Plus de deux mois après la chute d’Alpha Condé, un coin de voile est en train de se lever sur les barons du régime déchu. Le passif des hommes qui gravitaient autour de la galaxie pestilentielle de l’ancien président, réputé être un homme de réseaux et proche de lobby du monde politique et des affaires, se dévoile jour après jour depuis la prise en main du pays par le colonel Mamadi Doumbouya.
Après le scandale qui a éclaboussé l’ancien Premier ministre congolais sous Joseph Kabila, Matata Ponyo, un des plus proches ex-conseillers d’Alpha Condé, épinglé par la justice de Kinshasa sur des présumées malversations en rapport avec le projet « Bukango Lonzo » qui l’a contraint à quitter précipitamment la Guinée pour rentrer au Congo afin de faire face à la justice, un autre de ses conseillers étrangers, cette fois-ci de nationalité ivoirienne est cité dans l’un des plus gros scandales d’expropriation foncière en Guinée. « Les casses de Kaporo-rails, Kipé 2 et Dimesse » dans la commune de Ratoma. Des expropriations domaniales massives qui ont conduit à l’expulsion de 1 203 familles de leurs habitations et à la destruction d’au moins 2 500 maisons dans les conditions que l’on sait. Les victimes ont déjà publié une liste provisoire des auteurs et complices potentiels.
La zone déguerpie appelée « Centre Directionnel de Koloma » censée être le site de délocalisation de l’administration basée à Kaloum, d’une superficie de 169 hectares, est considérée comme relevant des domaines réservés de l’État guinéen. Ce qui n’a tout de même pas empêché l’administration foncière à délivrer à des particuliers des titres fonciers en bonne et due forme, contribuant à l’occupation de ces domaines. Ce déguerpissement manu-militari a jeté plus de 20 000 citoyens dans la rue, selon les estimations du Collectif des Victimes et les organisations de défense des droits humains, comme Human Rights Watch, sans aucune perspective de recasement encore moins de dédommagement.
A la chute d’Alpha Condé le 5 septembre 2021, renversé par le commandant des Forces spéciales, le colonel Mamadi Doumbouya, le sieur Ahoua Don Melo, l’ancien conseiller spécial d’Alpha Condé depuis 2017, chargé des infrastructures, également ancien ministre et compagnon de lutte de Laurent Gbagbo au sein du Front Populaire Ivoirien, était en mission à Moscou à l’invitation du patronat russe. Devant le fait accompli, il va finalement accepter en septembre 2021 une proposition du patronat russe pour être conseiller spécial chargé des Investissements en Afrique. C’est à ce titre qu’il va retourner en Côte d’Ivoire le 9 octobre 2021, après 10 ans d’exil politique.
Le Collectif des Victimes des Expropriations Domaniales de Kaporo Rails a rendu public le 19 novembre dernier, à la suite d’investigations, une liste provisoire de personnalités qu’il accuse d’être les auteurs et complices des casses. En tête de liste, Alpha Condé, son ministre de la Ville et de l’Aménagement du Territoire, Ibrahima Kourouma, mais aussi et surtout une colonie d’Ivoiriens au cœur du projet, et à la tête de la société chargée de viabiliser et d’exploiter le Centre directionnel de Koloma sur les domaines déguerpis. « Ahoua Don Melo n’est pas mêlé à notre spoliation, mais il est impliqué dans la vente de nos terres. Son implication ne fait l’objet d’aucun doute », soutient le porte-parole du collectif des victimes.
Imaag holding au cœur de la controverse
Cette société de droit guinéen, spécialisée dans l’aménagement de terrains urbains, la construction de logements, uniquement mise sur pied pour gérer et exploiter les domaines récupérés sur la base d’un partenariat public-privé (PPP), est détenue par des Ivoiriens. A sa tête, Ahoua Don Melo, le conseiller d’Alpha Condé. C’est un ingénieur des ponts et chaussées, considéré comme l’un des plus proches, comptant effectivement parmi les proches de l’ex président guinéen, et qui était dans les secrets les plus gardés de Sékhoutouréya, a fait appel à ses compatriotes ivoiriens pour conduire le projet et l’aménagement du « Centre directionnel de Koloma », la zone déguerpie. Parmi eux, Pierre Christian Mosis, pour piloter la société Imaag Holding en tant que directeur opérationnel, lui aussi militant du même Front Populaire Ivoirien, ancien exilé au Ghana. Il avait été arrêté en 2013 et extradé en Côte d’Ivoire avant de s’installer en Guinée. Bénéficiant d’une confiance presque aveugle d’Alpha Condé, son conseiller, Ahoua Don Melo s’est attelé, à son tour, à constituer sa propre galaxie formée autour d’intérêts ivoiriens.
Le collectif des victimes croit savoir que tout l’argumentaire développé autour de la construction de logements sociaux ou de délocalisation des départements ministériels de la presqu’île de Kaloum, centre administratif et des affaires de Conakry, vers cette « zone réservée » n’était qu’un prétexte pour se réapproprier des domaines à d’autres fins. « Ahoua Don Melo a créé Imaag Holding qui revend nos terres. Il a aussi introduit auprès d’Alpha Condé, une délégation de la Société Générale de Banque de Côte d’Ivoire qui a accordé des prêts à la société Tassec Investment Holding Africa de l’Ivoirien Mory Diané pour construire la cité administrative qui devait porter le nom d’Alpha Condé, sur nos propres domaines », témoigne Mamadou Samba Sow. Pour couronner le tout, le conducteur de travaux à Imaag Holding n’est autre que l’Ivoirien Patrice Goue, contractuel dans une direction technique du ministère ivoirien de la Construction et de l’Urbanisme.
«L’on se rappelle qu’en 2019, le gouvernement avait avancé comme prétexte des démolitions, le transfert de l’administration publique de Kaloum à Kaporo-Rails. Deux ans après, il s’avère que ces démolitions n’ont qu’un but bassement lucratif. Orange-Guinée et des ambassades, notamment de Turquie, des Émirats arabes unis, du Nigeria, du Ghana ainsi que des compagnies minières ont versé d’importantes sommes d’argent à l’ancien ministre de la Ville d’Alpha Condé, Ibrahima Kourouma, pour l’acquisition des terrains indûment expropriés. Une société aux activités opaques, Imaag Holding, revend les terres expropriées aux plus offrants. Actuellement, un mètre carré se négocie à 2 000 euros» a révélé à la mi-septembre, Samba Sow, le président du collectif des victimes. Ce dernier indique que même des opérateurs économiques et des chefs d’entreprise en Guinée auraient reçu des offres de bail de 90 ans sur les domaines de Kaporo-rails, Kipé 2 et Dimesse, à des fins de construction de maisons d’habitation, de centres commerciaux et de bureaux.
À date, ce collectif de victimes réclame devant les juridictions sous régionales, notamment la Cour de justice de la CEDEAO, la restitution de leurs terres, leurs indemnisations et la justice pour tous les préjudices subis. Depuis la chute du régime d’Alpha, un autre front judiciaire est engagé en Guinée pour amener la justice à inculper les principaux responsables des casses.
Mamadou Aliou Diallo, journaliste-blogueur
Sources: Financial Afrik