Nos tyrans ne sont pas que puissants et craints, ils sont aussi cousus d’or et garnis de diamant. Comment ne les trouverait-on pas charmants ? Les organisations internationales les sermonnent à demi-mot quand ils tirent sur la foule ou quand ils étripent leurs opposants. Les grandes puissances appuient mollement sur le bouton des discours convenus pour évoquer les ventres vides et les prisons pleines des pays qu’ils gouvernent. Mais dès qu’ils souffrent d’une rage de dent ou d’une brûlure de coup d’Etat, tout ce beau monde sort du flou, se range sans retenue derrière le roi déchu. Le despote que l’on feignait de haïr se révèle un ami, un associé, un partenaire, pour ne pas dire un acolyte. On remue ciel et terre pour secourir la pauvre victime.
Le cas d’Alpha Condé, l’ancien président guinéen, est particulièrement édifiant, en l’occurrence. Son état de santé et les conditions de sa détention sont devenus des sujets d’importance mondiale. A la télé, ils sont en passe d’éclipser le Cyclone Idai et le Coronavirus. A l’Onu, à l’Union Africaine, à l’Union Européenne comme à la Cedeao, on ne parle plus que de ça. Ses victimes auraient bien aimé bénéficier du même élan de compassion, du même esprit de solidarité. Hélas, ils manquent de panache ou plutôt de brillant, les pauvres hères !
Personne n’a versé une larme sur les centaines de martyrs tombés, criblés de balles dans les manifestations de rue ! Personne ne s’est soucié du sort des prisonniers politiques sortis, paralysés, aveugles ou demi-sourds du mouroir de Coronthie !
Aussi révoltant qu’il soit, ce traitement partial ne se limite pas à la Guinée. Même chassés du pouvoir, la vie de nos tyrans est mille fois plus enviable que celle de leurs victimes. Dans la plupart des cas, l’exil doré est la peine la plus lourde, infligée à ces criminels. Certes, Omar El Béchir se retrouve aujourd’hui derrière les barreaux. Il est cependant permis de se demander si ses 300 000 victimes ont eu droit à une sépulture digne de ce nom. Certes, Hissène Habré est mort en détention mais cela consolera-t-il les veuves et les orphelins des 40 000 Tchadiens décédés dans les mains de ses tortionnaires ?
Siad Barré qui a régné de main de maître sur la Somalie est mort de mort naturelle dans une villa de Lagos. Après avoir trucidé près de 500 000 Ethiopiens, Mengistu Haïle Mariam se la coule douce, dans un bungalow vaste et surprotégé de Gunhill, à Harare. Mobutu est mort paisiblement à Rabat ; Zine el-Abidine Ben Ali et Idi Amin Dada, à Djedda. Si on ne connaît pas exactement le nombre des victimes de l’ancien président tunisien, on sait que le second a exterminé au moins 150 000 Ougandais.
La Guinée, depuis la chute de son tyran, a reçu deux délégations de la Cédéao. Elles ont toutes les deux rendu visite à Alpha Condé pour s’assurer qu’il se porte bien, que sa chambre confortable n’abrite aucun rat, aucun moustique ; qu’il reçoit quand il veut la visite de ses avocats et de ses médecins; que c’est bien son cuisinier personnel qui lui mijote ses plats préférés. Ils ne se sont pas inclinés sur les tombes de ses victimes ni rencontré ses anciens prisonniers.
Qu’est-ce que tu as dit, Koffi ? Qu’on t’a empêché de manifester et de voyager ? Qu’on t’a mis au gnouf pour t’être opposé au schéma du 3ème mandat ? Que tu n’as toujours reçu aucune visite : ni celle de ton médecin, ni celle de ton avocat, à plus forte raison celle de la Cédéao ou de l’Onu ? Tant pis pour toi, abruti ! Il fallait embrasser une carrière de dictateur.
Tierno Monénembo
Source : Le Point