La transition en cours traverse une zone de turbulence, aussi les organes suprêmes de l’État ont-ils faire montre de transparence pour rassurer le peuple guinéen sur un certain nombre de sujets, au rang desquels la publication de la liste des membres du CNRD. La composition de cet organe solennellement consacré de la Charte de la transition reste inconnue du peuple de Guinée. L’article 37 de cette Charte dit : le CNRD « … est composé des éléments des forces de défense et de sécurité de la République de Guinée… » Il n’est pas besoin d’avoir fait la Sorbonne ou Harvard pour comprendre que cette disposition n’est pas satisfaisante et nécessite d’être complétée ou précisée.
C’est un principe, on ne peut gouverner un État de la taille de la Guinée et rester tapis dans l’ombre.
Surtout, le contexte des tensions qui refont surface dans le pays et des éventuels dérapages qui pourraient intervenir, rend indispensable le besoin pour le peuple de se joindre à l’appel du FNDC pour exiger du CNRD la publication de la liste de ses membres. Sans être exhaustif, voici quelques raisons qui font de la connaissance des membres du CNRD une nécessité absolue :
La première raison est d’ordre politique
Elle découle du fait que chaque gouvernant doit rendre compte de sa gouvernance et assumer devant la nation et l’opinion publique les actes posés. C’est de la responsabilité politique. Le Colonel Mamadi Doumbouya ne peut, et ne doit pas être le seul à répondre de tous les manquements du régime transitoire. Gouverner dans une forme de clandestinité, telle une mafia, est extrêmement dangereux pour le pays tout entier. De surcroît, la junte militaire nous a promis qu’aucun de ses membres ne serait candidat aux prochaines échéances électorales. Belle promesse ! Mais comment le peuple de Guinée peut-il vérifier le respect de cette promesse sans connaître les membres du CNRD. Il en va de la cohérence avec ce contrat moral qui lie désormais la junte militaire à son peuple. Les Guinéens doivent prendre les autorités au mot et exiger que cette promesse soit respectée. Or pour s’assurer de son respect, le peuple doit savoir qui fait partie du CNRD.
Imaginez un instant le scandale que représenterait un Premier ministre ou un président de la République qui souhaiterait rester dans l’anonymat. Que dirons-nous à nos enfants dans quelques années quand il sera question d’aborder cette période de l’histoire du pays ? Mon fils, ma fille, du 05 septembre 2021 à telle date, le pays a été dirigé par des inconnus ? Le CNRD est « l’organe central de définition et d’orientation stratégique de la politique économique, sociale, culturelle et de développement du pays », il est supérieur au gouvernement et au CNT dans le processus de prise de décision de cette transition, et on veut nous faire avaler que cet organe peut rester dans l’anonymat. Il n’est malheureusement pas souhaitable pour nos concitoyens de continuer à ignorer qui et qui siègent en son sein. Question de principe encore.
La deuxième raison est d’ordre juridique, à double volets
En premier lieu, si la légalité des actes pris collégialement par le CNRD ne pose pas nécessairement de question de droit, la question de la légalité des actes pris individuellement par ses membres pourrait se poser. Dès lors qu’aucune disposition règlementaire ou législative ne leur donne individuellement compétence à agir dans un domaine défini, tous les actes signés individuellement, au titre de simple membre du CNRD, risquent de faire l’objet de contestation et d’annulation à l’issue de la transition. Cette situation expose l’État à de nombreux contentieux et insécurise les autorités qui succèderont à la junte militaire.
Il faut souligner en outre la responsabilité juridique individuelle des membres du CNRD. La junte s’est lancée dans l’intimidation de la classe politique et de la partie de la société civile qui ne lui est pas favorable tout en refusant d’ouvrir un cadre de dialogue. Il est donc possible que des manifestations en réprobation de ces positions interviennent prochainement. Qui au sein du CNRD sera tenu responsable d’une éventuelle dérive ou répression sanglante de ces manifestations qui se profilent à l’horizon ? Quand on sait que la justice n’a toujours pas été rendue pour les citoyens guinéens tombés le 28 septembre 2009 ou à l’occasion de la lutte contre le 3ème mandat, il y a de quoi s’inquiéter. Or, il est une vérité universelle que l’homme se sent comme désinhibé pour prendre des décisions suicidaires quand il se sait à l’ombre des regards. C’est en cela que si ces putschistes n’ont pas de projets de répression sanglante des oppositions, alors ils doivent se montrer au grand jour et révéler leur composition.
De surcroît, la communauté internationale s’appuie sur de telles listes pour prendre des sanctions ciblées à l’encontre des dirigeants issus de putschs militaires afin d’éviter que le pays entier ait à subir les actes inconsistants d’une minorité. Est-ce que le CNRD cherche déjà à fuir les éventuelles sanctions individuelles qui viseraient ses membres ?
La troisième raison est d’ordre social
La non-publication de la liste des membres du CNRD peut conduire à un climat malsain de méfiance, de crainte, de suspicion et de peur aussi bien dans les rangs de l’armée que dans la population. N’importe quel soldat pourrait par exemple se réclamer du CNRD et obtenir des faveurs ou terroriser de paisibles citoyens. On ne saura plus qui est qui. Une technique digne des nébuleuses terroristes !
La quatrième et dernière raison relève de la déontologie
Le CNRD a relevé des questions liées à l’éthique et la morale notamment dans le cadre des opérations de récupération des biens de l’État. Noble démarche ! Toutefois, le peuple doit s’assurer que ceux qui se font passer pour des censeurs donnent le bon exemple. La connaissance des membres du CNRD permettra à chacun de se faire personnellement une idée de leur moralité et surtout pour que chacun d’entre eux fasse la déclaration de leurs biens. Il est du droit du peuple de Guinée de s’assurer que les membres du CNRD ne s’enrichissent pas sur son dos au même moment qu’ils disent combattre la corruption, refonder l’État et rectifier les institutions de la République.
Le soutien que le peuple de Guinée doit manifester à l’égard de la démarche du FNDC pour obtenir la publication de la liste des membres du CNRD s’inscrit ainsi dans le besoin de transparence minimale inhérent à la vie publique.
Trois propositions pour faire connaitre cette liste
La première, du seul ressort du CNRD, serait qu’il entende raison et fasse connaitre volontairement les membres qui le composent. Dans ce cas, il pourrait même s’agir de révéler la liste des seuls membres qui composent l’organe décisoire : une sorte de comité exécutif du CNRD, en précisant exactement les rôles individuels dévolus à chacun d’entre eux.
La deuxième solution, à défaut de la première, serait que le CNT se saisisse de la question pour adopter une disposition législative qui rendrait obligatoire la publication de cette liste des membres du CNRD avant une date butoir qui serait clairement indiquée. Nous espérons que cette institution saura se défaire de sa dépendance à l’égard de l’Exécutif sur ce sujet précis pour contraindre le CNRD.
En dernier recours, si et seulement si l’une des deux premières propositions n’était pas satisfaite, nous proposons que le FNDC commence à dresser sa propre liste en commençant par les figures du CNRD qui agissent à visage découvert. Cette liste sera complétée en faisant appel au peuple de Guinée pour signaler toute personne dont la proximité serait avérée avec le CNRD. Si nous préférons éviter cette dernière solution au regard de nombreuses conséquences qu’elle peut engendrer, elle constitue toutefois la dernière solution à la main du peuple de Guinée. Pour atténuer les conséquences d’une telle pratique, elle pourrait être accompagnée d’une alerte consistant à faire savoir que les dénonciations calomnieuses se risquent à des poursuites judiciaires.
En définitive, la rédaction de l’article 37 de la charte, avec l’emploi du terme « des éléments des forces de défense et de sécurité », montre clairement qu’il ne s’agit pas de toute l‘armée guinéenne mais d’un groupe déterminé en son sein. Dans ce contexte, si le CNRD est confiant que ses véritables motivations sont saines et raisonnables, alors il n’y pas d’hésitation à avoir pour faire connaître les membres qui le composent. La mise en œuvre des bonnes intentions affichées avec justice, impartialité et transparence, conduira sans nul doute, à ce que tous les Guinéens ressentent et manifestent éternellement à leur égard, un sentiment de fierté et de travail bien accompli, après la transition. Ils mériteront peut-être d’être célébrés si toutes ces conditions se vérifient.
Transparence exige, nous voulons la liste.
KKG Bangoura