Décidemment, le Colonel Mamadi Doum-bouillant vole de coups d’éclat en coups d’éclat. Après s’être incliné devant le mausolée de Camayenne où repose une bonne brochette de héros guinéens dont Sékou Touré, il a fait une virée, aux pas de course, à Bouramaya, au cimentière de Bambéto, à la résidence d’Andrée Touré et enfin au Stade du 28 septembre. Puis, il a restitué aux héritiers du Responsable suprême de la Révolution, la résidence de Bellevue. Aucun faux pas jusqu’ici.
Au contraire, le populo applaudit celui qui l’a débarrassé de l’inefficace Alpha Grimpeur. Mais vlan, voilà le coup de canif dans le contrat social entre le colonel et le populo ce jeudi 16 décembre. L’aéro-hangar de Conakry Gbessia, par un décret du Président de la Transition, est désormais baptisé Aéroport International Ahmed Sékou Touré. Le Premier ministre Mohamed Béavogui est sidéré, mécontent. Beaucoup de guinéens s’étonnent, s’offusquent et s’interrogent sur l’opportunité d’un acte porteur, à n’en pas douter, de controverses évidentes, qui intervient aussitôt après la restitution du domaine de Bellevue à la famille Touré. Si Ahmed Sékou Touré a été le fer de lance de la décolonisation, en Guinée, on ne peut pas occulter l’apport inestimable des centaines de femmes et d’hommes à la lutte qui a abouti à l’indépendance de la Guinée. On ne peut pas non plus oublier qu’une fois le méchant colon blanc s’en est allé, Sékou Touré, aidé de ses frères, beaux-frères et cousins, s’est mué en despote implacable, féroce et cruel.
Beaucoup de ceux qui ont construit avec lui le PDG-RDA, risqué leurs jobs, voire leur vie, sacrifié leurs familles, ont été torturés, passant fréquemment de vie à trépas dans des geôles qui rappellent celles de la Gestapo et du KGB, où la gégène et bien d’autres moyens de tortures ont été utilisés. La quasi-totalité de ses camarades de lutte (conseillers territoriaux, maires, etc.) qui l’ont applaudi à tout rompre, le 25 août 1958, lors de sa mémorable adresse au Général De Gaulle, à l’Assemblée territoriale sont morts en ces tristes et lugubres lieux. Piteusement, misérablement, la mort dans l’âme, pour rien. Car ils n’ont souvent exprimé qu’une opinion qui n’est pas celle du chef. Or, dans ce régime politico-policier, dominé par la pensée unique, il n’est point besoin d’être un frondeur pour devenir un rabat-joie du Camarade Président et conséquemment un « comploteur », un « membre de la 5è colonne », un « apatride » dont la place est la taule et le destin, la mort.
Ainsi, la pendaison, la diète et le peloton d’exécution ont été utilisés pour physiquement liquider les hommes et les femmes qui n’ont pas épousé à un moment ou à un autre, les options politiques, économiques, sociales et culturelles du parti, c’est-à-dire celles de son premier responsable. Koumandian Kéïta, Kaman Diaby, Magassouba Moriba, Barry Diawadou, Barry Ibrahima III, Gnan Félix Mathos, Diallo Telli, Camara Bangaly, Camara Loffo et bien d’autres ont malheureusement péri de cette scabreuse manière.
Le régime de Sékou Touré a provoqué trop de peines, de douleur, de profondes blessures qui sont encore ouvertes. Il a fait trop du bien pour qu’on en dise du mal et trop de mal pour qu’on en dise mal, comme dirait l’autre. A dire vrai, il est prématuré de poser un acte aussi délicat. Au lieu de conforter la cohésion sociale et l’unité nationale, il peut les fragiliser et effilocher le tissu social déjà bien usé.
Abraham Kayoko Doré