Depuis deux décennies, Kaporo-Rails, cette localité de la banlieue de Conakry fait parler d’elle. Après une première démolition de maisons sous le règne de Lansana Conté, l’Etat à travers Alpha Condé a récidivé en 2019. Dans les deux cas, les autorités ont développé un ensemble de mensonges pour faire du tort à de paisibles populations.

Le peuplement de la zone

Les Baga furent les premiers à habiter Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse, comme c’est le cas dans plusieurs quartiers de la capitale. Ils seront suivis plus tard par d’autres communautés et formeront ainsi la catégorie des « coutumiers ».

En 1983, El Hadj Moussa Diakité, ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Domaines sous Ahmed Sékou Touré, entame le lotissement de la zone. Pour cause d’utilité publique avérée, des citoyens ont été déplacés de la Cité des médecins de Kipé, le long de la piste de l’aéroport international Gbessia, lors du lotissement d’Entag et pendant la construction de certaines permanences… Ils ont été recasés à Kaporo-Rails. 

A l’époque, les citoyens ont été recensés, recasés et ont bénéficié de bons d’achat de ciment, de fer et ne devaient payer que 7 500 Sylis à la caisse du Receveur des domaines de Conakry, pour disposer de différents documents (plans de masse, arrêtés, certificats de propriété, etc.)

Le processus a continué après l’avènement du CMRN, Comité Militaire de Redressement National, suite au renversement du régime du PDG le 3 avril 1984.

A l’époque, il fallait nettoyer et clôturer la parcelle 6 mois après la signature de l’arrêté, implanter le bâtiment dès la première année, le délai maximum de mise en valeur définitive étant fixé à 3 ans.

A titre illustratif, les numéros de quelques arrêtés délivrés à des citoyens installés par l’Etat.

Arrêté No 5077/MUHD/83 signé le 17 mai 1983 par le Ministre El Hadj Moussa Diakité

Arrêté No 7338/MUHD/83 délivré le 23 juillet 1983 par El Hadj Moussa Diakité

Arrêté No: 3005/MHUD/84 du 11 juin 1984 signé par capitaine Kerfalla Camara

Arrêté No: 3567/MUHD/84 du 20 août 1984 signé par capitaine Kerfalla Camara membre du CMRN (Comité militaire de redressement national)

Arrêté No 4208/MUHD/84  signé le 25 octobre 1984 par le capitaine Kerfalla Camara

Arrêté No 3590/MAT/85 du 06 avril 1985 signé par capitaine Kerfalla Camara

Arrêté No: 14.576/MAT/85 du 27 novembre 1985 signé par capitaine Kerfalla Camara

Arrêté No: 14.577/85 du 29 novembre 1985 signé par capitaine Kerfalla Camara, etc.

Le fameux décret de 1989

En 1989, le Général Lansana Conté signe le décret numéro 182/PRG qui identifie près de 25 réserves foncières à Conakry et ses environs plus les emprises de 16 principales routes. Ce décret est rectifié par le décret numéro 211 du 23 novembre 1989. Parmi ces réserves, figure le « Centre directionnel de Koloma», localisé à Kaporo-Rails. Le document est cependant clair en son article 4 : «Les occupants qui auraient mis en valeur leurs fonds avant la date du 20 avril 1988, ne sont déguerpis que si l’Etat s’engage à les recaser et à les indemniser de la valeur de leur réalisation sur le fonds

Il convient de signaler que Kaporo-Rails tout comme les autres endroits cités n’ont jamais été dans le portefeuille de l’Etat parce que : -L’Etat n’a jamais acheté ces zones, n’a jamais exproprié les habitants et n’a aucun droit de préemption.

Un an après, la zone qui était le sixième secteur de Kaporo (sur le littoral), est érigée en quartier. La localité prend le nom de Kaporo-Rails avec pour premier chef de quartier Thierno Ousmane Diallo, ancien député, ancien ministre et actuel ambassadeur de la Guinée à Madrid. Le gouvernement et ses partenaires ont financé l’adduction d’eau, l’électrification. Suivront la construction d’écoles privées, de marchés, de cimetières et de lieux de culte.

Références de quelques écoles privées construites à Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse

Complexe scolaire Balouta Diallo : Arrêté numéro 197/MEPU-FP/CAB/SSP/93 du 06 décembre 1993 signé par la ministre Mme Diallo Hadja Aïcha Bah.

Groupe scolaire Alison Davis : Arrêté numéro 05/5664/MEPU-EC/CAB/SNEP du 05 novembre 2004.

Groupe scolaire Oumou Banouna SY : Arrêté numéro 06/077/MEPU-EC/CAB/SNEP du 12 mai 2006 signé par le Ministre Denis Galéma Guilavogui.

Groupe scolaire privé La Référence : Arrêté numéro 07/0183/MEN et RS/CAB/SNEP du 24 août 2007 signé par le ministre El Hadj Ousmane Souaré.

Groupe scolaire La Persévérance MOMOCA : Arrêté A/2018/3662/MEN-A/CAB du 09 mai 2018 signé par le ministre Ibrahima Kalil Konaté.   

La casse de 1998

Contre toute attente, en février et mars 1998, Alpha Ousmane Diallo, ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat du régime de Lansana Conté déclenche une opération de démolition de maisons d’habitation à Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse. Nous sommes là à quelques mois de la présidentielle. Officiellement, on évoque une opération d’ouverture de routes. Les conséquences de cette tragédie qui s’est déroulée en violation des règles de procédures normales sont énormes : plusieurs bâtiments et immeubles sont détruits et des milliers de personnes sont affectées. Au moins 13 personnes perdent la vie dont un gendarme, des dizaines d’autres sont blessées et au moins 63 interpellations opérées. Au nombre des personnes arrêtées figurent des députés de l’opposition : Bâ Mamadou, président de l’UNR, Mamadou Barry (maire de Ratoma) et Thierno Ousmane Diallo (chef de quartier, député de Ratoma).

Face à l’indignation générale, le président Lansana Conté est contraint d’ordonner l’arrêt des  démolitions. Une partie de la zone est ainsi détruite et l’autre, épargnée.

Sur les ruines, seront construits le nouveau siège de la Radiodiffusion Télévision Guinéenne et l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique.

Depuis l’étranger, l’opposant Alpha Condé apporte son soutien aux victimes affirmant qu’il s’agit d’une opération à visée politique et ethnique.

En 2010, à l’issue de la présidentielle, Alpha Condé est élu Président de la République. Le 04 mai 2016, six ans après son élection, il se rend à Kaporo-Rails, demande pardon aux populations, annonce l’aménagement du site tout en promettant que les citoyens seront désormais dédommagés.

Liens internet renvoyant au discours du Président Alpha Condé le 4 mai 2016 à Kaporo-Rails : https://www.africaguinee.com/articles/2019/02/25/souvenirs-alpha-conde-kaporo-rails-pour-que-conakry-change-il-va-falloir-casser

Précision de Louceny Camara, ministre de la Ville et de l’Aménagement du territoire en 2016

Présent lors de la cérémonie, Loucény Camara, lui aussi tient des propos rassurant : « Depuis 1998, ceux qui ont été déguerpis sont connus, ceux qui seront déguerpis également sont connus. C’est l’ensemble de ces deux groupes qui a constitué une enveloppe d’environ 76 milliards de francs guinéens. Nous n’attendons que ce premier pas du côté de nos partenaires pour pouvoir entamer cet aménagement. Tant que ces fonds ne sont pas mis en place et comme l’a promis le chef de l’Etat, nous n’allons jamais nous attaquer aux occupants qui sont sur ce site de Koloma. C’est ce fonds d’indemnisation qui n’est pas encore mis en place par nos partenaires qui devraient le faire. Lorsque ce sera fait nous allons pouvoir entamer l’aménagement de Koloma.»  

Les partenaires dont il est question sont les 3GB, un groupement qui regroupe trois entreprises guinéennes (GUICOPRES, GUITER, BEGEC). Ce groupement est chargé d’aménager la zone et de verser 50% du montant de dédommagement aux populations. Finalement, aucun franc n’a été versé. La convention signée entre les 3GB et l’Etat a été ratifiée par l’Assemblée nationale. Mais lorsqu’Alpha Condé remplace Loucény Camara par Ibrahima Kourouma, tout chamboule.

L’histoire se répète en 2019

Aussi surprenant que cela puisse paraitre, à la fin du mois de juillet 2018, soit 20 ans après les premiers événements douloureux, cette fois-ci sous Alpha Condé, les habitants du secteur 3 (Kipé 2) reçoivent une mise en demeure émanant d’un huissier de justice nommé Joseph Fakaba Oularé. Le document est accompagné de la lettre numéro 119/MVAT/DICLOCAV/2018. Les deux documents somment les occupants de libérer les lots : 14, 15, 16, 19 et 37 du centre directionnel de Koloma.

L’ordre de mission du ministère de la ville (No 362/MVAT/CAB/2018) déposé aux responsables de la commune de Ratoma et du quartier Kaporo-Rails est pourtant clair. La mission a pour objet: le bornage de l’ensemble des lots 14, 15, 16, 19 et 37 du Centre directionnel de Koloma, l’expertise et l’évaluation des bâtis ainsi que l’assignation des occupants des parcelles contenues. Or, le constat fait par les habitants est qu’il n’y a eu ni expertise ni évaluation des bâtis par les agents déployés par le ministère de la Ville.

Par ailleurs,  il a été constaté que les lots cités ne sont pas conformes à ceux figurant sur les documents détenus par la population et qui datent de la première République. Ainsi, le Collectif des citoyens de Kipé 2 tente de rencontrer le ministre Ibrahima Kourouma. En vain ! Finalement, il constitue un pool d’avocats composé des Maîtres : Salifou Béavogui, Paul Yomba Kourouma et Abdoul Gadirou Diallo. Le Ministère de la ville et de l’Aménagement du territoire est assigné en justice pour reconnaissance de droit de propriété. La plainte est déposée au Tribunal de première instance de Dixinn et le procès s’ouvre le vendredi, 12 octobre 2018.  

Pendant que la procédure judiciaire était en cours, des agents de l’habitat lancent les opérations de bornage dans le secteur. Cela conduit Madame Mbalou Kéita, présidente du tribunal, à ordonner le 26 septembre 2018, l’arrêt immédiat de tous travaux de démolition sur les parcelles concernées. La décision rendue est contenue dans l’ordonnance numéro 753/CAB/TPI/CKRY2/2018.

Après plus de six mois de procédure marquée par l’absence répétée de l’Agent judiciaire de l’État, la décision tombe. Et là également, contre toute attente, le 1er mars 2019, la Présidente du Tribunal de Première instance de Dixinn quitte la salle d’audience quelques minutes seulement avant la sentence. Finalement, c’est le greffe qui notifiera aux avocats des plaignants qu’ils sont déboutés et sommés de payer à l’Etat 500 millions de francs à titre de dommage et intérêt. L’appel interjeté par les avocats des plaignants continue de dormir dans les tiroirs de la Cour d’appel de Conakry.

Par ailleurs, sans avertissement, une équipe du département  de la Ville et de l’Aménagement du territoire s’était rendue auparavant à Kaporo-Rails pour mettre des croix d’abord sur des kiosques, des conteneurs, des baraques et garages le 20 février 2019.  Et à la surprise générale, le 25 février 2019, un bulldozer est envoyé sur les lieux pour démolir les premières maisons avec leurs contenus. Pourtant, selon le ministre Ibrahima Kourouma, il s’agissait de débarrasser la partie «libérée» en 1998 de ses encombrants physiques. La casse s’est étendue à Kipé 2 le 12 mars avant de toucher Dimesse, un secteur situé derrière les deux tours de l’hôtel Kakimbo et une partie de Soloprimo.

Comme en 1998, les agents de l’État ont usé de la violence contre les citoyens lors de ces opérations de casse.

L’adolescente, Aïssatou Bella Diallo, 14 ans, a reçu une grenade lacrymogène en plein visage. Cette agression entraînera la perte d’une bonne partie de son nez. Elle n’a eu la vie sauve que grâce à son évacuation à Tunis où elle continue de recevoir des soins.

L’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme et du citoyen, OGDH, a dénoncé une atteinte grave aux droits des citoyens. Human Rights Watch, de son côté, a publié le 18 juin 2019, un rapport sur la tragédie de Kaporo-Rails intitulé « Guinée : des expulsions forcées et draconiennes ». Sur la base d’images satellites fournies par l’entreprise Planet Labs, il a été établi que plus de 2 500 bâtiments ont été détruits à Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse.  Au même moment, près de 20 000 personnes sont jetées dans la rue. Lien du rapport https://www.hrw.org/fr/news/2019/06/18/guinee-des-expulsions-forcees-draconiennes

Les mises au point de l’ancien Ministre de l’habitat El Hadj Mansour Kaba

En conférence de presse à Conakry le jeudi, 28 mars 2019, soit un mois après le début des démolitions, El Hadj Mansour Kaba a fait des révélations concernant l’affaire Kaporo-Rails. Il admet qu’un comité interministériel de pilotage du projet d’aménagement du Centre directionnel de Koloma a été mis en place, par arrêté ministériel sous le numéro 2882/ MUH/SGG/8 du 31 juillet 2008 et un tableau avait été créé en vue de calculer les montants à payer aux occupants du site de Koloma. Le président du parti Panafricain de Guinée (PAG) ajoute : « Ce montant à payer aux occupants du site de Koloma et d’autres soumis au même problème de déguerpissement, avait été actualisé en 2008. Pour Koloma, on devait payer 77 051 414 310 GNF aux déguerpis et 8 015 723 520 GNF à d’autres déguerpis.

Soit un total de 95 067 713 830 GNF en 2008. L’on se demande, où est-ce que se trouve ce montant aujourd’hui ? », s’est demandé l’ancien allié du président Alpha Condé.

« Des zones de recasement furent identifiées. Ce sont : Gomboya-rails /Kakoulima-rails : 2 500 parcelles sur 150ha, Gomboya-Sud ou Fassian : 750 parcelles sur 50ha; Sanoyah village : 2 500 parcelles sur 150ha ; Km 36 ou Souguéta : 750 parcelles sur 50ha soit au totale 400ha pour 6 500 ménages. Est-ce que ces sites de recasement sont-ils encore libres ? », s’est interrogé le président du PAG.

La vente des domaines spoliés

Ibrahima Kourouma, ministre de la Ville a fini par constituer, avec des proches, la société IMAAG-HOLDING composée à majorité d’ivoiriens. Des panneaux publicitaires de l’entreprise sont implantés à Conakry et en province, des campagnes médiatiques sont également lancées. Les personnes nanties sont invitées à réserver des lots à Kaporo-Rails. Un bail de 70 à 99 ans est proposé aux éventuels clients moyennant 1 000 dollars le mètre carré. Ahoua Don Mello, ancien ministre de Laurent Gbagbo et ancien conseiller d’Alpha Condé, a joué un rôle important dans l’introduction d’IMAAG-HOLDING et TASSEC (une entreprise chargée de construire des tours de la cité administrative Alpha Condé) à Sékhoutoureyah. Plusieurs informations laissent entendre qu’il est le véritable patron d’IMAAG-HOLDING.

https://mediaguinee.org/pierre-christian-koloma-sera-un-quartier-administratif-et-daffaires-proche-des-populations/

Plus grave, sur Facebook, un certain Mamadou 1 Cissé, agent immobilier est allé jusqu’à parler clairement de vente de terrains à Kaporo-Rails. Sur sa page, il a affiché son numéro de téléphone et son adresse mail pour tout besoin.

Un drame humain

La destruction de ces localités s’est déroulée sans état d’âme comme l’avait promis Alpha Condé et a provoqué la dislocation des populations, l’accentuation de la pauvreté, la perte de plusieurs emplois surtout par les jeunes, la déscolarisation mais aussi des décès liés au choc subi lors des événements, sans oublier des disparitions tragiques de jeunes dans la Méditerranée.

Les péripéties de la catastrophe de Kaporo-Rails ont été résumées dans un documentaire intitulé «Kaporo-Rails, histoire d’une cité ruinée » d’une durée de 30 minutes 42 secondes. L’élément est disponible sur internet à travers le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=buJebtzn0C4

Lueur d’espoir

L’avènement du CNRD redonne de l’espoir aux victimes. La confiance que le colonel Mamadi Doumbouya a placée à Monsieur Ousmane Gaoual Diallo pour diriger le ministère de l’Habitat laisse croire que le dossier Kaporo-Rails sera réglé dans un avenir proche. Et cette quête de justice, le Collectif des victimes demande aux autorités ceci:

1- La reconnaissance des délits commis par l’ancien régime,

Rétablir les victimes dans leurs droits en restituant leurs terres et en reconstruisant leurs habitations,

2-L’inculpation d’Ibrahima Kourouma, ancien ministre de la Ville et de toutes les personnes impliquées dans la casse.

Le Collectif des victimes de Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse

Mail : collectifkapororails2019@gmail.com