Alain MODOUX, ancien Sous-directeur général de l’UNESCO pour la liberté d’expression, la démocratie et la paix, rappelle comment le processus diplomatique qu’il a personnellement piloté pendant deux ans et demi a conduit l’Assemblée générale des Nations Unies à proclamer le 3 mai « Journée mondiale de la liberté de la presse ». Il a reçu 20 ans plus tard la médaille Taïno de l’UNESCO pour sa « contribution exceptionnelle » à la création de cette Journée.
En ce 3 mai 2022, le monde célèbre pour la 29e fois consécutive la « Journée mondiale de la liberté de la presse » dont le principe a été décidé par consensus, en décembre 1993, par l’Assemblée générale des Nations Unies. En choisissant cette date, celle-ci a souhaité rendre hommage aux quelque 60 journalistes africains qui, réunis dans la capitale de la Namibie à l’initiative de l’UNESCO et des Nations Unies, avaient adopté, le 3 mai 1991, la « Déclaration de Windhoek pour le Développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste ». Ce texte fondateur, qui définit les conditions nécessaires pour le fonctionnement démocratique des médias, a notamment été la « mère » des quatre autres Déclarations régionales issues des séminaires similaires à celui organisé en Namibie. Le premier a réuni des professionnels des médias d’Asie (Alma Ata, Kazakhstan, 1992), le second d’Amérique latine et des Caraïbes (Santiago du Chili, 1994), le 3e des pays arabes (Sana’a, Yémen, 1996) et le 4e d’Europe et d’Amérique du Nord (Sofia, Bulgarie, 1997). La Déclaration de Windhoek, ainsi que les 4 autres Déclarations régionales, bien que dénonçant ouvertement les politiques et pratiques de certains États vis à vis des médias de nombreux pays (sans toutefois les nommer), ont été adoptées sans aucune modification, ni opposition, par l’ensemble des États membres de l’UNESCO. Ceux-ci ont été unanimes à reconnaître que le séminaire de Windhoek avait joué un « rôle catalyseur » dans le processus de démocratisation qui a marqué le paysage démocratique international tout au long des années 90.
Les illusions perdues du début des année 90
Au vu de l’état actuel des relations internationales, on a peine à croire qu’une telle unanimité ait été possible sur un sujet aussi sensible que la liberté de la presse! Il est vrai que les années qui ont immédiatement suivi la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989, ont été pour la démocratie et les droits de l’homme une période riche en promesses. Le système multilatéral édifié au lendemain de la 2e guerre mondiale et rapidement mis à mal par la rivalité Est/Ouest, avait enfin trouvé ses marques. Des relations internationales apaisées semblaient alors possibles et durables. L’adoption de la « Journée mondiale de la liberté de la presse » est probablement l’illustration la plus représentative de l’optimisme ambiant qui régnait à cette époque. Alors que le contrôle de l’information avait été pendant plus de 40 ans un des principaux enjeux de la Guerre froide, la communauté internationale, en adoptant le principe de cette « Journée mondiale », avait réussi à se mettre d’accord, et cela sans opposition, sur l’importance d’une presse libre, indépendante et pluraliste.
La « Journée mondiale de la liberté de la presse », une initiative de bout en bout africaine
Cette unanimité n’aurait probablement pas été possible sans l’engagement résolu et continu des diplomates africains, collectivement à l’UNESCO à Paris, dans le cadre du Groupe Afrique présidé par l’ambassadeur du Niger, Lambert Messan, et individuellement à l’ECOSOC, à Genève, un organe des Nations Unies chargé, entre autres, de faire des recommandation à l’Assemblée générale. Les diplomates africains ont convaincu leurs collègues que l’idée d’instaurer une « Journée mondiale de la liberté de la presse » était née en Afrique et qu’elle serait conduite jusqu’à son terme par les Africains. A New York, il a suffi que l’Ambassadeur de la Namibie auprès des Nations Unies invite l’ensemble de ses collègues à soutenir la recommandation de l’ECOSOC pour que celle-ci soit adoptée sans discussion par l’Assemblée générale.
Cette « appropriation diplomatique » de l’héritage de Windhoek par les Africains a été la clef du succès de tout le processus. En outre, l’approche choisie de traiter la question extrêmement sensible de la liberté de la presse région par région en commençant par l’Afrique a contribué à « désoccidentaliser » la perception qu’ont généralement les pays du Sud de cette thématique. A cet égard, les journalistes et diplomates africains ont parfaitement tenu leur rôle de « leadership » . Impressionné par ces marques de soutien venues de tous les continents, l’Ambassadeur Messian n’a pas hésité à affirmer avec solennité que « la Déclaration de Windhoek était la contribution de l’Afrique à l’édifice des droits de l’homme » ! Interrogé sur la position de sa délégation vis-à-vis de la proposition de proclamer le 3 mai « Journée mondiale de la liberté de la presse », le représentant de la Chine à la Conférence générale de l’UNESCO a répondu que « du moment que la proposition venait du Groupe Afrique, sa délégation ne pouvait que la soutenir ». C’était il y a 30 ans !
Martin Faye