Il faut espérer que cette crise trouve un dénouement heureux au plus vite.
Je déplore et condamne l’acte de Vladimir Poutine. Cependant, vue sous l’angle de la géostratégie, je comprends la position de l’homme au sourire impossible. Après la chute du mur de Berlin en 1989,  le Pacte de Varsovie qui était le contrepoids de l’OTAN, a cessé d’exister dès le début des années 90. Cette rupture a créé « le déséquilibre de la terreur » À contrario, l’OTAN a continué d’exister et de fonctionner comme si le vaste empire soviétique et le bloc communiste survivaient encore. Pire, l’OTAN a cherché à s’ouvrir aux anciens pays membres du défunt Pacte de Varsovie, se rapprochant géographiquement de la Russie, seule héritière de l’ancien « Bloc soviétique » et fier résidu d’un communisme à jamais révolu.
Stratégiquement, cette  expansion de l’OTAN (qui n’a plus sa raison d’être), constitue une menace stratégique pour la Russie.

Du point de vue économique, l’ouverture de l’Union Européenne à certains anciens alliés et anciens membres de l’Union soviétique constitue une autre menace du peu d’espace d’influence de la 2ème puissance du monde. En d’autres termes, les États-Unis et leurs alliés européens (l’EU) « veulent anéantir » ce qui reste de l’ancien Bloc soviétique incarné aujourd’hui par la Russie. L’objectif recherché est l’existence d’une seule puissance, les États Unis en l’occurrence, et ses alliés qui pourraient imposer leur diktat hégémoniste sur le monde, un monde régenté par une seule puissance, une seule vision.
À ce moment, tous les pays du monde seront soumis à la volonté des États-Unis et de leurs alliés. Ainsi, beaucoup de pays s’effriteront comme la Libye, à défaut d’être les sujets de la seule puissance régnante. Le Droit international deviendra le droit des États-Unis et de ses alliés, avec la désinvolture à la manière d’un Trump ou d’un Sarkozy. Ces pays-là feront du reste du monde leurs provinces, leurs sous-préfectures, pour parler comme Dadis. C’est pourquoi, l’OTAN continue d’exister et cherche à être présente aux portes de la Russie par la Géorgie, la Biélorussie, le Kazakhstan… L’Ukraine qui était la 2ème puissance de l’ancienne URSS est l’ultime étape de ce processus. Poutine qui a bien compris ce manège, s’y préparait.
C’est la même raison qui emmène l’Union européenne à poser les pions de son rapprochement à l’Ukraine. L’élection de l’actuel Président ukrainien, hostile à la Russie et très ouvert au monde occidental, aura été l’occasion de précipiter la distanciation de ce pays avec le grand-frère russe. La future adhésion soupçonnée de l’Ukraine à l’OTAN et à l’Union Européenne est une menace réelle pour la Russie qui demeure le contrepoids des États-Unis dans la géopolitique et la géo stratégie du monde actuel.

Il convient de rappeler que le régime syrien serait tombé comme celui de la Libye si la Russie avait perdu de sa puissance et de son aura. La Palestine aurait disparu si la Russie n’existait pas. L’apartheid serait encore en vigueur en Afrique du Sud si la Russie n’avait plus de poids au Conseil de Sécurité de l’ONU. La décolonisation du tiers-monde aurait tardé si la Russie n’était pas présente au Conseil de Sécurité de l’ONU. Autant de biens que l’équilibre de la terreur a servis à notre monde.

Le Président ukrainien a fait preuve de maladresse infantile, en affichant son hostilité à la Russie lié à son pays par la géographie, la sociologie et les liens séculaires, et en affichant sa volonté de se rapprocher des ennemis du grand cousin. Vouloir intégrer l’Union européenne et avoir des accointances, voire des alliances avec l’OTAN, c’est exposer le grand-frère à ses ennemis jurés. Le Président ukrainien a peut-être oublié que 17% de sa population sont constitués de Russes. Il a peut-être mis de côté le fait que  beaucoup de ménages ukrainiens sont fondés par des couples russo-ukrainiens. Il n’a dû tenir compte que les provinces ukrainiennes du nord-ouest sont quasiment russophones. Il a négligé peut-être le cas récent de la Crimée que la Russie lui a reprise sans coup férir, ou presque. Sans compter que la Russie demeure la 2ème puissance militaire et nucléaire du monde. Il a également oublié que Poutine, c’est cet homme puissant qui a vu défiler les 4 derniers Présidents américains devant lesquels il n’a jamais courbé l’échine. Il a enfin oublié que les deux locomotives de l’Union européenne, la France et l’Allemagne, ne sont que des tocards pour Poutine.
Autant de réalités qui devraient inspirer le jeune président ukrainien pour une démarche souple et plus mature devant le conduire, au pire des cas, à une neutralité entre les deux courants antagoniques de la géostratégie actuelle.

En bravant Poutine et la Russie, il a exposé son pays à une situation d’effritement qui risque de démembrer l’Ukraine pour toujours. Les provinces russophones indépendantistes qui sont subitement devenues « indépendantes », par la volonté de Poutine, sont le résultat de sa maladresse et de son  amateurisme politiques. Ce que la Russie fait en Ukraine est moralement condamnable. D’autant plus condamnable que la Russie est membre du Conseil de sécurité de l’ONU.

Alors, que dire de ce que les États-Unis et la France de Sarkozy ont fait en Libye en 2011, avec les conséquences encore dévastatrices sur l’Afrique sub-saharienne ? Notre monde évolue de plus en plus en fonction des intérêts économiques et stratégiques, sans aucune morale au sens noble du terme. Ne soyons pas étonnés que la Chine fasse débarquer son armée à Hongkong ou à Taipeh pour reconquérir ces territoires par les muscles.

Poutine ne veut pas voir l’OTAN aux portes de la Russie, tout comme les États-Unis ne veulent pas sentir l’odeur du communisme à ses portes. Ce n’est pas négociable : ni pour l’un ni pour l’autre ! Poutine est capable d’appuyer sur le bouton rouge et dire que la Russie dispose de bombes qui équivalent chacune, 11 fois celle d’Hiroshima ! D’où sa détermination d’aller jusqu’au bout. Ce n’est pas pour rien que le Président américain, Joe Biden, ne veut pas envoyer ses soldats en Ukraine.

En réalité, ce n’est pas l’Ukraine que Poutine combat. C’est le Président ukrainien, le pion de l’Occident, qu’il veut chasser pour asseoir un homme et un gouvernement proches et fidèles à la grande Russie ou nostalgiques de l’ancien Empire soviétique. N’est-ce pas ce que la France a toujours fait dans ses anciennes colonies ? N’est-ce pas ce que les États-Unis ont toujours fait ailleurs dans le monde ?

Il n’est pas évident que l’occupation de l’Ukraine finira le jour que l’actuel président de ce pays quittera le pouvoir de gré ou de force. Même si je ne partage pas la vision de Poutine, c’est comme ça je comprends la démarche de Vladimir. C’est comme cela je perçois cet événement au regard de la réalité du monde contemporain et des courants de pensée qui l’animent.

Notre monde est malheureusement de plus en plus bigarré, de plus en plus féroce, de plus en plus vorace. La loi de notre monde tend à être celle du plus fort, hélas ! Quelle est alors l’utilité de l’ONU dont les garants sont les premiers à redonner à l’humanité les instincts animaliers des sociétés de naguère ? Les plus puissants sont les premiers destructeurs de la nature, les premiers violeurs du droit international et des conventions multilatérales !
Les premiers destructeurs des plus faibles ! Lorsque l’animalité tend à supplanter la civilité, on est en droit de se demander où va le monde.

Ibrahima Jair Keita