Michel Beimy, jusque-là dirlo décrié de la Soguipah (Société guinéenne de palmiers à huile et d’hévéas), a été démis de ses fonctions, le 18 mai, par le Prési Mamadi Doum-bouillant. Il est inculpé par la CRIEF pour des faits présumés de détournement de deniers publics, faux et usage de faux en écriture publique, complicité. Il a été ensuite placé sous contrôle judiciaire.
La junte qui se veut traqueuse de ‘’fossoyeurs’’ de l’économie nationale via la CRIEF (Cour de répression des infractions économiques et financières), ne compte pas lâcher prise. Après les hauts dignitaires du régime déchu, au gnouf, plusieurs autres administrateurs publics sont en train d’être chopés, les uns après les autres, par la justice. De détournement des deniers publics au blanchiment des capitaux, en passant par la corruption, la malversation. Bref, les chefs d’accusation liés au fric. La liste n’est pas exhaustive.
La crise qui secoue la Soguipah n’est pas nouvelle. Les manifs récurrentes pour des faits de non payement salarial, conditions «difficiles de travail», malversation, corruption, ont marqué la société implantée à Diécké, préfecture de Yomou. Pratiquement, depuis 2020, les manifs de travailleurs persistent, dénonçant la mauvaise gestion du dirlo, Michel Beimy. Plusieurs arrestations parmi les travailleurs, suivies de détentions puis de comparutions. En 2021, des manifestants devant le siège de la Soguipah dénonçaient une «violation» des termes du contrat les liant à la direction. Entre autres, «le non-paiement des locations véhicules et motos aux cadres, agents de maîtrise et ouvriers, la non mise en veilleuse de l’investissement non productif», indiquait le collectif de manifestants. Aussi, en avril dernier, dans une manif, les planteurs réclamaient plusieurs mois d’arriérés de salaire. Ils dénonçaient aussi des conditions difficiles de travail. Ce qui a conduit la descente inopinée sur le terrain du ministre de l’Agriculture et de l’Elevage, Mamoudou Nagnalen Barry, en safari dans la région forestière.
«Beaucoup de nos amis ont été licenciés à cause de 3 kg de noix de palme, avec des procès organisés dans des conditions difficiles, alors que les vrais voleurs sont dans les bureaux avec des millions et des milliards à leur actif. Ce qui créé une méfiance entre les travailleurs qui vivaient jadis dans une harmonie parfaite», disait en décembre 2021, Charlie Doma, le porte-voix des travailleurs.
Le 28 mars, cette fois, des travailleurs de la Soguipah ont manifesté à Kaloum, devant la Présidence de la Transition. Ils réclament la libération d’une vingtaine de leur, interpellés et embastillés à la suite d’une manif à Diécké contre la gestion «opaque» du dirlo.
Et le dirlo tombe !
Michel Beimy, le dirlo de la Soguipah, a été débarqué pour des faits de détournement présumé de deniers publics, faux et usage de faux en écriture publique. Il sera traduit devant la CRIEF. Auteur d’une gestion «opaque», Michel Beimy a récemment licencié dix-huit employés «à cause de leur opposition à sa gestion». Mais, il argue que l’ordre serait venu de sa hiérarchie, qu’il n’en est aucunement responsable.
Une sortie d’argent non justifiée, révélée par la presse, a retenu l’attention de la CRIEF. Une histoire de 1 052 421 196, de 327 679 455 et de 702 170 262 de francs glissants auraient été décaissés. Respectivement les 27, 28 et 29 octobre 2021. Ce qui lui a valu l’audition, la semaine dernière, à la Direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie nationale.
Nagnalen l’avait promis
Le 15 avril, en marge d’une conférence de presse sur la campagne agricole, le ministre de l’Agriculture et de l’Elevage, Mamoudou Nagnalen Barry, s’est engagé à mettre un terme à la crise au sein de la Soguipah. «Elle n’a pas tenu son Conseil d’administration depuis une dizaine d’années. Son effectif est très grand par rapport à ses besoins. Sincèrement, elle n’a pas besoin que de réforme, mais d’une révolution. On doit rompre complètement avec sa manière de fonctionner. La Soguipah a du mal à payer ses planteurs, c’est choquant, après des travaux fastidieux. Nous sommes une équipe qui veut trouver une solution définitive, mais graduelle aux problèmes. Le débat ce n’est pas de limoger tel ou installer tel. Nous allons faire de la Soguipah une entreprise normale cette année. Je vous rassure qu’on va le faire, la Soguipah est aussi importante qu’un ministère. Elle est plus grande que beaucoup de ministères, donc ce n’est pas à prendre à la légère », estimait-il.
Cas de Mariame Soguipah
Mariama Cas-Marrant alias Mariama Soguipah a dirigé la société durant une trentaine d’années, avant d’être nommée ministre de l’Agriculture par Alpha Grimpeur en décembre 2017. Cette aventure fait d’elle aussi responsable présumée des détournements de fonds à hauteur de 4,2 millions d’euros. Mais, elle a nié toute implication.
«Chaque année, entre 2002 et 2010, la Soguipah faisait réserver 5% du prix d’achat de son caoutchouc au titre d’une ‘’dette fournisseur’’. Mais, selon les éléments du parquet de Bruxelles, cet argent était en fait transféré sur les comptes personnels de Mariama Camara, en France et en Suisse au titre de commissions occultes. En 2011, l’affaire est mise à l’instruction. En 2015, les prévenus étaient renvoyés devant le tribunal », explique une source. La défense de l’ex-ministre touchait l’argent «en parfaite transparence avec le gouvernement guinéen, afin d’optimaliser le fonctionnement de la Soguipah ». «L’argent pour payer des pièces de rechange est resté entre les mains de Mariama Camara, car la société ne pouvait pas avoir de compte à l’étranger », a affirmé l’un des prévenus aux enquêteurs.
Yaya Doumbouya