Beaucoup de malades épileptiques ne partent pas à l’hôpital pour se faire soigner. Ils pensent que leur maladie est l’œuvre du diable, donc ils préfèrent se soigner à la médecine traditionnelle qu’à l’hôpital. Nous avons rencontré Dr Souleymane Djigué, neurologue à l’hôpital Ignace Deen de Conakry, pour parler de l’épilepsie. En voici l’interview.
La Lance : C’est quoi l’épilepsie ?
Dr Souleymane Djigué Barry : C’est une affection chronique qui touche le cerveau. Elle se caractérise par la répétition des crises épileptiques.
Justement, comment se manifeste une crise épileptique ?
C’est tout ce qu’on peut voir chez le malade : les manifestations motrices, sensitives, sensorielles, psychiques qui surviennent au décours d’une décharge hyper-synchrone paroxystique d’une population de neurone. Donc, c’est au niveau du cerveau qu’il y a une décharge qui se manifeste sur le corps de l’individu par des phénomènes moteurs sensitifs, sensoriels, etc.
Il y a combien de types de crises ?
Il y a deux types de crises : -Les crises généralisées qui intéressent les deux hémisphères cérébraux du cerveau. Cela se manifeste au niveau du corps par des manifestions motrices qui intéressent tout le corps.
-Les crises partielles ou focales qui intéressent une partie du corps. C’est une zone très limitée du cerveau qui décharge ; cette décharge se traduit par des manifestations au niveau d’une partie du corps.
L’épilepsie se manifeste en combien de phase ?
L’épilepsie est une crise qui se déroule en trois phases :
-La phase tonique, qui commence par des grands cris que le malade va pousser, avant de tomber et il sera raid, contracturé.
-La phase clonique : le malade va faire des secousses, il va s’agiter dans tous les sens.
-La phase de résolution : l’épileptique va dormir, mais il se réveillera sans aucun souvenir.
On peut avoir aussi des troubles visuels, auditifs, sensitifs, etc. qui sont aussi liés à la crise épileptique.
L’épilepsie peut-elle être héréditaire ?
En tant que tel, non ! Il y a un certain nombre de maladies héréditaires qui peuvent présenter dans leurs tableaux cliniques, des crises épileptiques, mais l’épilepsie en tant que telle n’est pas héréditaire, elle n’est pas non plus une maladie familiale.
Les gens ont tendance à prendre toutes les crises épileptiques comme étant une maladie causée par le diable. Qu’en dîtes-vous ?
Compte tenu des préjugés que les sociétés africaines ont envers cette maladie, il y en a qui pensent que c’est une maladie de diable ou c’est un mauvais sort qu’on a jeté à la personne malade, alors qu’ils devraient savoir que l’épilepsie est une maladie neurologique, une décharge des neurones, du système nerveux central, en l’occurrence le cerveau.
Souvent, on défend ceux qui sont malades par le fait de diable d’éviter de se parfumer. Est-ce que c’est la même chose avec l’épilepsie ?
Non, ce sont des choses qu’on a apprises avec la société, qui n’ont pas une base scientifique.
Est-il défendu aux épileptiques d’éviter de manger certains aliments ?
Oui, l’épileptique doit éviter les aliments qui peuvent exciter le cerveau : le café, l’alcool, etc.
Quels sont les moyens de prévention de l’épilepsie ?
Il faut savoir au niveau de l’étiologie, il y a ce qu’on appelle l’épilepsie idiopathique, qui peut être un peu collé à la génétique. Quand il y a une prédisposition génétique chez l’individu, il peut prévenir la survenue des crises en ne prenant pas les excitants, en dormant suffisamment, en ne regardant pas beaucoup les écrans (télévision et téléphone), ne travaillant pas beaucoup. Quand il y a une lésion au niveau du cerveau, là on parle d’épilepsie lésionnelle. Dans ce cas, on prévient l’épilepsie en traitant cette lésion. Si c’est une lésion accessible à la chirurgie, on peut faire l’exérèse de la lésion. On ne peut pas prendre des médicaments si on n’est pas épileptique.
Quand l’épilepsie n’est pas bien traitée, peut-on avoir des complications ?
La première complication quand on ne traite pas bien l’épilepsie, c’est l’état de mal épileptique, c’est une urgence diagnostique et thérapeutique ; il faut vite poser le diagnostic pour pouvoir le traiter, pour ne pas que le patient succombe à la maladie. Il y a aussi une détérioration intellectuelle, compte tenu des molécules que le malade prend et les molécules qui ont beaucoup d’effets secondaires et la perte neuronale à chaque fois qu’il fait une crise. A chaque fois que le patient fait une crise, il y a un nombre de neurones qui meurent et qui ne régénèrent plus.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
Dans l’ensemble, il y a des difficultés, parce que c’est une maladie qu’on traite à vie ou sur plusieurs années, d’où le nom chronique. Son traitement demande beaucoup de ressources. Malheureusement, les moyens ne suivent pas toujours. Nous avons des difficultés par rapport à l’accès des soins pour les patients épileptiques. Les nouveaux médicaments coûtent très chers et on ne trouve pas souvent les anciens médicaments auprès des pharmacies. Je pense qu’il a un Programme de lutte contre l’épilepsie au ministère de la Santé, il faut un effort supplémentaire pour disponibiliser davantage les médicaments contre l’épilepsie.
Quelle est la fréquence des consultations de l’épilepsie à l’hôpital Ignace Deen ?
Dans notre service de neurologie, la consultation de l’épilepsie vient en troisième position après l’AVC et les céphalées. Donc, c’est une maladie qui est d’un intérêt de santé publique énorme.
Quels conseils donneriez-vous aux malades qui font des crises ?
C’est de venir se faire consulter. Ne pas prendre assez de temps chez les tradi-thérapeutes. Je ne jette pas de discrédit sur ce qu’ils font, peut-être ils font un bon travail, mais il faut savoir que l’épilepsie est traitée dans nos hôpitaux. C’est une entité nosologique qui est très bien connue et codifiée en neurologie. Donc, quand vous avez des crises qui surviennent chez votre enfant, parent, il est conseillé de les amener à l’hôpital. Le médecin neurologue lui dira si c’est une épilepsie ou une autre maladie.
Interview réalisée par
Mariame Diallo (stagiaire)