Le 17 février, le tribunal criminel de Dixinn a commencé à auditionner les victimes du massacre du 28 septembre 2009. Aboubacar Sylla, blessé à la tête à l’occasion, met en doute la version selon laquelle Aboubacar Sidiki Diakité alias Toumba était parti au stade pour sauver les leaders. Interrogé par notre rédaction, le leader de l’UFC (Union des forces du changement) s’est dit prêt à témoigner, si la justice lui fait appel.
Bah Oury, lui, s’est déjà inscrit sur la liste des témoins. François Lonsény Fall, ancien Premier ministre et leader politique ne va pas se dérober, non plus et parlera le moment venu. Mouctar Diallo des NFD qui séjourne aux Etats-Unis pourra également témoigner, à distance ou en présentiel. L’ancien ministre des Transports El Hadj Tidiane Traoré (RPG), qui avait été blessé à la tête, ne s’est pas encore décidé.
Incertaine est la présence de Cellou Dalein Diallo et de Sidya Touré, hors du pays depuis bientôt un an et qui craignent pour leur sécurité s’ils revenaient en Guinée. Les deux, constitués partie civile, s’étaient déjà confiés aux juges d’instruction et ont touché chacun, avec feu Jean Marie Doré, deux milliards de francs guinéens de dédommagement. Mamadou Baadiko Bah de l’UFD est lui catégorique : il ne témoignera pas au motif qu’il n’en sait pas grand-chose, lui qui s’était sauvé à temps.
Aboubacar Sylla et tant d’autres leaders politiques n’avaient pas eu cette chance. Président de la commission communication du Forum des Forces vives à l’initiative de la marche réprimée dans le sang, il a encore sur sa tête la balafre laissée par un militaire le 28 septembre 2009. Pour lui, les responsables ne sont autres que Toumba Diakité et ses hommes. Nous vous livrons son témoignage exclusif.
« Nous avons décidé, dans le cadre du Forum des Forces vives, dont j’étais le président de la commission communication et Bah Oury celle politique, d’organiser cette manifestation au stade du 28 Septembre. L’objectif était de mobiliser le maximum de personnes pour démontrer que les Guinéens s’opposaient à la candidature d’un membre de la junte à la prochaine élection présidentielle. Tous les leaders devaient se rencontrer tôt le matin au domicile de Jean Marie Doré, porte-parole des Forces vives, qui habitait juste à côté du stade. On s’est effectivement retrouvés là : Cellou Dalein, Sidya Touré, Lonsény Fall, Mouctar Diallo, Bah Oury…Jean Marie Doré nous a dit que le programme a changé. La veille nuit, il a reçu la visite des notabilités qui lui ont proposé d’organiser une rencontre entre la junte et nous pour éviter la tenue de la manifestation. Même qu’il attendait ce matin-là les sages de nouveau. Nous lui avons dit qu’on ne pouvait pas les attendre, les jeunes nous attendaient déjà sur l’esplanade du stade. Il fallait qu’on y aille. Le plus grand nombre de leaders a rallié le stade à pied, entonnant l’hymne national.
Au niveau de l’université Gamal Abdel Nasser, nous avons rencontré Moussa Tiégboro Camara. Il a engagé une discussion relativement courtoise, nous demandant de reporter la manifestation ne serait-ce qu’au lendemain. Nous avons répondu que c’était trop tard et que le 28 Septembre n’a jamais été férié en Guinée. Entre temps, on lui a soufflé à l’oreille que les jeunes en provenance de Bambéto et de Hamdallaye déferlaient en grand nombre. Il a démantelé tout son dispositif, il est parti. Nous avons continué notre marche.
Arrivé devant le portail du stade avec Mouctar Diallo, les jeunes nous ont pris. Comme dit Toumba : on était en haut (rires). J’ai remarqué que les portes sont grandement ouvertes, alors que le matin on disait qu’elles étaient cadenassées. On a été les premiers à pénétrer dans l’enceinte et monter à la tribune. Puis, nous avons accueilli les Cellou, Sidya, Fall, Tidiane Traoré et Abdoulaye Yéro Baldé, tous deux du RPG… En tant que président de la commission communication, c’est moi qui devais lire le discours. Les autres leaders devaient s’exprimer pendant cinq minutes. Entre temps, le syndicat et la société civile nous ont lâchés, après certainement l’intervention des sages. Mais vu que la manifestation n’était pas autorisée, on n’a pas pu faire venir la sonorisation. J’ai demandé à Sidya ce qu’il y a lieu de faire, vu qu’on ne pouvait pas communiquer dans un tel brouhaha. Il a suggéré d’attendre que le stade soit rempli afin que les journalistes puissent fixer les images. Quelques coins étaient encore vides.
Puis, on a entendu des coups de feu, des gens sont tombés. On était surpris, on n’avait jamais connu ça. C’était le sauve-qui-peut. J’ai vu distinctement Toumba que tout le monde connaissait. Il était à la tête d’un groupe de militaires qui sont montés à la tribune. Là où j’ai su que les choses devenaient très sérieuses, c’est quand ils ont pris Cellou et Sidya au collet et ont donné une paire de gifles à ce dernier en l’insultant. Ils ont tiré. C’était extrêmement violent. On nous a fait descendre, nous aligner sur la pelouse. J’ai été bousculé par un militaire. Quand j’ai réagi, il m’a tapé avec je ne sais une crosse ou une matraque sur la tête. Le sang a giclé, je me suis évanoui. Ils sont partis avec les autres leaders.
Quand j’ai repris connaissance, en sortant, j’ai croisé d’autres militaires qui m’ont dépouillé de tout, y compris de mon stylo et une copie du discours que je devais lire. A ma sortie, qui je trouve à la station d’essence d’en face ? L’ambassadeur d’Allemagne en Guinée d’alors, qui avait eu maille à partir avec Dadis. Il voulait me déposer, mais je lui ai dit qu’un véhicule venait me chercher, j’avais joint la maison. Je saignais énormément et avait de la peine à voir. Ils ont dû toucher une artère. J’ai été admis à la clinique Mère et Enfant, où on m’a fait dix points de sutures. Après, je suis rentré à la maison. Mais une chose est claire, je suis formel : c’est Toumba Diakité et ses hommes qui sont venus nous chercher à la tribune. Lorsque j’entends qu’ils étaient venus pour sauver les leaders, cela m’amuse. Pour sauver quelqu’un, vous ne le prenez pas au collet, ne le tapez pas, ne lui fracassez pas le crâne. Le groupe obéissait vraisemblablement à Toumba. C’est lui qui dirigeait, les autres étaient des exécutants. Si on a besoin de moi, j’irais témoigner. Je suis une victime, j’ai été gravement blessé. »
Propos recueillis par
Diawo Labboyah Barry