La Guinée, dirigée par les militaires, fait à son tour face à la rigueur de l’organisation des États ouest-africains, et encourt un régime endurci de sanctions si la junte n’accepte pas de revoir ses plans sur la restitution du pouvoir aux civils. Les leaders des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), réunis en sommet extraordinaire jeudi à New-York ont signifié leur impatience au colonel Mamadi Doumbouya et à ceux qui commandent avec lui depuis le putsch qui a renversé le pouvoir civil en septembre 2021.
Ils leur ont donné un mois pour renoncer à leur projet de gouverner encore trois ans, et accepter un délai « raisonnable et acceptable » pour céder la place, indique un communiqué de l’organisation. A défaut, la Cédéao, qui a dit antérieurement pouvoir se satisfaire d’une période transitoire de deux ans, adoptera des « sanctions plus sévères » que celles annoncées le jour même. La Cédéao décide dès à présent de suspendre toute assistance et transaction financière de ses institutions financières avec la Guinée. Un certain nombre de personnalités sont par ailleurs frappés de gel de leurs avoirs financiers et d’interdiction de voyager dans l’espace Cédéao.
La Cédéao avait déjà annoncé de telles sanctions individuelles contre les membres de la junte une dizaine de jours après le putsch de 2021. L’application de ces mesures depuis n’est pas claire. Dans un apparent signe de fermeté, des listes de travail des sanctionnés ont circulé, comprenant le colonel Doumbouya, une volée de colonels, le Premier ministre Bernard Goumou, une flopée de membres du cabinet et des responsables du conseil tenant lieu de Parlement, installé comme le gouvernement par la junte. Le Premier ministre Bernard Goumou et l’une des principales figures de la junte, le colonel Amara Camara, se sont illustrés jeudi 22 septembre avant le sommet par des attaques personnelles d’une rare violence contre le président en exercice de la Cédéao, le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embalo, qui avait prévenu que la Guinée risquait de « lourdes sanctions ».
Vendredi 23 septembre, le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, a montré plus de retenue et exprimé la « sérénité » des autorités face aux sanctions. Ce n’est « pas la durée qui pose problème, mais ce qu’il faut faire » pendant la période précédant le retour des civils, a-t-il dit à Radio France Internationale. Il a évoqué le temps nécessaire pour régler des problèmes anciens comme celui du fichier électoral et pour mener à bien des réformes profondes. Il s’est montré ouvert à la discussion avec la Cédéao. « La Guinée a besoin de moins de sanctions que d’accompagnement », a-t-il déclaré.
Depuis deux ans, la Cédéao a vu se succéder les coups de force militaires en Afrique de l’Ouest, à deux reprises en 2020 et 2021 au Mali, en 2021 en Guinée et en 2022 au Burkina Faso. Elle multiplie les sommets, les missions et les pressions pour abréger les périodes dites de transition et endiguer la contagion, mais est confrontée à des autorités qui n’entendent pas lâcher les commandes de sitôt. Après près d’un an de condamnation mais aussi de médiation, la Guinée commence à subir le sort de son voisin malien, avec lequel elle a été une des rares à se solidariser. La Cédéao a infligé au Mali en janvier un sévère embargo pour sanctionner le projet des militaires de rester au pouvoir jusqu’à cinq années supplémentaires. Ces mesures passent pour avoir durement touché l’économie. La Guinée, comme le Mali, figure parmi les pays les plus pauvres de la planète.
La junte malienne s’est depuis engagée à organiser des élections en février 2024, et la Cédéao a levé l’embargo en juillet. Mais le Mali et la Guinée restent suspendus des organes de la Cédéao. La Cédéao maintient aussi les sanctions individuelles contre des dizaines de membres de la junte malienne. Un nouveau nœud de tension s’est formé avec l’arrestation de 49 soldats ivoiriens le 10 juillet à leur arrivée à l’aéroport de Bamako. Trois ont été libérés, mais le sort des 46 autres nourrit une vive querelle entre Abidjan et Bamako. Les soldats devaient, selon Abidjan et l’ONU, participer à la sécurité du contingent allemand des Casques bleus au Mali. Bamako dit les considérer comme des « mercenaires » venus attenter à la sûreté de l’État. La Cédéao « condamne avec fermeté » leur incarcération et « dénonce le chantage exercé par les autorités maliennes », dit-elle. « Mardi 27 septembre, la Cédéao dépêchera au Mali les présidents du Ghana, du Togo et du Sénégal pour obtenir leur libération », a déclaré Omar Aliou Touray à New York.
Avec AFP