piliers que l’OMS aide à promouvoir. Enfin, au niveau des points d’entrée, nous faisons des recommandations aux pays, tout en maintenant la circulation des personnes et des biens.
Interview réalisée par
Diawo Labboyah