Pour avoir réalisé des reportages sur les tensions persistantes entre éleveurs et cultivateurs au sud du Tchad, deux journalistes ont été arrêtés et placés en garde à vue entre le 8 et le 12 août 2022, avant d’être finalement libérés. Ces conflits sont devenus particulièrement difficiles à couvrir pour les journalistes. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à protéger le libre exercice du journalisme.
Journaliste à la radio La Voix du paysan à Doba, au sud du Tchad, Janvier Mouatangar a été arrêté le 8 août par des gendarmes après la diffusion d’un reportage sur la destruction de 24 champs par des bœufs appartenant à des éleveurs. Il a été libéré le lendemain.
Les conflits sont fréquents depuis 2019 et souvent meurtriers dans le centre et le sud du pays, où de nombreux habitants sont armés. Les affrontements opposent principalement éleveurs nomades arabes et cultivateurs autochtones sédentaires, ceux-ci accusant les premiers de dégrader leurs champs avec leurs animaux. Depuis l’année dernière, ils ont entraîné une centaine de morts, et environ 300 depuis 2020.
Témoins de ces événements, les journalistes, travaillant pour plusieurs médias dans ces localités situées à des centaines de kilomètres de la capitale N’Djamena, redoutent de plus en plus de les couvrir à cause des représailles, tant de la part des protagonistes eux-mêmes que de l’administration locale.Les professionnels des médias, notamment des médias privés, sont régulièrement empêchés par les autorités locales de rendre compte de ces affrontements intercommunautaires. Considérés comme des “dénonciateurs”, ils sont obligés de demander l’autorisation des autorités avant de collecter et diffuser des informations sur ces événements.
“ Les journalistes doivent pouvoir exercer leur métier sans être inquiétés au nom du droit du public à l’information, déclare Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique de l’Ouest de RSF. La couverture d’affrontements ne peut pas servir de prétexte à des arrestations arbitraires et à des attaques contre les journalistes. Alors que le Tchad entame un dialogue national inclusif, les autorités doivent réaffirmer l’importance pour le pays de disposer d’une presse libre et indépendante, dont les acteurs ne craignent ni pour leur sécurité ni pour leur liberté.”
Nicolas Wang-Namou Senekna, journaliste et directeur de la Radio Gaya Tcholwa (RGT) émettant à Gounou Gaya dans le sud-ouest a confirmé à RSF la récurrence de ces représailles. Et d’ajouter : “La peur d’être agressé se lit sur le visage de nos jeunes reporters qui refusent d’aller sur le terrain.”
Rédacteur en chef de Radio Gaya Tcholwa, Anner Sabartang, a été arrêté par la gendarmerie le 10 août sur ordre du préfet après avoir diffusé, dans un groupe WhatsApp, un reportage sur le mécontentement des populations face à la nomination par le préfet d’un chef traditionnel nomade arabe. Menotté et soumis à un long interrogatoire, le journaliste a été libéré après une garde à vue de deux jours et une inspection méticuleuse de son téléphone, toujours confisqué.
“Les journalistes font face à toutes sortes d’intimidations, d’arrestations arbitraires, et d’interpellations temporaires dans cette zone du Tchad. Pendant les conflits entre agriculteurs et éleveurs, leur rôle n’est souvent pas bien compris et ils deviennent facilement victimes de menaces de toutes sortes”, a déclaré à RSF Abbas Mahmoud Tahir, président de l’Union des journalistes tchadiens (UJT).
RSF demande aux autorités de protéger l’exercice du journalisme et rejoint l’UJT pour dénoncer toutes les arrestations et détentions arbitraires de journalistes. Le téléphone d’Anner Sabartang doit également lui être retourné.
Le Tchad occupe la 104e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.
REPORTERS SANS FRONTIÈRES/ REPORTERS WITHOUT BORDERS