A l’occasion des 30 de votre satirique, nous vous livrons des entretiens avec certains membres de l’équipe, ceux de l’ombre, mais qui pourtant contribuent à la fabrication du Lynx. Parmi eux, il y en a qui ont une carrière aussi longue que l’existence du journal, d’autres, moins…
Mohamed Lamine Soumah alias Slim, service illustration
J’ai commencé au Lynx en 1994. Le début n’a pas été facile parce que je suis un artiste réaliste. Alors qu’ici il faut faire la caricature. Mais j’ai trouvé des gens qui m’ont apprécié et assisté. En fin de compte je suis dans la caricature.
Comment faites-vous pour résumer un texte en une image ?
C’est devenu une profession. Mais le plus souvent, les gens, s’ils veulent une image, ils expliquent ce qu’ils veulent. Sinon, on vous donne un texte. J’étais déjà initié à cela quand j’arrivais. Donc, on reçoit le texte, on le lit et il faut bien comprendre le texte pour pouvoir l’illustrer. Maintenant, je fais moins de bulle, je m’efforce de faire parler l’image de sorte que celui qui la voit dise ce que le texte dit.
Avez-vous rencontré des difficultés dans votre travail ?
Quand je venais de commencer, certains amis et connaissances qui ont su que je travaille au Lynx n’appréciaient pas. Ils cherchaient à me dissuader en disant que c’est la boite de tel, pourquoi es-tu là… je savais que c’est une boite qui est là pour tout le monde, pas pour une seule ethnie. je leur faisais comprendre cela. Moi, c’est ce genre de difficultés que j’ai rencontrées, mais je sais que le journal en a eu beaucoup à ses débuts et pendant un moment de son parcours.
Quels sont vos souvenirs inoubliables ?
Mes souvenirs, c’est presque ma présence quotidienne. Je suis habitué au Lynx. J’ai eu la chance, à travers Le Lynx, d’atteindre les Etats Unis. Quand j’étais là-bas, à chacun de mes séjours en Guinée, je venais participer au bouclage du journal. Et quand j’ai décidé de rentrer, dès que je suis venu, le patron m’a reçu. Ça fait partie de mes souvenirs et grâce au Lynx j’ai pu préparer mon avenir et celui de mes enfants qui sont installés maintenant aux Etats-Unis.
Vous travaillez au Lynx tout comme votre épouse…
Oui, très intéressant ! J’étais maquettiste à l’usine de textile de Sanoyah. Quand l’usine a fermé, on s’est tous retrouvés au chômage. Je suis parti au Lynx, on m’a testé, j’ai commencé à travailler. Le patron a eu confiance en moi. Finalement, j’ai cherché un stage au Lynx pour ma femme qui avait une formation de secrétaire. Elle a été acceptée et nous sommes tous ici depuis. Elle était là pendant mon absence du pays jusqu’à maintenant. C’est dire que Le Lynx gère notre famille.
Que souhaitez pour Le Lynx ?
C’est que le journal continue de vivre. C’est ici qu’on vient se mouvoir. On est habitués, nous souhaitons que le journal marche. On avait eu des problèmes ici au temps du Covid-19, mais on continuait de venir, parfois à deux personnes pour boucler. Ce qui veut dire qu’on tient à ce que le journal aille de l’avant.
Mamadou Fodé Diallo alias capitaine, service commercial
J’ai commencé au Lynx en 1992. J’étais à Abidjan où je vendais les journaux Fraternité matin et Ivoire soir. Quand Monsieur Diallo Souleymane a créé Le Lynx, il m’a demandé si je veux venir travailler avec lui. J’ai accepté. J’ai commencé par N’Zérékoré, on voulait voir si le journal peut marcher à l’intérieur du pays. Je suis resté quatre mois mais le journal n’a pas marché comme on voulait. Je suis venu au service commercial à Conakry et j’y ai trouvé avec MM. Bailo Diallo et Cellou Diallo. Le Lynx était imprimé à Abidjan. M. Ousmane Gaoual assurait le suivi du journal à Abidjan. Il recevait et déposait les cansons à l’imprimerie et récupérait le journal et l’embarquait pour Conakry dans le vol qui est prêt.
Comment vous vous y preniez pour que Le Lynx soit lu en Guinée le lundi ?
La rédaction boulait le journal le jeudi. Il arrivait qu’on passe la nuit à la rédaction. Les cansons devraient être embarqués le vendredi à 8h pour Abidjan. Quand l’impression finit à Abidjan M. Ousmane Gaoual fait le colis et l’embarque dans le vol qui est prêt.
Ousmane Gaoual, c’est celui qu’on connait actuellement ?
(Rire) Ce n’est pas celui de l’UFDG. Lui, c’est M. Sow Ousmane Gaoual. Parmi les compagnies il y avait Air Ivoire, Air Guinée, Air Zaïre, Nigeria Airways, Air Afrique. Donc, il faut compter sur la disponibilité des vols, mais aussi de l’impression du journal. Il arrivait qu’il y ait des imprévus. On reçoit donc le journal à l’aéroport. Il est arrivé qu’on y passe la nuit. Air Zaïre par exemple venait toujours en retard.
Est-il arrivé qu’à cause d’un retard que le journal ne soit pas lu en Guinée le lundi ?
Oui, le n°18 dont la Une portait sur le sommet de Rio. Le journal a été embarqué sur Air Zaïre. Comme le siège du lynx s’appelait immeuble Baldé Zaïre, ils ont pris le mot Zaïre comme Zaïre (Kinshasa). L’avion est venu jusqu’ici mais le journal est reparti pour le Zaïre. C’est quand ils ont regardé les étiquettes qu’ils ont compris que c’est Conakry la destination. Le journal n’est revenu que mardi.
Comment se faisait la distribution ?
Elle était un peu compliquée. Petit-à-petit, les gens s’y sont habitués. Au début d’ailleurs beaucoup confondait Le Lynx au journal Horoya qui était le seul connu ici.
Quand on vendait le journal ou l’envoyait chez les abonnés, ceux qui ne savent pas lire nous insultaient à la vue des caricatures du président Conté. Ils ne supportaient pas de voir ces images.
Ils vous insultaient dans la rue ou dans les bureaux ?
Oui, dans la rue, mais aussi parfois dans les bureaux, Il n’y avait pas d’ouverture d’esprit, de tolérance chez certaines personnes.
Le jour où le journal arrivait en retard, on faisait le coli à l’aéroport. Ce qui va à l’intérieur on envoie directement à la gare routière. Un jour, on a envoyé un coli pour Mamou, celui qui l’a reçu l’a déposé à la préfecture, pensant que c’est Horoya. Pour eux, c’est le gouvernement qui le leur a envoyé.
Et après ?
On a contacté notre vendeur, on lui a bien expliqué que ce n’est pas Horoya, c’est un journal privé qui ne peut être distribué gratuitement.
Quels sont vos souvenirs inoubliables au Lynx ?
Quand je venais ici il y avait des personnes très ouvertes, qui aimaient dialoguer, s’amuser. Je me rappelle Kéita Assan Abraham le KAA, Alassane Diomandé, Sékou Amadou, Thierno Diallo, Prosper Doré, Williams Sassine, et Hadj Ibrahima Pathé. Et puis, tout récemment, Mohamed Diallo qui nous ont quitté. Que Dieu leur pardonne.
On vous appelle ici Capitaine. Comment ce titre vous a-t-il été attribué ?
On m’appelle capitaine parce que je suis toujours au Lynx. Depuis 30 ans, chaque jour je me lève à 5h du matin, et à 7h, je suis au bureau. Quand il y a des petits problèmes, et que je peux résoudre je résous. Tels que les petits bons des reporters. Un jour, je suis allé au village, il parait que j’ai beaucoup manqué au personnel. Quand je suis revenu, tout le monde a applaudi. Oscar a dit: «Ah, le Capitaine est revenu». C’est ainsi qu’on m’a collé ce sobriquet.
Mais certains journalistes vous reprochent de renvoyer souvent le paiement de leur bon à plus tard.
(Rires) Si je n’ai pas de liquidité, je ne peux pas payer. Je leur dis d’attendre.
Quels sont vos souhaits pour Le Lynx ?
Mon souhait est que le Groupe aille de l’avant. Que tout le monde travaille pour que ça marche. Que certains ne fassent pas semblant de travailler pour profiter des efforts des autres.
Je remercie les lecteurs et leur demande de continuer à lire le journal. Certes, il y a l’internet, mais le journal, si vous ne le détruisez pas, vous pouvez le garder autant que vous voudrez. Je souhaite heureux anniversaire au Lynx pour ses 30 ans. Longue vie à l’Administrateur, à toute l’équipe et à l’ensemble des collaborateurs qui ont contribué au rayonnement du Groupe.
Abdoulaye Mouctar Diallo alias Abdallah, service informatique
Je travaille au service informatique qu’on appelle ici «Salle des machines». Paix à l’âme du KAA, Kéita Assan Abraham, qui nous a collé ce nom, parce dans notre ancien bureau, nous étions dans la dernière salle dont l’accès était presqu’interdit aux membres de la rédaction y compris le KAA. Diallo Souleymane, Yala Le Gros Lynx, ne l’acceptait pas. C’est pourquoi au finish, le KAA appelait notre bureau: la salle des ‘’machines’’.
Comment êtes-vous venu au Lynx ?
J’ai commencé par des stages en informatique pendant que j’étais étudiant, lors des vacances. Et depuis septembre 2000, je suis salarié du Groupe.
L’ambiance qui y régnait m’a poussé à rester. Or, j’avais le choix. J’ai un grand-frère qui travaillait à PRIDE Guinée qui m’avait proposé d’y aller, mais j’ai choisi de rester au Lynx. C’est vrai, dès que tu arrivais, le Gros te disait: «Si c’est pour l’argent, il ne faut pas choisir Le Lynx, parce qu’il n’y a pas d’argent ici». Mais l’ambiance, le fou rire, l’intégration rapide et le rêve d’évoluer m’ont amené à rester. Il n’y avait pas de barrière entre les membres de l’équipe. On ne distinguait pas le Directeur de publication du Red-chef, ils n’étaient pas d’un abord difficile. Il n’y avait pas de téléphone mobile comme c’est le cas maintenant, ni de télés et radios privées. Une fois au bureau, on chahute tous comme des amis, sans barrière. Et avec Monsieur Diallo, dès que tu commences à raconter un événement auquel tu as participé, que tu sois informaticien ou secrétaire, il te demande d’en faire un article. Ainsi, plusieurs fois, il m’est arrivé, bien qu’informaticien, de produire des articles. Feue Madame Diallo Bintou, paix à son âme, en faisait autant. Elle était pourtant du secrétariat.
Comment fonctionne votre service ?
Dans ce sens, Le Lynx a vraiment évolué. Avant, ce sont les secrétaires qui saisissaient les articles manuscrits des journalistes. Après, l’article était remis à son auteur pour relecture, ensuite il le remettait au service de correction. Nous reprenons l’épreuve corrigée pour le report, mise en page et impression sur morasse. Les correcteurs revoient la morasse, avant qu’on ne tire sur le film qu’on appelle canson. C’est ce qu’on envoie à l’imprimerie. Le processus était trop lent à cause des vieilles machines qu’on avait, mais la même procédure continue.
Je parle d’évolution, parce qu’on pouvait boucler le journal à 23h, mais pour tirer les quatre couleurs de la Une, on peut rester là jusqu’au petit matin. Le courant pouvait partir pendant qu’on’imprimait. Quand on allume le groupe ou que le courant revient, il fallait tout reprendre. Mais maintenant, dès qu’on lance l’impression, vous avez le film tout de suite.
Votre message aux lecteurs ?
Je demande aux gens de lire. La lecture est importante.Quelqu’un a dit que la nourriture de l’esprit est la lecture. Dans le journal, il y a l’information mais aussi la formation.
Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
C’est quand je voyais des grandes personnalités venir au Lynx. Des opposants à Fory Coco comme Bâ Mamadou, Jean-Marie Doré, Alpha Condé, Sidya Touré. Il y avait aussi des ministres et des personnalités qui venaient écrire leurs textes dans nos locaux. Monsieur Diallo nous réquisitionnait pour rester à leurs côtés, pour les assister. Malheureusement, dès qu’ils obtenaient des postes, ils ne revenaient plus (rires).
Que souhaitez au Groupe ?
Je souhaite qu’il s’en sorte. Je vois la disparition du journal papier à cause du développement des NTICs. Je souhaite que l’on crée des conditions pour que Le Lynx, le journal papier, gardent le cap.
Propos recueillis par
Th Hassane Diallo