Depuis mon séjour européen, j’ai porté pendant longtemps un jugement sévère sur le retard des noirs américains dans leur pays, les États-Unis d’Amérique. Cette attitude était alors fondée sur mon manque d’humilité (qui étais-je pour juger les autres ?) Et sur mon ignorance de l’histoire de l’esclavage. En me plongeant dans l’histoire des noirs d’Amérique et à l’occasion de mes séjours aux USA, j’avais fini par comprendre l’énormité du chemin parcouru et à parcourir par les descendants des esclaves noirs. Pendant près de trois siècles.
En effet, tout blanc débarquant en terre américaine bénéficiait d’un accueil bienveillant et très souvent de prêts bancaires en vue d’entreprendre une activité économique. Au cours de la même période, les noirs qui arrivaient dans les cales de bateaux négriers étaient vendus localement comme bêtes de somme, sans âme et sujets aux humiliations et aux atrocités les plus inimaginables. Une telle histoire et de tels traitements inhumains laissent des traces indélébiles.
A cet égard, les noirs n’étaient pas mieux traités dans nos pays frères arabes où leur castration était une pratique courante. Les noirs n’ont malheureusement jamais su célébrer et faire respecter leur histoire commune. Qui sait par exemple que les Allemands ont expérimenté le concept des camps de concentration en exterminant 80% des populations Herero et Nama, du Sud-Ouest Africain (aujourd’hui, Namibie), entre 1904 et 1908 sous le commandement du General Lothar von Trotha ?
Pourquoi cette tribune maintenant ? C’est en lisant un article sur la corruption généralisée au sein des dirigeants sud-africains issus du Congrès National Africain (ANC), à peine sortis de l’Apartheid ! Ce fait affligeant m’a conduit à penser notamment aux histoires particulières d’Haïti et du Liberia, et généralement à tous les pays d’Afrique noire dirigés par des chefs d’États noirs issus des populations noires.
Que cela plaise ou non, force est de constater que ces chefs d’États noirs sont dans leur grande majorité, les bourreaux de leurs propres compatriotes. Les forces de défense et de sécurité des pays d’Afrique noire s’illustrent surtout par leur capacité à réprimer et à torturer plutôt qu’à protéger les populations. La justice et les institutions dans chacun de ces pays sont soumises à la volonté et aux humeurs d’un seul homme qui aurait la science infuse au point de croire que sans lui, c’est le chaos. Et pourtant, les cimetières sont remplis de « grands hommes » qui s’étaient crus indispensables et que l’histoire a relégués aux oubliettes ! Alors, que faire ?
Aux dirigeants noirs des pays d’Afrique et d’ailleurs, je demande avec insistance :
de relire l’histoire des grands royaumes et empires africains ; de relire l’histoire de l’esclavage ; de la colonisation et des humiliations subies par les noirs ; de restaurer dans leurs pays la crédibilité de la justice ; de leurs institutions et de leurs systèmes électifs ; d’arrêter définitivement le cercle vicieux et mortel de l’ethno stratégie dont ils se défendent tous mais qui constituent généralement leurs fonds de commerce ; de cultiver l’amour et la protection de leurs citoyens sans discrimination, l’unicité de la nation, la communauté d’intérêts, la préférence nationale et africaine, et le patriotisme économique ; d’affirmer enfin et de mettre en œuvre la priorité absolue au travail productif, à la culture, à l’éducation et à la formation professionnelle ; de mettre fin au syndrome destructeur de la vengeance et de l’humiliation ; de faire confiance en la capacité des Africains à être les principaux promoteurs du développement de leurs pays respectifs ; de privilégier en toutes circonstances le mérite au détriment du favoritisme ; de combattre avec la plus grande détermination les fléaux qui sont les plus principaux freins au développement : la corruption, la dilapidation des deniers publics et les conflits d’intérêts ; de mettre définitivement fin aux meurtres, aux intimidations, aux arrestations arbitraires d’opposants politiques et de porteurs d’opinions ; de respecter la vie et les opinions de leurs compatriotes.
Si rien n’est fait, il faudra alors se résoudre à accepter le fait que les noirs sont nés pour se brimer entre eux afin de mieux se mettre au service des autres, que ceux-ci se trouvent en Afrique ou ailleurs !
Kémoko Touré