A l’heure des débats nationaux sur la réconciliation en Guinée, je salue la décision courageuse d’y associer le monde universitaire que nous sommes. Point n’est besoin d’insister outre mesure que son implication (qui a longtemps fait défaut dans le pays) dans ces débats peut apporter une contribution hautement positive, d’abord aux acteurs impliqués dans le processus, ensuite au processus lui-même. Cependant, si ces débats sous cette forme sont nouveaux en Guinée, le phénomène réconciliation, lui, ne l’est pas dans l’histoire des communautés locales. Loin s’en faut !

Les exemples d’illustration sont à la fois nombreux et élogieux ; ils sont de tous les temps et de toutes les générations et ce, depuis le moyen âge africain (Ve – XVIe siècle de notre ère) jusqu’à nos jours. L’on se souvient encore comment les peuples témoins de la Bataille de Kirina en 1235, de celle de Talansan en 1725, des évènements douloureux de Kankan en 1881 ou 1975, de la prise brutale du pouvoir par les Askia dans l’Empire Songhay après le règne de Sonni Ali Ber, pour ne citer que ceux-là, se sont compris et se sont soudés face à leur destin. Plus près de nous, l’on se rappelle encore dans la joie et dans l’allégresse le bel exemple de réconciliation scellée en Guinée entre les Présidents Sangoulé Lamizana de la Haute-Volta d’alors  et Moussa Traoré du Mali et ce, grâce aux bons soins et à la maîtrise du passé par feu Sori Kandja Kouyaté, ce grand pan de notre histoire nationale. L’on se souvient, enfin, de la grande bataille menée et gagnée tout récemment, par les braves Femmes Leaders de Dinguiraye pour réconcilier les syndicats locaux entre eux d’une part, entre eux et leurs communautés respectives d’autre part. La liste est longue, le souvenir est élogieux ; il est source d’inspiration pour tous ceux et toutes celles qui savent les comprendre et s’en servir pour magnifier leur passage et illuminer le chemin de l’avenir.

Tout pays qui s’engage dans le processus de réconciliation avec sincérité, avec courage, avec détermination et avec responsabilité montre que :

  • Son peuple est un peuple majeur ;
  • Ses décideurs publics sont patriotes ;
  • Son Etat est un Etat de droit ;
  • Son élite intellectuelle est au cœur des débats publics.

La réconciliation, celle qui se veut réelle, positive, porteuse dans la longue durée, n’est donc pas un vain mot, elle se doit d’éviter les discours creux des fondés de pouvoir et des  opportunistes, des manipulateurs de nos nobles et légitimes idéaux de paix, de cohésion sociale et d’unité nationale.

Le processus de réconciliation, puisqu’il s’agit de cela, doit mobiliser, doit concerner, doit intéresser et doit interpeller l’ensemble du peuple guinéen et ce, à travers les âges et les générations, sur toute l’étendue du territoire national.

Comme l’on se doit de rappeler avec insistance, le processus de réconciliation mobilise d’abord les vivants sur la vie et les actes de leurs devanciers à travers leurs combats gagnés, mais aussi leurs combats non gagnés ; ensuite, il les mobilise aussi bien sur leur propre vie que sur leurs actes à travers les victoires enregistrées et les échecs essuyés ; enfin, il les mobilise pour bâtir en commun un avenir radieux et durable.

En d’autres termes, leurs hauts faits de combat et de gloire seront répertoriés pour magnifier leur solidarité agissante autour des idéaux, des intérêts et des acquis communs et qui les interpellent pour assumer et surmonter dans la même ferveur collective leurs rêves et leurs espoirs manqués. C’est seulement dans cet élan commun qu’ils abordent l’avenir avec espoir, assurance et fermeté.

Le processus de réconciliation doit être non seulement une action individuelle mais aussi collective ininterrompue dont l’ultime objectif est de baliser une retrouvaille nationale basée sur le dialogue et le pardon qui permettent de minimiser le souvenir amer et douloureux du vécu, de raviver le vivre-ensemble et de projeter un avenir radieux. N’oublions pas que le souvenir du mal et du tort injustifiés est toujours têtu, toujours source de haine et d’esprit de vengeance ; mais rappelons-nous et pour toujours, le pardon sincère est toujours roi : il l’est !

Le processus de réconciliation se fait donc en tenant compte du passé que l’on immortalise, le présent qui se construit et l’avenir qui se projette. Là, est un travail délicat, un travail sensible mais nécessaire et noble. Là, il y a une nécessité de la connaissance et de la maîtrise, de l’art, de la pédagogie, de l’analyse et de partage qui s’imposent. Cela exige une identification constante des sources d’informations (orales, écrites, matérielles et immatérielles) ; ensuite une collecte des données également constante ; enfin, une analyse rigoureuse de la moisson et une vulgarisation qui tiennent compte des réalités à la fois endogènes et exogènes du moment de la diffusion. Rien ne doit être jeté à la poubelle ; rien ne doit être occulté, et j’insiste là-dessus, rien ne doit être banalisé ; mais rien, j’insiste là-dessus, ne doit être initié, rappelé ou partagé qui conduise à la provocation, au mépris des uns contre les autres, à l’exclusion, à la violence individuelle ou collective, aux conflits armés, aux confrontations, sous quelque forme que cela puisse être.

Si notre peuple a conduit tant de grands combats et gagné de nombreuses victoires dans tous les domaines de sa vie depuis les temps les plus reculés ; hélas, il a parfois enregistré des échecs inattendus, des tentatives avortées, des rêves et des espoirs manqués. Notre génération doit les assumer avec discernement, courage, détermination, disons, avec responsabilité ; car, ne l’oublions pas, nous sommes un peuple majeur et une nation fière qui viennent de loin et qui ont vaillamment servi de nobles exemples de retrouvailles, de concertations, de dialogue, de réconciliation, de cohésion et d’unité des peuples. La Guinée se doit de se réconcilier avec elle-même, avec son Histoire, toute son Histoire.

Pour en arriver là et gagner ce pari qui nous interpelle tous et toutes, nous devons nous mobiliser ensemble, nous devons agir ensemble avec cœur et esprit, avec courage, détermination, responsabilité.

La colère, la haine, l’exclusion, l’esprit de vengeance, les politiques politiciennes, les manipulations de l’Histoire, la mobilisation des troupes inutiles et incultes autour de nos idéaux de paix et de liberté, la construction et ou la défense des tabous qui limitent le vivre-ensemble, doivent être extirpés de ce combat commun tant attendu et on ne peut plus noble et édifiant ; ils doivent être bannis entre nous, tout à la fois de nos pensées et de nos actes.

Ce n’est vraiment pas n’importe qui peut faire ce travail. Les intellectuels, parmi lesquels les universitaires, comme les héritiers de Thierno Samba Mombeya, de Camara Laye, de Keita Fodéba, de Alfa Ibrahima Sow, de Djibril Tamsir Niane de Guinée si nombreux et si actifs, doivent prendre les devants et les rênes de ce combat. Oui, eux et presque eux ! Il faut impliquer aussi et intimement les sages de nos villages, nos Djélis et les Farba de naissance, nos leaders religieux.

Ce combat se gagne, aussi, en impliquant les familles et les communautés du pays à tous les niveaux ; car elles sont les gardiennes de notre patrimoine historique. Cependant, et il faut insister là-dessus, cela doit se faire de façon sincère, effective, participative et inclusive. Sans cette implication, la démarche risque d’échouer, les rêves ratés et les espoirs manqués. Nombreux sont nos héritages du passé qui risquent d’être bafouillés et sacrifiés au nom de la démagogie politicienne et des discours creux; des querelles dormantes ou agonisantes risquent de se réveiller. Bien des pans du patrimoine risquent d’être oubliés parce que les monuments culturels, sociaux et historiques y afférents se détruisent sous les intempéries ou l’action des êtres ; parce que les archives et autres documents y afférents deviennent rares, vieillissent et ou se déchirent ; parce que les souvenirs se font de plus en plus rares ; parce que les témoins de notre vécu se meurent ; parce que nombreux sont les intellectuels abandonnés à eux-mêmes ; parce que des amateurs d’enquête d’émergences politico-administratives ne cessent de prendre d’assaut nos débats, nos démarches et nos canaux de communication communs à tous et à toutes.

Ce combat se gagne sous l’impulsion de l’Etat guinéen. Cet Etat est responsable des actes publics, gagnés ou ratés. Il en est responsable et entièrement. Il doit donc jouer sa partition avec sincérité, courage et détermination. Cela doit s’inscrire en lettres capitales dans ses plans d’action prioritaires.

Ce combat se gagne avec les acteurs de la société civile guinéenne, la société civile sous sa forme authentique et régalienne, la société civile citoyenne ; pas celle qui ne cesse d’agacer par ses discours démagogiques et ses démarches souvent mitigées.

Ce combat se gagne avec la participation de toutes celles et de tous ceux qui sont laissés, pour ne pas dire abandonnés à eux même, notamment les femmes déshéritées, si nombreuses et si silencieuses ; les jeunes victimes de chômage endémique et ou de manipulations politiciennes ; ceux et celles qui souffrent de handicaps physiques qui peinent dans leurs maux et les préjugés de toutes parts, mais espèrent une vie normale.

Ce combat se gagne avec la participation des hommes et des femmes des médias, mais pas les journalistes amateurs ou ceux et celles qui n’hésitent pas à mordre à l’hameçon des manipulateurs politiques et à leurs tentatives « d’achat de conscience ».

Ce combat se gagne sous l’impulsion de la communauté internationale, notamment les organisations sous-régionales, régionales et continentales africaines, le système des Nations-Unies, les ONG de développement et de l’aide humanitaire, les missions diplomatiques accréditées en Guinées, les universités étrangères et toutes les bonnes volontés de par le monde.

Pour terminer, laissez-moi vous dire combien de fois je suis optimiste, parce que croyant profondément en la capacité du peuple de Guinée face à son destin, mais aussi au courage et à la détermination affichés par les autorités de la transition politique de la Guinée depuis le 5 septembre dernier. Je ne doute pas que ces autorités sont conscientes qu’une nation qui ne se réconcilie pas avec elle-même, avec ses faits historiques, sociaux et culturels, se fragilise et finit par succomber, elle et tout son système de commandement.

Il faut s’en souvenir, il faut s’en méfier.

Pr Maladho Siddy Baldé,

Université de Sonfonia