Quelques jours après la disparition d’Ahmed Sékou Touré, premier président de la République, le 3 avril 1984, à la surprise générale, la Grande Muette prenait le pouvoir. Ce jour-là, sur les antennes de la radio nationale, la proclamation N° 1 du comité militaire de redressement national (CMRN) fut lue par le capitaine Facinet Touré. Ce communiqué disait entre autres. Peuple de Guinée, c’est dans une grande ferveur que tu viens de conduire à sa dernière demeure l’un de tes fils les plus prestigieux auquel l’Afrique et le monde entier ont tenu à rendre un hommage mérité. L’œuvre immortelle d’Ahmed Sékou Touré aura été de mener notre pays à l’indépendance nationale et de faire rayonner sur le plan africain et international tes nobles idéaux et tes aspirations. Cependant, si sur le plan extérieur son œuvre a été couronnée de succès, il n’en est pas de même sur le plan intérieur où, sous l’influence de ses compagnons de lutte malhonnêtes et sous la pression féodale de sa famille, tes espoirs de voir se créer une société plus juste et plus équitable se sont envolés très tôt, balayés par une dictature sanglante et impitoyable qui a broyé ta lumineuse espérance.
Aujourd’hui, alors que tu n’as même pas séché tes larmes, une âpre lutte pour sa succession s’est engagée parmi ses compagnons avides de pouvoir et coupables de la corruption généralisée du gouvernement et de ses institutions. Ton armée nationale, qui t‘est demeurée fidèle et qui a toujours partagé ton sort dans la discipline et dans l’abnégation pendant ces vingt –six années d’un pèlerinage douloureux, a donc décidé de prendre en charge l’administration du pays afin de créer les bases d’une démocratie véritable évitant à l’avenir toute dictature personnelle. […]
Sous la houlette donc du pouvoir kaki, le pays va s’ouvrir progressivement à la ‘’ démocratie’’. Après une transition de cinq ans, les militaires vont enfin accepter de libéraliser le jeu politique avec l’adoption de la loi fondamentale. Un jeu politique biaisé, puisque Lansana Conté en maître des lieux même s’il troque son treillis pour le boubou va régner sans partage durant deux décennies. Avec le bilan qu’il est loisible d’établir aujourd’hui.
Le recul aidant, on peut constater que la parenthèse de la seconde République n’aura nullement comblé les espoirs nés le 3 avril 1984.
Trente- huit ans après, nous en sommes presque à la case départ avec un pays qui tarde à prendre ses marques. Soixante- trois ans après notre accession à la souveraineté nationale, nos gouvernants successifs auront réalisé la performance de mettre la Guinée dans une situation de désastre économique et politique très aigu. En effet, au lendemain de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020, un climat délétère s’est créé avec la contestation des résultats par certains partis politiques de l’opposition. Un contexte qui ne rassurait guère quant à l’avenir politique du pays.
A l’entame de son troisième ou premier mandat, le rêve du locataire de Sékhoutoureya, s’est écroulé comme un château de cartes. Le 5 septembre 2021, pour la troisième fois, après la mort du premier président en 1984, du deuxième en 2008, la Grande Muette s’empare du pouvoir. Un renversement que les hommes en kaki justifient par un chapelet de récriminations inutiles de rappeler.
En cette semaine anniversaire de l’irruption des militaires dans la gestion du pays, le problème est de savoir si notre chère Guinée va définitivement échapper au syndrome des putschs.
Cheick Tidiane