La transition en Guinée est scrutée et le sera ainsi jusqu’à sa fin. Depuis que le Colonel Mamadi Doum-bouillant a commencé à désavouer son Premier ministre, les sceptiques ont bondi sur l’occasion pour affirmer que ce n’est qu’une question de temps pour connaitre ses vraies intentions. Après chaque décret, chacun y va de son latin. Le décret du 30 décembre 2021 portant sur la mission du ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation, (MATD) en est un. Pourquoi ce tollé et cette vague d’interprétations ?

L’article 1er du décret stipule : «Le ministère de l’Administration du territoire et de la Décentralisation a pour missions : la conception, l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de la politique du gouvernement dans le domaine de l’administration du territoire, de la décentralisation, de la promotion d’une citoyenneté responsable, de la cohésion sociale et du dialogue. A ce titre, il est particulièrement chargé d’élaborer les textes législatifs et réglementaires relatifs à l’administration du territoire à la décentralisation, et de veiller à leur application, d’élaborer les textes législatifs et réglementaires relatifs aux mouvements associatifs et organisations non gouvernementales et de veiller à leur application, d’assurer la tutelle des parties politiques, d’appuyer l’élaboration des textes législatifs et réglementaires relatifs au processus électoral, l’organisation des élections politiques et des référendums en République de Guinée, ainsi que l’établissement et la mise à jour du fichier électoral, de coordonner les actions de l’Etat dans les circonscriptions territoriales et les collectivités locales… ». Seulement voilà ! Cette partie du décret qui concerne le processus électoral, l’organisation des élections politiques et des référendums, l’établissement et la mise à jour du fichier électoral est mal interprétée par certains Guinéens. Pour eux, c’est un transfert des prérogatives de la CENI dissoute, mais qui devrait renaître après la mise en place du CNT, au MATD.

Si on s’en tient à leur compréhension, cela voudrait dire que le Colonel fait le pari de s’attirer les foudres des politiciens qui, il y a quelques jours, ont créé un forum de discussion et d’échange entre eux pour donner leurs avis et faire des recommandations sur les grandes questions de la Transition, notamment sa durée, l’élaboration de la constitution, la mise en place des organes en charge du processus électoral, la refonte ou toilettage du fichier électoral, le recensement général de la population. Mieux, il aurait également donné un autre pied de nez à son PM Mohamed le Béat de la Transition qui avait mentionné dans sa feuille de route, la mise en place d’un organe en charge de l’organisation des élections.

Or, c’est un secret de Polichinelle que la création d’une CENI en Guinée est consécutive au déficit de confiance au ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation qui a organisé les élections et le référendum de 1993 à 2005. Cette CENI a toujours eu du mal à avoir son indépendance actée dans la loi organique qui l’a créé. Et le MATD n’est pas étranger à cette mésaventure de l’institution électorale. Les différents ministres qui se sont succédé dans ce département ont toujours, dans leurs agendas officieux, la suppression de la CENI et le retour de l’organisation des élections politiques et des référendums dans leurs jurons. L’actuel ministre, Mory Condé, serait dans cette même logique. L’on nous apprend qu’il y a quelques semaines, il a pris langue avec le personnel technique de la CENI, sis à la Camayenne, commune de Dixinn. Dans ses échanges au siège même de l’institution, il aurait informé les cadres (en bois) que désormais l’organisation des élections et des référendums revient à son ministère, donc de facto le personnel de la future ancienne CENI revient aussi son tutelle. Ce qu’il n’a curieusement pas répété devant les caméras de la RTG, préférant plutôt parler de la dette de 52 milliards de francs glissants que traîne la CENI dissoute.

Sauf qu’à bien lire le décret du 30 décembre, il n’y a pas péril en la demeure, ni d’amalgame. Le rôle du MATD est bien clair : appuyer la future CENI dans l’élaboration des textes législatifs et réglementaires relatifs au processus électoral, l’organisation des élections politiques et des référendums en République de Guinée, ainsi que l’établissement et la mise à jour du fichier électoral, contrairement à ce que disent des médias. Il faut rappeler que cette relation a toujours existé entre le MATD et la CENI. Cette dernière étant un organe indépendant, le MATD est un partenaire technique privilégié par rapport à tous les autres départements ministériels. Il est le premier partenaire sur le terrain, parce que c’est la tutelle des chefs de quartiers, des communes et les démembrements de la CENI travaillent avec lui.

Il paraît qu’à chaque mission de l’ancienne CENI, il y avait toujours un cadre du ministère du MATD dans chaque équipe de missionnaires, dans les circonscriptions électorales du bled.

L’amalgame sur ce prétendu transfert des prérogatives du futur organe indépendant devant organiser les élections et le référendum est savamment orchestré pour jauger l’opinion publique nationale et internationale, avant la mise en place du CNT qui devra voter une nouvelle loi sur l’organe de gestion des élections en Guinée. Si cela passe dans l’opinion, ne soyez pas étonnés demain que le futur CNT renvoie l’organisation des élections politiques et des référendums au MATD, qui ne rêve que de ça. Eh, oui ! Qui est fou ?

Abdoulaye S. Camara