Le 12 octobre 1989, nous quittait l’artiste congolais Luambo Lua Ndjo Makiadi, plus connu sous le nom de Luambo Makiadi Franco des suites de maladie à Bruxelles. Père de la musique moderne congolaise, le pape de la rumba, laisse derrière lui un testament de 150 albums. “Je suis le seul musicien africain à avoir exercé mon métier trente ans durant sans me détacher de l’orchestre que j’ai créé, ni du style qui fait le cachet du groupe. J’en suis fier et je remercie le Bon Dieu de m’avoir donné une vie aussi remplie” déclarait-il.

Né en 1939 dans le village de Sona-Bata à 80 km de Kinshasa, François Luambo, dont personne ne prévoit encore qu’il deviendra quasiment un mythe sous le nom de Franco, commence la musique pour être utile plus que par passe-temps ou simple plaisir. Orphelin de père, il veut aider sa mère, vendeuse de beignets. Alors il chante près d’elle, dans la rue, tapant sur des bidons, grattant une guitare bricolée. Les passants s’arrêtent, écoutent et repartent avec des beignets.

Un jour quelqu’un repère que le gamin se débrouille plutôt bien. Le voici alors à vivre sa première expérience de groupe. Intégré au sein de Birkunda, il anime fêtes familiales et veillées funéraires. Les choses se précisent un peu plus avec Ebongo Isenge qui dirige Watama, un orchestre regroupant des jeunes du quartier “Far West”. Ebongo enregistre pour le Grec Papadimitriou, propriétaire des éditions Loningisa. Quand il présente à celui-ci son poulain, l’affaire est entendue pour le futur “Maître Franco”.

En 1953, la graine de star enregistre sa première chanson avec une guitare électrique offerte par Papadimitriou lui-même. L’état de grâce du jeune futur héros aux éditions Loningisa ne dure pas. En 1954, on lui rend son contrat pour cause d’indiscipline. Franco se trouve un nouvel employeur en la personne de Omer Kashama, propriétaire d’un des bar-dancings à la mode, l’OK Bar (encore appelé Chez Cassien), qui lui propose de monter un groupe avec ses copains. Aussitôt suggéré, presque aussitôt fait.

Franco et l’Ok Jazz

En juin 1956, l’OK  Jazz voit le jour. “OK” comme Orchestre Kinois et comme Omer Kashama. “Jazz” en référence à la musique noire américaine en vogue alors en Europe et en Afrique parmi les colons (au Congo, de nombreux groupes s’approprieront le terme jazz pour l’inclure dans leur nom – voir par exemple aussi l’African Jazz, créé en 1953 par Joseph Kabaselé, avec Docteur Nico à la guitare).  

Si au début, l’OK Jazz joue un peu de jazz pour plaire aux Européens vivant dans la colonie belge, rapidement il se tourne vers la musique latine, très à la mode. Rumba et cha-cha-cha font à cette époque, la joie des danseurs dans les bars de Léopoldville (qui sera rebaptisée Kinshasa, en 1966) et Brazzaville. Reprenant la sonorité “hawaïenne” de la guitare introduite par Zacharie Elenga, alias Jimmy, et dans le sillage du guitariste zaïrois Tino Barosa, Franco fait du pachangué, un mélange de patchanga et de meringué. Puis il accélère progressivement la rumba, tout en l’enrichissant d’éléments traditionnels du terroir.

Il invente alors le style qui sera sa marque et fait encore danser aujourd’hui l’Afrique et sa diaspora. Dans les chansons de l’OK Jazz, l’amour est dès le début un leitmotiv. Les femmes craquent donc par bataillons entiers pour le groupe, surnommé jusqu’en 1960, “l’Orchestre des jeunes filles”. Après l’indépendance, le cercle des fans s’agrandit. De nombreux fêtards traversent le fleuve pour venir de Brazza à Kin où les nuits sont réputées plus agitées. Une fois digérée la déception d’avoir vu partir le grand rival, l’African Jazz, à Bruxelles pour participer à la table ronde sur l’indépendance du Congo belge, l’OK Jazz bombe le torse après sa tournée triomphale dans le pays et à Brazza puis son départ, à son tour, pour l’Europe où il enregistre sur le label Surboum African Jazz.

Les premiers tubes ne se font guère attendre (“Amida Asukisi Molata”, “Chérie Zozo”…) et la réputation de Franco, surnommé désormais le “sorcier de la guitare”, croît chaque jour un peu plus. En 1963, l’OK Jazz se professionnalise en se constituant en société commerciale. Tout pourrait aller pour le mieux si les dettes ne s’accumulaient un peu trop. En 1965, l’année où il sort l’un de ses titres historiques (“Ngai Marie n’zoto”), les huissiers saisissent une partie du matériel pour payer les créanciers. Franco va-t-il jeter l’éponge ?

Réhabilitation

En 1984, retour au pays. Le maréchal Mobutu le fait rappeler, sentant que pour la campagne présidentielle, Franco pourrait être un faire-valoir efficace. On oublie les menus reproches, les malentendus passés… Le musicien réhabilité enregistre un album faisant l’éloge de “Tata M”, largement distribué ensuite dans tout Kinshasa. Franco revient donc aux affaires, chez lui.

Dans son quartier général, un immeuble qu’il a fait construire abritant un club, un bar-restaurant, un hebdomadaire musical (Yé), il gère les activités du TP OK Jazz et préside l’UMUZA (Union des Musiciens zaïrois). Il ouvre un complexe de distractions, enregistre plusieurs albums dans lesquels il montre ses talents de chroniqueur de la vie sociale et glisse des messages utiles, par exemple “Mario” (1985) où il se moque des gigolos et “Attention Na Sida” (1987), à propos du sida, dans lequel il pointe l’attitude des Etats-Unis et de l’Europe qui désigneraient selon lui l’Afrique responsable de ce fléau.

Au cours d’une tournée européenne, alors que son état de santé se dégrade (malgré les affirmations contraires de l’artiste, la rumeur dit Franco atteint par cette maladie dont on riait il n’y a pas si longtemps au pays, la surnommant “syndrome imaginaire pour décourager les amoureux”), il enregistre en 1989 un album avec Sam Mangwana. Ce sera son dernier éclat musical. Il meurt quelques mois plus tard. Plus d’un million de personnes assisteront à ses obsèques à Kinshasa.

On retiendra de cet illustre musicien, l’hommage que lui a rendu l’écrivain David Van Reybrouck dans son remarquable ouvrage ‘’ Congo, une histoire ‘’, en lui dédiant ces lignes ‘’  “l’homme qui passe jusqu’à aujourd’hui pour le plus grand guitariste et compositeur de rumba congolaise et qui, dans une histoire moins anglo-centrique de la musique, aurait sa place aux côtés de B. B. King, Chuck Berry et Little Richard”.

TSD