Unique école professionnelle de type B dans son domaine en Guinée, le Centre d’éducation à l’environnement et au développement (CEED) de Kinkon meurt à petit feu. Logée dans les bâtiments de l’ancienne ENI de Pita construits depuis 1966, elle n’a pas connu de rénovation et donc manque de tout. Enseignants et étudiants lancent un cri de détresse aux autorités qui promettent de réagir.
«Si vous ne vous occupez pas de l’environnement, l’environnement s’occupera de vous rapidement et durablement», peut-on lire sur le mur d’une des deux insalubres salles de classes fonctionnelles (sur dix) du vieil établissement perdu en pleine brousse de Kinkon. Quoique suffisamment claire, jusque-là la mise en garde laisse indifférents l’Etat et les populations locales. Les responsables de l’école et la cinquantaine d’étudiants (recrutés par voie de concours dans les quatre régions du pays) font pousser des pépinières de Mélina et d’Acacia mangium à titre pédagogique mais également pour reboiser notamment les berges du fleuve Kokoulo sur lequel est aménagé le barrage hydroélectrique de Kinkon. «Le Mélina et l’Acacia sont des essences à croissance rapide beaucoup recommandées dans le pays», explique Alhassane Baldé, directeur général du CEED (Centre d’éducation à l’environnement et au développement) de Kinkon.
En même temps, un feu de brousse déclenché à côté par un mégot de cigarettes non éteint jeté sur la paille sèche ou une flamme délibérément allumée pour assainir. Non loin de là, des gros trous béants de carrières de sable menacées d’effondrement retiennent des flaques d’eau verdâtre. Décision feu de paille fut celle de l’ancien ministre de l’Environnement Oyé Guilavogui qui en avait interdit l’exploitation. La preuve en est qu’on a croisé un camion benne rempli de sable.
En ce début janvier (deux mois après la fin de la saison des pluies), si le barrage hydroélectrique de Kinkon a sa réserve d’eau encore pleine, c’est parce qu’une seule turbine sur quatre tourne. Les trois autres étant en panne. En matière d’électricité, la ville de Pita dépend donc beaucoup plus du réseau interconnecté national que de sa production locale. La nuit, la tension est déjà faible dans les ménages. «Le barrage joue un rôle important, d’où l’impérieuse nécessité de protéger la tête de source du fleuve Kokoulo qui se trouve à Dara-Labé. Il fait face à d’énormes menaces environnementales : feu de brousse, déboisement, érosion… Les activités de l’école peuvent réduire les impacts», interpelle Lanceï Camara, chargé des stages et des cours de biodiversité et de gestion des ressources naturelles, pour souligner l’importance du CEED.
La filière météo n’est plus enseignée
La Guinée doit en grande partie son appellation «Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest» au Fouta, d’où partent de nombreux cours d’eau qui irriguent la sous-région. L’enjeu environnemental y est plus grand. Le Centre d’éducation à l’environnement et au développement de Kinkon a été ainsi créé par décret de Lansana Conté du 24 avril 1997, remplaçant l’ENI (Ecole nationale d’instituteurs) fondée en 1966. L’établissement est situé dans le secteur de Linguérin, district de Bourkadjè, sous-préfecture de Sintaly. Unique école professionnelle de type B dédiée à l’environnement en Guinée, bâtie sur un site de deux hectares, le CEED fonctionne avec un régime d’internat qui implique une prise en charge des étudiants. Il est relié au centre-ville de Pita par une piste de sept kilomètres que parcourent les huit enseignants titulaires pour aller dispenser les cours. Ils sont complétés par treize vacataires. L’école est en partenariat avec le CERE (Centre d’étude et de recherche en environnement) de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry.
Seuls deux groupes pédagogiques fonctionnent : la 1ère année (26 étudiants dont six filles) et la 2e année (30 étudiants dont trois filles) Environnement. La filière Météorologie a quant à elle fermé depuis belle lurette, faute de personnel enseignant et d’équipements. «La plupart des professeurs étaient des contractuels. Quand on a arrêté de les payer, ils n’ont plus dispensé les cours», explique Lanceï Camara. «On ne peut pas parler de météo sans équipements», remarque le DG Alhassane Baldé. Même la voix du célèbre Texan Camara, qui présentait autrefois la météo sur la RTG, s’est tue. Sans que la relève ne soit assurée. Il est plus facile de reprendre les données d’ailleurs.
Dégradation très poussée
Bâtiments dans un état critique, sans équipements, bibliothèque vide et fermée, infirmerie sans infirmier ni médicaments, dortoirs délabrés, l’unique forage d’eau à l’arrêt… «Nous prenons du café le matin, parfois sans pain, mangeons du riz à midi et le soir en alternant entre deux sauces : feuilles de manioc et de patate. Ceux parmi les étudiants qui n’aiment pas cette recette sont obligés de se débrouiller autrement», confie Sâa Gaspard Kamano, étudiant. Les étudiantes, moins nombreuses, sont mieux logées et, quantitativement, plus nourries. Elles s’en plaignent moins.
«Nous manquons surtout de moyens de déplacement. Un minibus par exemple nous permettrait de nous rendre sur le terrain pour les voyages d’étude, les stages pratiques», explique de son côté le directeur général du CEED. «Nous souhaiterions que l’Etat nous assiste en terme d’insertion socioprofessionnelle et pour la rénovation de l’école qui est dans un état de dégradation très poussée. On ne peut pas étudier dans des telles conditions», insiste un autre étudiant qui a requis l’anonymat.
Les cours dispensés en Environnement portent sur la biodiversité, le droit de l’environnement, l’étude d’impact environnemental, eau, hygiène et assainissement, écologie… Après un cursus de deux ans, les étudiants sortent avec un BTS en Environnement. La fonction publique, les ONG, les sociétés minières sont entre autres points de chute.
L’assurance du ministre Alpha Bacar
Interpellé, le ministre de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle s’est voulu rassurant : «Nous avons planifié dans le budget 2022 une rénovation du CEED de Pita. Mais le plus important, c’est de rénover les programmes de formation, de créer de nouvelles filières plus actuelles, plus porteuses dans le domaine de l’environnement. C’est un domaine extrêmement dynamique qui évolue rapidement et donc de nouveaux métiers apparaissent». Quant à la disparition de la filière météorologie des programmes d’enseignement du CEED, Alpha Bacar Barry précise : «Tout ceci est la conséquence d’un manque de veille sur cette école d’une grande importance. Je pense que dans le domaine de la météorologie, il y’a de nouveaux programmes et de nouveaux équipements qui existent et nous comptons les acquérir et les mettre à la disposition de l’école». Et le ministre de conclure sur les préoccupations des étudiants relatives à la qualité de la nourriture et de l’emploi : «Ils sont dans les mêmes conditions que plusieurs autres écoles à régime d’internat. Une attention particulière sera portée sur la question de l’insertion : un dialogue dynamique devra être engagé avec les employeurs. Il faudra aussi explorer l’auto-emploi et les emplois avec les organisations de la société civile».
Le directeur général du CEED Alhassane Baldé a promis de se battre pour davantage diversifier les recettes servies aux étudiants. Ainsi soit-il.
Diawo Labboyah Barry,
Envoyé spécial