Mettre fin à la corruption et au détournement des deniers publics, c’est l’une des priorités de la junte militaire au pouvoir. Le CNRD a mis en place la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) le 2 décembre. Une cour censée mettre main sur les jolis pactoles que les barons de l’ancien régime et autres hauts cadres de l’administration se sont accaparés. Par décret du 6 décembre, le colonel Mamadi Doumbouya a renforcé la CRIEF.

La CRIEF a, entre autres, compétence à juger les soustractions et détournements commis par les agents publics lorsque la valeur de la chose soustraite ou détournée est égale ou supérieure à un milliard de francs guinéens. Elle réprime aussi la corruption des agents publics nationaux, étrangers et internationaux, la corruption dans la passation, l’exécution et le contrôle des marchés publics, la corruption dans le secteur privé… Mais le Président de la Transition a décidé d’aller plus loin, en renforçant les compétences de la Cour. Selon l’ordonnance rendue publique dans la nuit du 6 décembre, «les attributions des Hautes Cours de justice instituées ou prévues depuis 1990, notamment celles relatives aux crimes et délits économiques et financiers, sont dévolues à la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières conformément aux dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale.»

Les immunités et privilèges de juridiction, reconnus à certaines personnes, autorités et agents publics, tels que prévus par la législation en vigueur au moment des faits incriminés, conformément au Code pénal et au Code de procédure pénale, sont inopposables et inopérants à l’égard de la CRIEF. Bien d’hommes de droit se frottent déjà les mains : « Le transfert à la CRIEF des compétences de la Haute cour de justice nous évitera l’inflation judiciaire pendant cette période transitoire (…) Il faut accepter et faire avec. L’ordonnance a expressément rendu rétroactive les infractions commises ou qui pourraient être commises et qui concernent la CRIEF. Ceux qui sont aussi en fonction doivent savoir qu’il y a la possibilité de les poursuivre, d’où la notion d’imprescriptibilité des crimes économiques», explique le juriste Karamo Mady Kaba.

« Protéger et encadrer cette transition ! »

Avant la publication de cette ordonnance additionnelle, maitre Fodé Abass Bangoura, avocat, avait déjà alerté sur l’impossibilité de juger les anciens ministres ou même Présidents par la CRIEF dans sa configuration du 2 décembre : « Elle est différente de la Haute cour de justice ! Elle ne peut pas juger un ancien Président, un ministre de la république, ancien ou en fonction, et même un ancien Premier ministre de la gouvernance catastrophique, de l’ancien régime, en cas de détournement des deniers publics dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions dont les montants seraient supérieurs à un milliard de francs guinéens… »

Selon lui, sans les compétences de la Haute cour de justice, la CRIEF ne pouvait réprimer que les petits «Agents publics et les complices ou les fonctionnaires et autres… Mais elle ne peut pas juger les membres du gouvernement actuel ou anciens et même l’ancien Président de la république Alpha Condé, pour détournement ou haute trahison… Elle peut juger les agents publics et les complices ou les fonctionnaires et complices… Mais pas les membres du gouvernement ou les anciens présidents ou Premiers ministres… Il fallait  l’écrire », a martelé l’avocat. Me Abass Bangoura demandait au chef de la junte d’agir pour éviter que la transition ne soit noyée : « Le CNRD doit avoir une boussole juridique, sinon la Transition est piégée ! Elle sera noyée…Il faut revoir l’ordonnance mon colonel !  Ils savent que vous êtes profane en droit… Vous avez besoin d’une boussole juridique pour vous même ! Une Cour spéciale à compétence étendue qui va intégrer celle de la Haute cour de justice est suffisante  pour une transition », avait insisté l’avocat.

C’est ce qui semble être fait par le CNRD.

Yacine Diallo