Le dimanche 5 septembre dernier, la Grande muette est sortie de son habituel mutisme, du côté de Sékhoutoureya et perturbé la grâce matinée dominicale du locataire. Les Forces spéciales, corps d’élite créé en 2018, a surpris, aux environs de 8h, les bérets rouges qui assurent la garde rapprochée du Président. Après des tirs nourris à l’arme automatique et lourde, ils la vainquent, s’emparent du Palais et font prisonnier son occupant, le Président Alpha Condé. Qui connaît ainsi bien une triste fin de sa longue carrière politique.

Après de nombreuses heures d’attente, de confusion et d’angoisse, le Lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, le commandant des putschistes, annonce la dissolution des institutions, la suspension de la Constitution, la création du CNRD, la tenue imminente de concertations nationales, la formation d’un gouvernement d’union nationale, la fermeture des frontières à l’exception des frontières maritimes pour ne pas entraver l’exportation des produits miniers, etc. Aussi, des responsables militaires remplacent les Gouverneurs, les Préfets et les Sous-préfets.

Comment en est-on arrivé là ? Il faut rappeler que la première élection d’Alpha Condé en 2010 avait été déjà controversée. Pour beaucoup d’observateurs, il n’aurait jamais dû franchir le 1er tour que Sidya Touré aurait remporté. Ensuite, au second tour, face à Cellou Dalein Diallo et son allié Sidya Touré dont la coalition totalisait près de 55%, Alpha Condé, avec son piteux score de 18%, remporte miraculeusement le scrutin et est proclamé Président de la République. Il a joui d’un certain nombre de circonstances complices : un nouveau découpage électoral, une période anormalement longue de quatre mois entre les deux tours au lieu des deux semaines constitutionnelles, l’interventionnisme intempestif de ses amis tels que Bernard Kouchner, Georges Soros et Tony Blair. Leur activisme diplomatique a eu son pensant d’or. L’accès d’Alpha Condé au pouvoir qu’il tente de conquérir depuis des décennies ne s’effectue pas sans d’heureux auspices. L’environnement politique est délétère. Le landerneau politique est dépité, rêveur, notamment dans l’opposition.

Encouragé par les conditions sulfureuses de son élection, le nouveau Président guinéen envisage l’exercice du pouvoir comme une affaire d’effets d’annonces à travers la déclinaison de projets qui ne sont en réalité que des pipos du genre « un étudiant, un ordinateur », « un Guinéen, une maison », rendre poissonneux les cours d’eau guinéens en les peuplant d’alevins importés de Côte d’Ivoire. Déjà lors de la campagne présidentielle, particulièrement à Kissidougou, le candidat Alpha Condé, dans des gesticulations théâtrales dont il a le secret, égaillait une foule de militants, aux anges : « Quand je serai élu Président, tous les enfants de Guinée iront à l’école sans que les parents ne payent rien et tous les Guinéens malades se soigneront sans rien payer ; trois ans après mon arrivée au pouvoir, la Guinée produira suffisamment de riz pour atteindre l’autosuffisance alimentaire et vendre le surplus au Sénégal et au Mali ».

Dans ses déclarations publiques, Alpha Condé a promis de construire des usines de ceci et de cela, çà et là, aux quatre coins du pays. Il ambitionne de fournir l’électricité aux pays voisins alors que le sien souffre d’un déficit criard et chronique de ce service. Il rêve de construire une autoroute et une ligne de chemin de fer de Conakry à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso pendant que la Guinée n’a plus que des lignes de chemins de fer minéraliers privées et qu’il n’y existe aucune autoroute interurbaine. Ces multiples et grotesques promesses du Président ont fini par lasser et irriter les populations qui les ont simplement assimilées à des mensonges, des duperies, des pipos. Ces faits graves ont déconsidéré le chef de l’Etat qu’une masse critique de cadre a fini par assimiler à un plaisantin un homme de cirque. Cela dure tout son premier mandat et se poursuit au second mandat, après 2015.

Mais Alpha Condé va aller au-delà de cet aspect folklorique de son pouvoir durant les derniers mois de son second mandat. Il fait fi du sage conseil du Président de la Cour Constitutionnelle : «Ne succombez pas aux sirènes révisionnistes ». Constatant l’impossibilité de modifier la constitution de 2010, il la jette aux orties et entreprend l’élaboration d’une nouvelle loi fondamentale. But visé ? Briguer un troisième mandat. La résistance est forte, massive. L’opposition et une importante frange de la société se coalisent au sein du FNDC. L’âpreté de la résistance contraint Alpha Condé à une répression qui accroît son impopularité et fragilise son régime. Il organise en 2020 trois scrutins dont la crédibilité demeure douteuse : législatifs, référendum et présidentiel.

Pour éviter les critiques de la communauté internationale, il finance ces scrutins sur le budget national, ce qui explique, en partie, les difficultés budgétaires actuelles.

Ainsi, tout au long de sa présidence, Alpha Condé a créé les foyers de vent qui, progressivement, est devenu un tourbillon et enfin une tempête qui l’a emporté. La «quatrième république» n’aura pas vécu un an. Hélas !

Abraham Kayoko Doré