Diplôme de Licence en journalisme en poche, Mamady Camara, mon chargé de cours de presse écrite, chef département Journalisme de l’ISIC de Kountia me suggère de commencer par la presse écrite. « Au Lynx. Ils vont corriger tes déficits rédactionnels, parfaire tes compétences ». Je ne voulais pas de la presse écrite. M. Camara a insisté. On était en août 2012. Au Lynx, un bref entretien avec Diallo Souleymane. L’Administrateur général m’accepte comme stagiaire. Abou Bakr, alors Red-chef m’a présenté aux autres. Le KAA peu après, vers 15h, pointe son nez. Souriant, il salue : ‘’Bonsoir à tout le monde : zèbres, magbanas, gnafou-gnafous, gnorpèttes, gnorpéttiers.” Des mots bien à lui pour qualifier les mecs, les nanas, les nénettes… Un petit tour dans la salle de montage, le KAA revient déposer son sac plastic près d’une chaise, sa chainse au coin de la salle : c’est son Kibanyi. Un fauteuil à roulettes coincé dans un petit couloir en partie encombré de paperasses. Il s’installe lourdement, respire à pleins poumons, jette un coup d’œil sur son tapis de prière étalé sur une natte fatiguée. Posant son regard sur le nouveau venu : « bhè doo kadi ko hombhé ny ? » (Qui c’est encore ce monsieur ?) Mamadou Siré Diallo répond : « Il s’appelle Oumar Tély Diallo, c’est notre nouveau stagiaire ». Aahhh Diallo Tély ! Bienvenue ! répond le KAA. Il y a un an à peine, Le Lynx a chamboulé l’emplacement de sa logistique. A la place du tapis de prière du KAA, un amas de cartons vides. Il était absent. A son arrivée, il s’exclame : « Ils ont profané ma mosquée ». Depuis, il a promené sa mosquée. Comme nous autres.

Curieuse intégration

Un mois après mon arrivée, on m’envoie au marché Madina. Entre militants du RPG et UFDG ce jour-là, c’est l’intifada. Nous sommes le 23 septembre 2012. Une situation désastreuse. Des quidams m’interceptent à la casse et me caressent très bien. Plus de peur que mal. Je rentre à la Rédaction. Le KAA me dit : « T’es intégré, c’est fini. C’est ton baptême de feu ». Furax, je n’ai pas répondu. L’occasion de me taquiner est de naissance.

Rire des bêtises

Plus qu’un correcteur, le KAA est devenu un ami. On discute foot, religions, politiques etc. Comme des potes au point de me surnommer Boko Haram (le nom du groupe islamiste extrémiste nigérian) à cause de mes « positions radicales. » Mais en fait, c’est à cause de mes positions qui s’opposaient aux siennes. Il carbonisait, pimentait « mes bêtises, mes conneries ». Chaque mot mal employé ou mal orthographié, il rectifiait et me faisait rire de mes propres bêtises. C’était hallucinant. Non pas pour éviter de me choquer, c’est naturel chez lui. Il savait bien te faire rire de tes erreurs, de tes bêtises. Si c’est trop noirci, il me le rend le papier en disant : « Tête, c’est pas tête gô, tiens çà. Si vous êtes guindés, vous ne pouvez pas faire rire vos lecteurs. Détendez-vous ! », disait-il souvent aux Lynxournaleux. Il t’explique comment jouer avec les mots, trouver le calembour convenable. S’il carbonise moins, il ironise : « Qui a écrit pour toi ? Djakka hakkil no ton goy ? » C’est encore plus délirant quand ton papier fait la Une : « Boko Haram est Unable ? Et éclate de rire. Ainsi, le KAA carbonisait nos papiers.

Lors des temps morts, le KAA discute avec les zèbres, comme il aimait nous appeler. Accrochages sur des opinions, des sujets, des faits politiques et sportifs. Fans du Réal de Madrid comme moi. Quand cette équipe joue, on se dispute. Il arrive des moments où je perds tout espoir de voir notre équipe gagner. Et commence à injurier les joueurs, parfois souhaiter le pire à l’équipe. Qui aime bien châtie bien ! Mais, lui, me disait : « Envoyez des vibrations positives, c’est ça supporter son équipe ». Je rétorque que ça ne change rien, s’ils ne jouent, ils se feront battre. Si notre équipe l’emporte, il me reproche d’être un Boko Haram, trop passionné qui ne connaît pas le foot. Et on rit en savourant la victoire. C’est valable pour l’équipe du Syli national qu’on appelle au Lynx Fini national. Une fois, c’était sur la religion. El-Hadj signifie étranger. Pour moi, El-Hadj c’est toute personne qui a effectué le pèlerinage à la Mecque. Je lui propose de se référer au dictionnaire pour nous départager. Il me dit : « Ahh, au moins Boko Haram croit au dictionnaire ». Je souris.

Un KAA préoccupant !

Malade depuis mars dernier, le KAA est cloué à la maison où à la clinique. Je l’appelle au téléphone. A chaque fois qu’il décroche, « Oui, Boko Haram! Vous me manquez terriblement là-bas». Je lui retourne l’ascenseur. A la maison, Siré, Adama, Asmaou et moi. On est le 11 mai, la deuxième fois que je lui rends visite à la maison. Je lui transmets les salutations de Tigui Tolliri Bah, une nouvelle stagiaire qu’il a surnommée Tôlerie, comme il l’a fait pour tout le monde. Tôlerie, déformation de Tolliri, village d’origine de Tigui. « Tigui dit qu’elle ne tolère pas les maladies à répétitions ». Il sourit, mais ne dit rien. Un instant après, il me dit : « Boko Haram, qu’est-ce que tu prépares pour nous ? Je te rejoindrais dans les prochains jours et on va faire boom ». On s’est quitté sur ces maux. C’est le dernier échange que j’ai eu avec le KAA. Finalement, je ferai boom seul, en se souvenant de lui. Le KAA est parti à jamais. Dors en paix ! Qu’Allah ait pitié de ton âme ! Amen !

Oumar Tély Diallo, ton Boko Haram