En Guinée, les régimes politiques qui se sont succédé depuis l’indépendance du pays en 1958 ont tous été caractérisés par des violations graves des droits de l’Homme. Ces violations persistantes et massives des droits de l’Homme qui ont émaillé l’histoire du pays ont contribué à fragiliser le tissu social et à saper les efforts pour bâtir une société démocratique.
Un des épisodes les plus sanglants de ces violations est le massacre du stade, le 28 septembre 2009 où des crimes odieux ont été commis en plein jour et à ciel ouvert à Conakry et ses environs par les forces de défense et de sécurité. La singularité de ce dossier s’explique par le fait qu’il est le premier d’une telle envergure à avoir connu des suites judiciaires auprès des juridictions guinéennes parmi tant d’autres dossiers emblématiques de violations des droits de l’Homme de ces 30 dernières années. Ces avancées avaient été rendues possibles grâce à l’engagement et à l’accompagnement des organisations nationales de défense des droits de l’Homme et de la Communauté internationale qui avaient dépêché une Commission d’enquête internationale d’établissement des faits au moment des événements. Sept ans après l’ouverture de l’information judiciaire, l’instruction du dossier a été clôturée en décembre 2017. Plus de 400 parties civiles ont été constituées et une dizaine de personnes inculpées avec le soutien des ONGs nationales et internationales de défense des droits de l’Homme. En 2018, un Comité de pilotage a été mis en place pour diligenter l’organisation matérielle de ce procès. Pour autant, plus de 12 ans après les faits, les victimes attendent toujours que justice soit faite dans cette affaire. A quand l’ouverture de ce procès si crucial, pour enfin répondre droit à la justice des victimes ?
A ce dossier, s’ajoute une longue liste d’autres crimes de sang commis sous les régimes politiques qui se sont succédé dont la quasi-totalité demeurent pendants devant les juridictions guinéennes sans suite judiciaire en dépit de multiples plaintes déposées par les victimes !
Le mardi 22 mars 2022, le Président de la transition, le Colonel Mamadi Doumboya a procédé au lancement des Assises Nationales « Journées de Vérité et de Pardon » au Palais Mohammed V de Conakry, pour « donner une occasion unique aux Guinéens de se regarder en face, les yeux dans les yeux, et de se parler franchement à cœur ouvert » et s’interroger sur « comment assumer notre histoire dans toute sa grandeur et sa facette la moins lumineuse, pour avancer ».
Au cours de ces Assises qui devraient durer un mois selon le calendrier initial rendu public, l’ensemble des Guinéens seront consultés pour exprimer leurs avis. Dès lors, nous comprenons de facto que la Commission Nationale des Assises n’a pas pour vocation de réconcilier les Guinéens mais d’organiser de nouvelles consultations pour recueillir leurs avis sur le mécanisme à mettre en place pour réconcilier les Guinéens. La question qu’il faille se poser alors est de savoir s’il était opportun de créer une Commission Nationale des Assises pour faire un tel travail composé d’autant de membres ? Ne fallait-il pas opter pour la proposition faite par le Front national de la défense de la Constitution (FNDC) à savoir de proroger le mandat de la Commission provisoire de réconciliation nationale (CPRN) dont le rapport rédigé à l’issue des premières consultations fait déjà consensus au sein de l’opinion public, afin qu’elle organise des consultations sur la période non couverte par le rapport initial, pour le compléter et le consolider avant la mise en place la Commission définitive intitulée «Commission Vérité Justice et Réconciliation) ? A quand alors, la mise en place de la véritable Commission définitive de réconciliation nationale ?
En tout état de cause, une réconciliation nationale est un processus long et complexe qui nécessite la prise en compte de préalables essentiels. A côté de la vérité et du pardon, le droit à la justice et les garanties de non-répétition sont des dimensions essentielles à la construction d’un Etat de droit. A ce titre, assumer notre histoire dans toute sa grandeur et sa facette la moins lumineuse, pour avancer afin d’éviter « les erreurs du passé » nécessite également des décisions courageuses par les autorités de la transition pour assurer que la justice demeure la « boussole » dans la conduite de la Transition.
Faire face à notre passé en toute responsabilité exige de faire de la justice la colonne vertébrale du processus de la réconciliation nationale. A ce titre, les travaux de la Commission Nationale des Assises ne devraient pas freiner l’élan pour garantir le droit à la justice pour les victimes du 28 septembre 2009 ainsi que pour les victimes des violations commises par les différents régimes politiques qui se sont succédés, notamment ces dix (10) dernières années dont les plaies restent encore béantes. Une telle démarche serait une mesure à la fois dissuasive et répressive forte répondant aux exigences du droit à la justice et aux garanties de non-répétition qui participent à une réconciliation nationale aboutie.
Alsény SALL, activiste de la Société civile