Profondément divisés sur l’attribution du nom d’Ahmed Sékou Touré à l’Aéroport International de Conakry-Gbessia, les Guinéens semblent bien d’accord, ils continuent à envelopper, d’un silence des plus épais, deux figures de l’histoire politique de notre pays, deux figures qui auraient dû mériter une meilleure reconnaissance de notre part. Il s’agit de Yacine Diallo et de Mamba Sano
Yacine Diallo est né en 1897 à Toulel Nouma, Fouta-Djallon. Son père, Alfa Bakar Numa, était un érudit, conseiller du roi Alpha Yaya Diallo de Labé, puis chef de canton de Koura Mangui, aujourd’hui, l’une des 13 sous-préfectures de la Région de Labé. Yacine Diallo a fréquenté l’école coranique puis l’école française de Kouroula, située juste en face du siège de la préfecture de Labé.
En 1914, il entre à l’école normale des instituteurs William Ponty. Il en sort en 1917, titulaire du Diplôme d’Aptitude Professionnelle. Il enseigne à Pita en 1917, Kissidougou en 1919, au Cours normal de Conakry en 1920, de 1924 à 1936 à Coyah, Guéckédou, N’Zérékoré, Kindia. De 1936 à 1942, il est chargé de l’enseignement de la musique, de l’histoire, de la géographie et du dessin à l’école primaire supérieure Camille Guy à Conakry, avant d’occuper les fonctions de Directeur de l’école urbaine de Conakry. Il participe à la création de l’Amicale Gilbert Vieillard en hommage à l’administrateur–ethnologue, spécialiste des Peuls. Il crée et anime les journaux Le Progrès Africain et Honneur et patrie.
Engagé politiquement, il fonde le Mouvement socialiste africain, affilié à la SFIO (Section française de l’Internationale Ouvrière) et l’Union franco–guinéenne. Il milite également au sein du RDA. Il est élu premier député guinéen à l’Assemblée nationale constituante au sein de laquelle il occupe différentes fonctions politiques : conseiller de l’AOF à Dakar, conseiller territorial à l’Assemblée de Guinée à Conakry, membre de différentes commissions parlementaires, député de la Guinée française de 1946 à 1954 et vice–président du groupe parlementaire. En tant que député, il œuvre particulièrement en faveur du développement d’infrastructures scolaires et industrielles en Guinée. Parmi les œuvres qu’on lui doit, figurent un certain nombre de manuscrits célèbres dont : Condition sociale de la femme en Guinée française ; A travers la famille indigène, L’art musical au Fouta-Djallon.
Yacine Diallo a été récipiendaire de nombreuses décorations parmi lesquelles la médaille de la Résistance française qui a été conférée à 65 029 personnes dont 25 722 à titre posthume, appartenant aussi bien aux Français libres qu’à la Résistance intérieure. Elle a été également décernée à dix-huit collectivités territoriales françaises, à vingt-et-une unités militaires des quatre armées et à quinze autres collectivités.
Mamba Sano est le fils d’un ancien garde dans l’administration coloniale. Il effectue sa scolarité primaire à Faranah et obtient son certificat d’études en 1916. Il poursuit ses études à l’Ecole primaire supérieure de Conakry où il a, comme professeur, un certain Yacine Diallo. Il est ensuite admis à l’école normale de William Ponty de Dakar (1918-1921).
En 1922, en tant qu’instituteur du cadre commun supérieur de l’Afrique Occidentale Française (AOF), il rédige une «réponse à Batouala », le célèbre roman de René Maran. Mamba Sano met en doute la véracité des scènes rapportées par l’auteur. Il s’indigne «des clichés» véhiculés par le roman. En 1931, il devient directeur d’école.
Comme Yacine Diallo, ils’engage en politique. Membre de l’Union Forestière, il est Conseiller général de la préfecture de Beyla de 1946 à 1952. Du 10 novembre 1946 au 4 juillet 1951, il siège à l’Assemblée nationale française comme député de l’Union républicaine et résistante. En mai 1947, il participe à la création du Parti Démocratique de Guinée (PDG), la section guinéenne du Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Le 27 septembre 1948, paraît le premier numéro du bi-hebdomadaire du Parti, Le Phare de Guinée, dont il est le directeur politique. Il quitte le PDG en octobre 1948. Il en est formellement exclu le 19 novembre suivant, pour avoir facilité l’élection de Raphael Saller aux dépens du sénateur sortant appartenant au RDA. Le malien, Madeira Keita, le remplace.
Le 28 juin 1949, il participe à la création du Comité de l’Entente Guinéenne. Le 17 juin 1951, au sein du parti Indépendants d’Outre-mer, il remporte les élections législatives contre la liste de Sékou Touré par 47,652 contre 31,071 voix exprimées.
En 1954, avec des anciens membres de l’Union forestière et de l’Union du Mandé, il participe à la création du Bloc Africain de Guinée (BAG), lequel fusionne en avril 1958 avec la Démocratie Socialiste de Guinée et la section guinéenne de la Convention Africaine, pour former la section guinéenne du Parti du Regroupement Africain (PRA) qui opte pour l’indépendance bien avant le PDG-RDA. Mamba Sano devient ainsi la bête noire de Sékou Touré et du RDA, qu’un certain François Mitterrand avait effectivement et discrètement réussi à placer dans le giron de l’administration coloniale depuis 1951. Il fallait à tout prix le battre aux législatives de 1956. Cette récupération, que certains appellent «le virage de 1951 du PDG-RDA», garde encore tous ses secrets.
Après l’indépendance de la Guinée proclamée par le président Sékou Touré en 1958, Mamba Sano se retire de la vie politique. Début 1963, il publie dans la revue Recherches africaines un article sur Alpha Yaya, « l’.indomptable qui incarna l’âme de la résistance nationale à Labé jusqu’en 1910 » et la genèse de l’hymne national de la République de Guinée. En octobre 1963, il accorde une interview à la Revue de l’éducation nationale dans laquelle il déclare : «L’élément catalyseur de notre système scolaire, celui qui en est désormais le moteur et l’épine dorsale, est certainement la mystique de réhabilitation de l’Afrique pour la régénération et épanouissement de toutes nos valeurs enfin retrouvées, décapées et rendues à leurs sources d’inspiration et de jaillissement natives.»
Avant sa mort, il confie au Professeur Ibrahima Baba Kaké la raison de son départ du RDA : «J’avais compris que le mouvement était noyauté par les communistes». Fallait-il partir ou rester ? L’histoire ne s’est pas encore prononcée.
Une synthèse de DS