En trois jours, la Guinée a enregistré près d’une trentaine de morts et des blessés graves :
10 morts dans une collision à Dubréka ; 5 morts dans le renversement d’un camion à Kankan. 11 morts dans une collision à Boké. C’est la conséquence de notre irresponsabilité collective. Que l’on cesse surtout de nous servir ce récital issu de la philosophie de la misère qui consiste à nous convaincre que « c’est la volonté de Dieu. » Chacun doit assumer sa part de responsabilité, dans un accident de la route.

L’indifférence de l’Etat

Au début des années 70, avec le démarrage de l’exploitation de la bauxite de Kindia, les camions de la société OBK faisaient des morts chaque semaine ou presque. Lors d’une conférence au Palais du peuple, le Président Sékou Touré, tout dictateur qu’il était, a clamé publiquement que tout chauffeur de ladite société, à l’origine d’un accident mortel, sera jugé et condamné à la peine capitale. Depuis, jusqu’à l’installation du chemin de fer de l’OBK, aucun accident n’a été enregistré sur les 90 km séparant la mine de Débélé du port de Conakry. C’est cela l’autorité de l’Etat.

Chez nous, le premier niveau de responsabilité de tout le désordre meurtrier sur la voie publique, c’est l’Etat. Les raisons sont les suivantes :

– L’Etat guinéen n’a apparemment pas conscience qu’il est le légitime propriétaire et gestionnaire de la voie publique. Conséquemment, il doit se sentir concerné par l’entretien physique et fonctionnel de celle-ci au quotidien.

– L’Etat central, ses services spécialisés et ses structures déconcentrées n’ont apparemment pas conscience qu’ils sont seuls responsables de la sécurité de tous les usagers de la route : des automobilistes aux piétons en passant par les riverains (habitations et commerces aux abords des routes).

– Les fonctionnaires et les services de la sécurité routière n’ont apparemment pas conscience que leurs salaires sont le sacrifice des contribuables pour leur sécurité. Si l’Etat en avait vraiment conscience, il ferait 4 choses, à savoir :

– faire respecter strictement les lois de la république à tous les contrevenants du code de la route et de toutes autres dispositions de la sécurité routière, quelque soient leurs statuts.

– faire entretenir régulièrement les routes par les  services préfectoraux compétents, avec des panneaux de signalisation adéquats.

– faire respecter la loi sur l’obligation d’assurance de la responsabilité civile des propriétaires de véhicules terrestres à moteur.

– sanctionner les agents de la sécurité routière qui manquent de vigilance dans le contrôle.

– créer une grande société mixte de visite technique des véhicules avec la participation du secteur privé dans le capital social. Au-delà des discours, c’est ce que l’Etat devrait faire.
La TUV et une partie des taxes pétrolières sont collectées entre autres pour cela.

Mauvaise conduite des conducteurs

Le deuxième cas de responsabilité de ce désordre meurtrier se situe au niveau des conducteurs de véhicules, les transporteurs. Ceux-ci sont souvent pressés, parfois mal formés et irresponsables, ou se prennent simplement pour des “hors-la-loi”. Quel est le conducteur, auteur d’un accident  meurtrier, qui a purgé une peine de 5 ans de prison ferme en Guinée ? La plupart des chauffards passent quelques heures de garde à vue avant de reprendre le volant peu après. Ils n’ont même pas sur la conscience la perte d’une vie humaine laissant des orphelins et des veuves dans la précarité, par leur ivresse, leur négligence ou leur incompétence. Et la vie continue pour eux.

 Les transporteurs et autres propriétaires de véhicules sont tout aussi responsables.
Peu importe l’état des véhicules. Peu importe la compétence et la moralité du chauffeur.
 Peu importe la surcharge et le transport mixte. Pourvu que les recettes tombent.

Des passagers (trop) passifs

Le troisième niveau de responsabilité concerne les passagers, à titre payant ou à titre gratuit, c’est-à-dire nous-mêmes. Les passagers sont souvent silencieux dans les excès de vitesse et des fantaisies des chauffeurs. Ils les encensent parfois. Ils sont silencieux quand ils sont conduits par des irresponsables visiblement affectés par la drogue ou l’alcool. Il y en a même qui encouragent les chauffeurs à aller plus vite. Très rares sont les passagers qui font des  remontrances à leurs chauffeurs indélicats. Au moindre accrochage, ils sont les premiers à prendre fait et cause pour leurs imprudents chauffeurs.

Ainsi, nous sommes tous irresponsables : du ministre au préfet, de l’officier à l’agent de contrôle de la sécurité routière, du chauffeur au propriétaire du véhicule, du syndicat des chauffeurs aux passagers. Nous avons un grand devoir vis-à-vis de nous-mêmes : celui de l’application et du respect de nos lois, celui de l’observation des normes universelles et celui de la morale citoyenne.

Posons-nous un certain nombre de questions : Qui prendra en charge l’ensemble des frais de soins des blessés de ces accidents, sachant que nos véhicules sont rarement assurés ? Qui soutiendra les futurs handicapés de ces accidents ? Qui prendra en charge les frais fondamentaux de vie pour les orphelins et les veuves laissés par les victimes décédées ? Qui ? Ouvrons nos esprits et faisons violence sur nous-mêmes pour mieux nous conjuguer au présent de l’indicatif. Le monde bouge, notre pays patauge ! Prenons-en conscience ! Paix à l’âme de nos compatriotes que la route a engloutis ces trois jours ! Meilleure santé à ceux qui souffrent dans leurs chairs, sous le regard impuissant des proches !

Ibrahima Jair Kéita