La prise du pouvoir par les militaires à la suite d’un putsch, le 5 septembre à Conakry, a été largement applaudie en Guinée. Mais, des esprits dubitatifs s’inquiètent déjà de la couleur de la transition qui sera sans doute pilotée par Mamady Doumbouya, le président du CNRD (Comité national du redressement et du développement). En conférence de presse le 13 septembre à Conakry, l’AGT (Association guinéenne pour la transparence) a formulé des recommandations destinées à la junte qui s’est engagée dans une série de consultations avec de nombreuses entités et acteurs. Oumar Kanah Diallo, le président de l’AGT, estime que pour endiguer la corruption et promouvoir la bonne gouvernance, les hommes en treillis devront auditer la gestion de la dernière décennie et traduire les gestionnaires indélicats devant les tribunaux. Il exhorte le CNRD à renforcer la formation, l’équipement et les activités des structures de lutte contre la corruption, à s’assurer de la véracité des déclarations des biens des hauts cadres en fonction ou sortant, à créer un ministère de Contrôle de l’Etat qui sera chargé « a priori et a postériori » de la gestion publique et parapublique. L’Association invite le Comité national du rassemblement et du développement à répartir à des nouvelles bases, le peuple de Guinée à un « espoir mesuré » vis-à-vis des militaires au pouvoir.
Craintes
Le remplacement des gouverneurs de région, préfets et sous-préfets par des hommes en treillis rassure peu. «70 % des nommés ne connaissent rien de l’administration territoriale. Ils ne disposent pas de programme leur permettant d’assurer une certaine gestion de l’administration, car ils n’étaient là que pour la sécurité. Et si on met des moyens à leur disposition, certains les utiliseront sans que cela ne profite à la population, car ce sera à travers les moyens que ceux-là ont défini des stratégies. Or, on définit d’abord les stratégies, ensuite on recherche les moyens pour leur mise en œuvre. Mais si c’est l’inverse, on risque une utilisation irrationnelle des fonds», analyse, le président de l’AGT, Oumar Kanah Diallo. Selon lui, le gouvernement de la transition sera plein des militaires et autres corps amés, alors «qu’ils n’ont pas une compétence requise à la gestion publique. Dans ce cas, les détournements qui se feront ne seront pas des détournements dans le vrai sens du mot, mais des détournements d’objectif. Il y a vraiment de crainte. Nous devons tous surveiller afin que nous puisons avoir une base solide pour la démocratie en Guinée.» Oumar Kanah Diallo reste convaincu que les forces de défense et de sécurité ne peuvent pas développer un pays, mais il attend d’eux la mise en place des institutions «fortes et crédibles» et l’organisation des échéances électorales transparentes. Histoire d’éviter à la Guinée de retomber dans les erreurs du passé. «Seules des institutions solides et crédibles sortiront la Guinée de cette situation», croit-il.
Piques au régime déchu
L’AGT (Association guinéenne pour la transparence) rappelle que la Guinée, convoitée pour ses potentialités économiques, sociales et culturelles, traîne parmi les pays les plus pauvres (32è sur 54 pays) en Afrique et parmi les plus corrompus (137e sur 180 pays) dans le monde. Le président de l’AGT impute la responsabilité du sous-développement de la Guinée aux élites politiques et administratives. «La lutte contre la corruption est un processus comportant les réformes institutionnelles, l’indépendance et l’efficacité de l’appareil judiciaire ainsi que l’engagement des acteurs de la lutte», rappelle-il.
Et d’accuser le régime déchu du Président Alpha Condé de tenir des discours et des slogans creux, à la place des mesures et actions concrètes, efficaces dans le cadre de la lutte contre la corruption. Oumar Kanah Diallo dénonce aussi «l’existence à titre de décoration» des structures de lutte contre la corruption : la Cour des Comptes, l’Inspection générale des finances, les inspections sectorielles, l’Agence nationale de la lutte contre la corruption, l’Office de répression des délits économiques et financiers, le Secrétariat permanent de lutte contre la drogue et les crimes organisés.
Yaya Doumbouya