La crise sanitaire liée à la pandémie Coronavirus a bouleversé le monde depuis le début d’année 2020. Toutes les activités socioéconomiques ont connu une forte baisse. En Guinée, le secteur de la restauration a payé le lourd tribut à cause des restrictions que le gouvernement a imposées pour freiner la propagation du virus. Cette situation a causé d’énormes pertes économiques et d’emplois dans le secteur. Du couvre-feu à l’interdiction de rassemblement voire même le confinement ont été des facteurs qui ont bloqué les activités des restaurateurs.
«Près de 2 ans que les tenanciers des restaurants et bars tirent le diable par la queue. Un entrepreneur qui ne travaille pas, mais qui continue de payer le local, les charges fixes que sont l’eau et l’électricité, alors qu’il continue de se nourrir parce que les besoins familiaux n’attendent pas. C’est vraiment compliqué. Il y a beaucoup parmi nous aujourd’hui qui ne peuvent pas reprendre les activités faute de moyens», a indiqué Valy Sakho, le président de l’association des Tenanciers des bars et restaurants.
Selon lui, le loyer que certains membres de son association payaient varie entre 2 millions 500 mille francs guinéens, (50 euros), 5 millions de francs guinéens (500 euros) et 45 millions de francs guinéens (4 500 euros). «Aujourd’hui, dans toute la Guinée, nous avons 1 022 Tenanciers inscrits au sein de l’association. Imaginez maintenant que pendant un an et 9 mois, vous continuez à payer alors que vous ne travaillez pas. Donc, quand nous avons fait les calculs des pertes, rien que les charges fixes, les pertes étaient plus de 50 milliards gnf (500 000 euros).» Autres difficultés ? Exténués par les restrictions que le gouvernement avait imposées, certains propriétaires de bars et restaurants exerçant dans la clandestinité ont été traqués par la police et emprisonnés. «Il fallait qu’ils sortent pour chercher la pitance quotidienne, parce que tout peut attendre sauf les besoins familiaux, le ventre ne peut pas attendre», a ajouté le président des tenanciers de restaurants et bars.
Abdoulaye Maladho Diallo, gérant en second du Restaurant le Bataclan du quartier Koloma, a affirmé qu’au moment fort de la pandémie, ses activités ont été très difficilement maintenues. La clientèle a considérablement baissé. «Les gens ne venaient presque pas, à cause de l’interdiction des regroupements par les autorités. Certains clients évitaient souvent de sortir à cause des restrictions sanitaires. Quand le couvre-feu a été instauré, c’était pire, cela nous a causé du tort. Au début, c’était fixé à 21h et il fallait donc qu’on ferme à 19h, voire 18h, parce qu’il y a certains de nos employés qui habitent à plusieurs dizaines de kilomètres d’ici».
Pertes d’emplois
A cause de la COVID-19, il y a eu beaucoup de pertes d’emplois. Avant cette pandémie, certaines structures employaient jusqu’à 20 personnes. Nvaly Sakho employait 47 personnes dans ses trois (3) structures (bars et restaurants), mais aujourd’hui, le nombre est passé de 47 à 28 parce qu’il ne peut plus les payer. «Mes établissements ne fonctionnent pas comme avant. Dans notre secteur, une structure emploie au moins 5 personnes et imaginez maintenant le nombre de personnes qui sont au chômage à cause de cette pandémie. Si on fait le calcul, on trouvera qu’il y a plus de 5 mille personnes qui sont au chômage aujourd’hui dans notre secteur, suite à la COVID-19». Abdoulaye Maladho a également procédé à des licenciements. «Nous avons été contraints de diminuer le nombre de travailleurs en mettant quelques-uns au chômage pour pouvoir s’en sortir. Avant la pandémie, nous avions une dizaine d’employés mais nous nous sommes retrouvés avec cinq, finalement».
Cette situation a complètement bouleversé la vie de nombreux employés de restaurants qui sont restés sans aide alors qu’ils avaient de la famille. Djibril, marié et père de 3 enfants, était obligé de ramener sa femme et ses enfants au village. «Dans le restaurant où je travaillais, le patron était obligé de fermer puisqu’il n’y avait plus de clients. Nous sommes rentrés en congé obligatoire pendant 3 mois. J’étais obligé de payer le loyer et nourrir ma famille. Pour diminuer la charge, j’ai envoyé d’abord ma femme et mes enfants au village, ensuite je les ai rejoints parce que je n’arrivais plus à payer le loyer».
Mariam (nom d’emprunt) a subitement vu son salaire drastiquement diminuer du fait des congés techniques liés aux difficultés que traversait le restaurant où elle travaillait. «La majorité des travailleurs est rentrée à la maison et on nous payait 50% de notre salaire. Au fur et à mesure que la pandémie sévissait et que l’Etat durcissait les restrictions, le patron a encore diminué ce qu’il nous donnait (30% du salaire) pour nous qui étions en congé technique, et 50% pour ceux qui partaient au restaurant. Financièrement, j’en ai beaucoup souffert, j’ai à ma charge ma maman, ma grand-mère et mes petites sœurs. C’était vraiment difficile cette vie. Je m’ennuyais beaucoup, j’étais à la maison, je ne sortais pas. Psychologiquement ça été très difficile de supporter ça». Quant à Ramatoulaye, une autre employée de restaurant, c’est au moment fort de la COVID-19 qu’elle a perdu son boulot. «Quand le coronavirus a pris une ampleur et que le confinement a été durci, les clients se sont fait très rares. C’est ainsi que le propriétaire du restaurant a jugé nécessaire de renvoyer le plus grand nombre. Nous étions 15 cuisiniers et serveurs. C’est comme ça que nous avons perdu le boulot. Cela fait plus d’un an que je suis à la maison, je ne travaille pas. J’en ai souffert vraiment puisque l’argent que je gagnais là-bas me permettait de subvenir à mes besoins et de ne plus quémander. Aujourd’hui, je suis à la maison, quand j’ai besoin de quelque chose, je suis obligée de demander. Cela me fait vraiment mal».
De la relance
Eu égard aux nombreuses difficultés économiques que ces entreprises ont traversé, la reprise n’a pas été facile. Il a fallu l’entraide. «Aujourd’hui, il y a 17 structures qui étaient en difficulté que nous avons recensé à Conakry. Mais puisqu’ils sont toutes membres de notre Association, nous sommes allés prendre des engagements auprès de nos fournisseurs, c’est-à-dire la SOBRAGUI, les importateurs de boissons, le Groupe Continental et le Groupe Casal afin qu’ils puissent prendre des marchandises à crédit pour reprendre leurs activités», a confié Valy Sakho, président des tenanciers des bars et restaurants de Guinée. Et d’ajouter que malgré toutes les promesses du gouvernement d’alors d’aider les entreprises, il n’en a rien été. «Nous nous débrouillons nous même à sortir du trou, sans aucune aide de l’Etat». La relance d’activités n’a pas été difficile chez Abdoulaye Maladho puisque selon lui, pendant la maladie, 80% de ses clients commandaient des mets à emporter. «Je peux dire que nous n’avons pas enregistré d’énormes pertes, parce qu’on s’arrangeait dans la prévision avec un programme bien réfléchi pour éviter que les aliments pourrissent. Je peux dire qu’à présent tout est en train de se normaliser progressivement, la clientèle a repris. Avec les anniversaires, les dîners de mariage, des réceptions, on s’organise pour attirer plus de clients. Actuellement, on s’en sort très bien. Les choses n’ont pas été faciles pour nous, parce que plus les clients viennent, plus il y a des revenus et nous avons aussi des familles».
A la baisse des cas de Covid-19, les restaurateurs ont été également confrontés à la hausse des prix des produits sur le marché, la fermeture des frontières, les élections, etc.
Cette enquête a été réalisée grâce à l’appui du Programme Dialogue Politique en Afrique de l’Ouest de la Fondation Konrad-Adenauer-Stiftung (PDWA/ KAS).
Ibn Adama