Peu de Guinéens, notamment parmi les jeunes, se souviennent que le 25 août est une date repère de l’histoire de notre pays. Ce jour, en campagne pour vendre son projet de constitution et de communauté franco africaine, dans les colonies d’outre-mer, le Général de Gaulle, président du Conseil (France) arrive à Conakry, dans l’après-midi. Le ciel est nuageux. L’aéroport grouille de monde. Le président du conseil de gouvernement, Sékou Touré et le Président de l’Assemblée territoriale, Saïfoulaye Diallo, sont là, côte à côte. Le gouverneur du territoire, Jean Mauberna aussi. Autour d’eux, les ministres du Conseil de gouvernement et le gratin de l’administration coloniale dévissent par petits groupes. L’avion du général pointe à l’horizon, perce les nuages, survole les cocotiers. Responsables africains et métropolitains avancent et se rangent impeccablement sur le tarmac où l’aéronef qui vient d’atterrir s’immobilise. Sanglée dans une admirable tenue militaire, la haute stature du Charles de Gaulle apparaît au sommet de l’échelle de coupée qu’elle descend, les pas fermes. Après les salamalecs, le cortège de de Gaulle s’ébranle vers la presqu’île de Kaloum à l’extrémité de laquelle est bâti le palais du Gouverneur de la colonie. Tout le long du parcours, des deux côtés de la voie, une foule en délire, chante à gorges déployées les chansons de geste du PDG-RDA pour encenser et enivrer Sékou Touré. L’atmosphère est festive, féérique. De Gaulle est la délégation qui l’accompagne sont impressionnés, séduits, subjugués.

Le cortège atteint le palais. Tout le monde se réjouit de la qualité de l’accueil. Durant le bref arrêt, de Gaulle et Sékou Touré ont un court tête à tête. Qui ne permet pourtant pas de résoudre une énigme qui perturbe  Français et Guinéens : le Général a-t-il lu ou non le discours du leader du PDG-RDA ? La suite montre qu’il ne l’a pas lue.

Du palais à l’Assemblée territoriale qui n’est qu’à quelques encablures, tout ce beau monde choisit de marcher. Aux abords du bâtiment, dans la rue adjacente, se presse une foule compacte tout acquise au PDG-RDA et à ses leaders. La délégation est accueillie par des hourras, dans une ferveur populaire indescriptible. Lorsqu’elle entre dans la salle, les applaudissements crépitent, continuent longtemps avant de s’interrompre. Saifoulaye Diallo prononce l’allocution de bienvenue. Il est serein, pondéré, haltier. Après lui, le Secrétaire général du PDG-RDA, député-maire de Conakry, s’empare du crachoir. Comme à son habitude, il est calme, la voix basse, au début, puis il progresse, il manque de superbe et devient nerveux. Il vocifère plus qu’il ne parle. Les mots prononcés avec de plus en plus d’acrimome se détachent des lèvres du tribun, écorchent ses hôtes, s’enflamment par dessus ses camarades conseillers territoriaux assis en face, s’écrasent les murs de la salle, s’enfuient par les ouvertures et galvanisent la masse, dans les rues adjacentes. Comme un couperet, les mots scélérats tombent : «Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l’opulence dans l’esclavage».

En réponse, les applaudissements crépitent, les cris de victoire déchirent l’air. Pour le Général et ses compagnons, l’environnement devient délétère. C’est donc fortement indisposé que de Gaulle prend la parole et par une boutade peu amène, commence son discours. En effet, moqueur il se réjouit de l’œuvre de civilisation accomplie par la France en Guinée témoignée par la qualité de l’intervention de Sékou Touré et Saïfoulaye Diallo. Puis il répond sèchement au député-maire de Conakry et aux Guinéens en leur disant qu’ils pouvaient prendre l’indépendance, s’ils le désiraient, le 28 septembre et que la France n’y fera point d’obstacles. La rupture entre la métropole et le territoire est consommée. Le divorce est acté. Aucun compromis ne sera plus trouvé. 60 années de vie commune viennent de prendre fin. Le vin est tiré. Chacun boira sa soupe.

Abraham Kayoko Doré