Bah Mamadou Lamine, BML pour les uns, le Gros du Lynx pour les autres. BML était un journaleux transversal. Je veux dire de tous les âges. Avec les stagiaires du satirique que nous avons été à nos début, nous nous gardions, droit d’aînesse oblige, des dérapages verbaux devant lui. Il a perçu notre scrupule « jeunesse- sagesse », notre gêne aux entournures. Il a coupé court : «Vous êtes des bandikons ! Dans une rédaction, tous les journalistes ont le même âge, ils ont tous vocation à faire bander l’actualité.» Et lorsqu’il t’appelle, tu es journaliste, il casse tout mythe autour de lui.

Un jour de mois d’août, je débarque chez nous à Pita, ville natale que nous avons en partage. Tout heureux de m’accueillir à sa coquette R+1 du centre-ville. «Bienvenu, petit salopard de séducteur. Alors, gare à toi si une de nos demoiselles tombe sous ton charme ». On a rigolé. Mais, le temps d’un éclair, il m’a déjà branché sur un dossier de coupe claire de la forêt de Dalaba. «Je veux que tu t’intéresses à ce dossier».

Nous avons passé ensemble trois jours à Pita. Il a repris la route de Conakry. A Boké, il a débusqué un réseau de cannibales déguisés. Il avait écrit un papier teinté d’émotion. Il a titré son papier : «Ils ont bouffé le Petit Manè. » Il nous a raconté le cannibalisme en pleine Guinée maritime. Il n’a pas cuvé son émoi qu’il débarque au Fouta-Djalon pour épingler ce préfet bruyant, fumeur de PUP devant l’Eternel, qui a détourné un groupe électrogène d’une communauté. D’où l’article décapant, bien à lui : « Philante Filouterie ».

BML laisse des orphelins biologiques. Il laisse aussi un orphelin : Le Lynx, un orphelin, Pita, un orphelin : le CESTI de Dakar ; un orphelin : Fraternité Matin. Tous sevrés. A des degrés divers.

Le Lynx a eu de belles plumes. De très bons journaleux. BML se singularise par la densité de ses articles. Il m’a enseigné que la bonne écriture journalistique fait dans le dégraissage. Qu’un article de presse, c’est plus de signifiés (idée, information véhiculée) que de signifiants. Que les consonnes et syllabes forment le mot. Et il écrivait exactement de la sorte : plus de signifiés que de signifiants ; le tout dans un ordre narratif captivant.

L’écriture satirique, mode d’emploi

On doit posséder une culture générale pour faire des allusions. Il faut s’armer de calembours et d’humour. Il faut bien maîtriser la langue de Molière.

BML avait son écriture satirique bien à lui. C’est sujet-verbe-complément. Point à la ligne. Dans un français facile que même un écolier peut comprendre. Et puis, il tutoyait les tournures compliquées et disait les choses telles qu’elles sont. On trouvait sa plume violente, c’est qu’il disait les choses de la façon la plus naturelle possible. Mais c’est oublier qu’il était avant tout humain, témoin des bêtises humaines qui révoltent.

Grand enquêteur, homme de dossier, il légendait ses écrits par des textes de lois, des conventions, des décisions, des décrets, des arrêtés. Si bien que les mauvais commis de l’Etat et les cadres toxiques qu’ils traquaient n’avaient aucune chance d’ester en justice contre lui.

Les Préfets, sous-préfets, présidents de districts et de CRD étaient des proies favorites. Il les « massacrait » tous les lundis dans le satirique.

BML était un journaliste de terrain. Non un « desquier ». Très à l’aise dans la savane, sur les montagnes, le littéral, en Basse Côte. Aucun détail des dossiers de corruption ne lui échappait. Et c’était un régal de le lire.

C’était un farouche opposant à l’injustice, à l’arbitraire, à l’ethnocentrisme et à l’ethnicisme sous toutes ses formes. Il a combattu le projet Manding Djalon que le régime Alpha Grimpeur ourdissait en Moyenne-Guinée. Il a lutté contre les voleurs de bétail, ceux qui détournent aussi les royalties allouées aux localités qui abritent les compagnies minières. Journaliste et agent de développement local, BML connaissait parfaitement le code foncier, le code des collectivités, le code domanial. C’étaient les fouets qu’il a toujours maniés contre la malgouvernance sous Conté, sous Dadis, sous Général Konaté, sous Alpha Grimpeur.

La bête noire de l’administration locale, de Cona-cris à Yomou

BML était aussi un acteur de la défense des droits de l’homme. Il a lutté même pour les droits des plus démunis. Il a rappelé que nul n’est au-dessus de la loi. Mais, qu’il fallait régler au cas par cas les échéances et sans faire des victimes.

Vous voyez que ce grand journaliste qui nous quitte après avoir pleinement rempli sa partition de journaliste au service des plus démunis. Il n’y a pas lieu de le pleurer. Il a rempli sa feuille de route. Il nous verra à l’œuvre, nous autres, scribouillards

Monsieur Haut, comme j’aimais à vous appeler, merci pour tout. Votre départ en devancier nous amène à rendre grâce à Dieu et à Le prier de vous accorder de ses meilleurs gratte-ciel du paradis. Nous garderons de vous l’excellent, le pur et le dur journaliste.

Je regrette une seule chose: vos deux, voire trois appels WhatsApp. Était-ce certainement pour me dire les adieux avec votre humour habituel ? Certainement.

Nous avions fait nos valises, pour vous accompagner, entre monts et vallées, chez nous à Pita. Mais, le destin a voulu qu’on vous inhume là-bas, à Montréal, loin de nous. Ainsi va la vie. Le bourlingueur au finish. Chapeau, Monsieur Haut. Qu’on vous inhume. Dormez bien, cher frère, cher maître. Nous ne vous oublierons pas si tôt.

Abou Bakr