À la faveur de l’inculpation récente du Premier ministre (PM) du dernier gouvernement d’Alpha Condé, M. Ibrahima Kassory Fofana, en compagnie de quelques membres de son gouvernement, une opinion inquiétante se fait entendre en Guinée pour mettre sur le même pied d’égalité tous les anciens Premier ministres du pays au motif qu’ils seraient « tous pourris ». Les concitoyens qui tiennent ce type de discours, des soutiens de la junte militaire pour l’essentiel, sont sans appel ni clémence à l’égard des anciens Premier ministres devenus hommes politiques, qu’ils n’hésitent pas à vilipender et traîner dans la boue, sans distinction ni retenue. Leurs réputations sont salies malgré l’absence d’une quelconque preuve de culpabilité à leur encontre. En réalité, ces pratiques qui consistent à jeter d’office et systématiquement le discrédit sur les élites les plus valeureuses du pays, sont issues des années du régime autoritaire de Sékou Touré et semblent prospérer avec la nébuleuse nommée CNRD.
Il est par conséquent essentiel de s’interroger véritablement, si c’est à raison ou à tort que M. Ibrahima Kassory Fofana, M. Cellou Dalein Diallo, M. Sidya Touré et M. Lansana Kouyaté — pour se limiter aux anciens PM reconvertis en politique — peuvent être considérés comme relevant de la même veine et être renvoyés dos à dos en termes de compétences et de probité ?
Plus encore, les difficultés profondes — d’ordre économique, social ou politique — que le pays va devoir affronter en raison de cette période transitoire imposent de se questionner sur le profil de dirigeants qui serait le plus apte à faire face à ces défis majeurs pour enfin permettre l’émergence de la Guinée. En d’autres termes, est-il plus sage de confier cette immense tâche à l’élite la plus valeureuse et la plus expérimentée du pays, ou alors, comme le disent les partisans de la théorie du « tous pourris », est-il souhaitable de recourir à des stratagèmes pour éliminer ces anciens PM afin de donner les clés du pays à une autre personne aux références probablement incertaines ?
Le discours tenu le 5 septembre 2021 par le colonel Mamadi Doumbouya fait allusion à « la situation sociopolitique et économique du pays, le dysfonctionnement des institutions républicaines, l’instrumentalisation de la justice, le piétinement des droits des citoyens…, la gabegie financière » comme les principales motivations qui ont conduit « l’armée guinéenne à travers le CNRD à prendre ses responsabilités » pour renverser le régime d’Alpha Condé. Ce discours a servi à fonder la légitimité de cette junte à gouverner le pays et fait désormais office de contrat moral entre ce comité et le peuple de Guinée qui accepte et acquiesce à ces dénonciations, une sorte de feu vert tacite du peuple accordé à ce pouvoir transitoire.
Il suit de là que ce programme de gouvernement virtuel, constitué essentiellement de récriminations à l’endroit de l’équipe dirigeante renversée, élimine automatiquement et de facto le président déchu ainsi que tous les membres du gouvernement sortant, au rang desquels M. Ibrahima Kassory Fofana.
S’y ajoutent les manœuvres dolosives qui ont conduit à l’adoption de la Constitution de 2020 et débouché sur le 3e mandat d’Alpha Condé comme motifs pour conclure que Dr Ibrahima Kassory Fofana, en tant qu’ancien Premier ministre, ne peut être placé au même pied d’égalité, avec aucun autre ancien Premier ministre du pays. Au titre de la présomption d’innocence, nous préférons éviter de donner notre avis sur la procédure pour détournement de deniers publics à son encontre actuellement devant la CRIEF.
Par ailleurs, un regard sur les périodes d’exercice respectives des trois autres Premier ministres restant sur notre liste et leurs bilans en responsabilités gouvernementales permet de donner un avis sur leurs valeurs intrinsèques et leur probité vis-à-vis de cette théorie de « tous pourris ».
En effet, il n’est pas nécessaire d’insister longuement sur les prouesses réalisées par M. Sidya Touré lors de son passage à la primature notamment dans la fourniture de l’électricité à Conakry, dans la moralisation et la professionnalisation de l’administration publique et bien d’autres sujets. De même, il est facile de constater encore aujourd’hui que quelques principales infrastructures routières du pays ont été érigées sous le magistère de M. Cellou Dalein Diallo en tant que ministre des Travaux publics, notamment les ponts sur le Niger à Yirikiri et à Djelibakoro et le pont sur le Tinkisso à Siguiri sans oublier la détente du cadre politique qu’il a réussi à instaurer lors de sa primature, pour ne citer que ces quelques exemples. Ces deux anciens PM ont par ailleurs en commun le respect, reconnu et exprimé à leur égard par les institutions internationales notamment celles de Breton Woods, acquis lors de leurs périodes de gouvernance.
Pour ce qui est de M. Lansana Kouyaté, en plus d’une expérience internationale considérable, ses acquis en responsabilité gouvernementale, notamment dans la maitrise des prix et le raffermissement du franc guinéen, sont également appréciables. De notre point de vue cependant, le bilan de M. Kouyaté est inférieur à ceux des deux autres Premier ministres évoqués ci-dessus.
Il ressort par conséquent que MM Cellou Dalien Diallo et Sidya Touré sortent du lot et présentent un bilan nettement supérieur aux autres Premier ministres. Il n’est donc pas étonnant qu’ils soient aujourd’hui considérés comme les responsables politiques les plus importants du pays. Ils font montre d’un charisme indéniable et ont acquis une stature d’hommes d’État. Et Dieu sait que les hommes d’État ne courent pas les rues en Guinée.
Sur le plan de la probité, aucune procédure judiciaire sérieuse ne semble peser sur leurs têtes. Rien à date s’agissant de M. Sidya Touré. En revanche, un dossier judiciaire — la vente des actifs de la compagnie Air Guinée — est régulièrement brandi à l’encontre de M. Cellou Dalein Diallo par les différents régimes qui se sont succédé, sans jamais prospérer. À y regarder de près, on réalise rapidement que ce dossier est fondé sur un rapport d’audit de piètre qualité, audit au titre duquel les personnes auditées n’auraient même pas été interrogées. Cette affaire ressemble donc étrangement à une démarche tendant à les décrédibiliser, les éliminer politiquement, à l’image des pratiques d’élimination des élites que le régime de Sékou Touré maniait sans sourciller. Ce régime autoritaire a réussi à instaurer et installer dans la tête des Guinéens cette pratique de délation comme sport national. Il n’est donc pas étonnant qu’une partie de nos compatriotes se prêtent à ce jeu de « tous pourris » en reprenant des éléments de langage des autorités actuelles du pays — nostalgiques par ailleurs de ces années de socialisme — qui semblent souhaiter placer ses propres hommes en responsabilité après la transition.
(LeJour LaNuit) Karamoko Kourouma