Quand Kaïs Saïed fustige les hordes de Noirs venues du Sud pour répandre la délinquance en Tunisie et démolir son identité arabo-musulmane, on croirait entendre Jean Marie Le Pen stigmatiser les hordes de Tunisiens qui envahissent la France pour manger son pain, violer ses femmes, poser des bombes dans ses dancings et sur ses plages, remplacer le bikini par le tchador et le code civil par la charia. L’immigration a bon dos. C’est le prétexte idéal que trouvent les xénophobes pour donner libre cours à leur haine dévastatrice.
C’est le rideau de fumée derrière lequel les racistes refoulés déversent leur fiel quitte à réveiller les vieux démons et, pour parodier Brel, à rallumer les anciens volcans que l’on croyait éteints. C’est le merdier dans lequel les politiciens aux petits pieds puisent les idées qui alimentent leur funeste carrière. La mode est à l’extrême droite : Les Le Pen en France, Méloni en Italie, Trump aux USA, Bolsonaro au Brésil et maintenant Kaïs Saïed en Tunisie ! Et croyez-moi : le dernier venu n’est pas le plus mou de la bande, bien au contraire !
Ce que les Sud-Sahariens subissent en ce moment en Tunisie fait penser à Scènes de chasse en Bavière, le fameux film de Fleischmann où l’on voit un pauvre zig, victime des préjugés de tout un village, tenter désespérément d’échapper à la vindicte populaire. Ne nous voilons pas la face, disons les choses telles qu’elles sont : Ce qui se passe en ce moment en Tunisie ne se limite plus à une simple question d’immigration clandestine, c’est devenu un scandaleux problème de ségrégation raciale. Qu’ils soient en situation régulière ou pas, les Noirs ne sont plus en sécurité en Tunisie. Les témoignages de tous les rapatriés concordent : hommes ou femmes, vieillards ou enfants, personne n’échappe aux exactions en cours. Les traitements qu’ils ont subis relèvent d’un autre âge : injures à caractère sciemment racistes, arrestations arbitraires, expulsions de leurs domiciles, jets de pierres, crachats au visage.
Le délit de faciès est devenu la norme. On vous traite selon votre couleur de peau. Certains se sont vu refuser l’accès aux transports publics parfois même aux épiceries et aux restaurants. Cette Guinéenne et ses deux enfants sont restés terrés trois jours, la peur au ventre, sans boire et sans manger. Le pire, c’est que ça n’a pas l’air de beaucoup déranger ces grands prêtres des Droits de l’homme qui auraient sans doute poussé des cris d’orfraie si ce mini-pogrom avait eu lieu à Paris ou à Londres.
Question : Comment réagirait-on à Bizerte ou à Sousse si des Tunisiens même illégaux subissaient le même sort en Allemagne ou en France ? C’est beau de s’abriter derrière le sacro-saint principe de la souveraineté nationale mais il est coutume que cette souveraineté même dans la délicate question de l’immigration clandestine, s’exerce selon les normes c’est-à-dire dans la dignité et dans la retenue. Ce n’est assurément pas le cas. Les propos de Kaïs Saïed sont excessifs, ils portent des relents de mesquinerie et dehaine. Ils incitent à la violence et à la discrimination. Ce ne sont pas les propos d’un homme d’Etat. Ce sont ceux d’un politicard en campagne.
L’immigration clandestine est un phénomène mondial. La Tunisie n’est pas la seule à la subir ni à la nourrir, d’ailleurs. Il arrive aussi à l’Algérie ou au Maroc d’expulser des Sud-Sahariens mais pas comme ça, pas avec une telle animosité ! On n’imagine pas le roi du Maroc ou le président de l’Algérie tomber aussi bas. Simple question de compétence ou peut-être, de dignité !Il y a peu, je donnais dans ces mêmes colonnes une chronique intitulée « Sublime Tunisie » dans laquelle j’exprimais mon estime et mon admiration pour ce « petit poucet » du Maghreb.
J’y vantais les mérites de son premier président, Habib Bourguiba, cet autocrate éclairé que j’ai violemment critiqué dans mes années de jeunesse mais qui, je le reconnais aujourd’hui, a favorisé l’instruction, façonné une élite moderne et attribué à la Tunisienne un sort fort envié aussi bien en Afrique que dans le monde arabe. J’y faisais aussi l’éloge de la révolution du 17 Décembre 2010, le point de départ du fameux printemps arabe.
J’étais émerveillé par cette société fluide qui, après avoir sans heurt intégré les islamistes du parti Ennahda dans le circuit démocratique, s’octroyait un président régulièrement élu qui ne venait pas du sérail. Un homme tout propre, tout neuf, un brillant universitaire, qui plus est ! D’évidence, la personnalité la mieux indiquée pour piloter cette nouvelle Tunisie réconciliée avec elle- même et remise sur les rails par l’une des révolutions les plus originales, les plus séduisantes de notre époque. Emporté par mon enthousiasme, je concluais par ces mots qui témoignaient amplement de ma confiance et en l’homme et en l’avenir de son pays : « Bon vent, président Saïd ! »
Qu’est-ce que j’étais naïf, mon dieu ! Les victimes de ces insoutenables atrocités auront-elles la force deme pardonner cette monumentale erreur de casting ?
Tierno monénembo