Après près d’un an de détention, l’ancien Premier ministre, les ex-ministres de la Défense et de l’Environnement devaient comparaître ce mercredi 15 mars devant la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief). Une audience boycottée par les prévenus, comme l’avaient annoncé leurs avocats (sans vinaigrette). Ils devront se présenter la semaine prochaine, de gré ou de force.

Cas-Sorry Fofana, Mohamed Diané et Oyé Guilavogui étaient aux abonnés absents ce mercredi à l’ouverture de leur procès, à la Crief. Sans grande surprise : le 22 février, leurs avocats avaient animé une conférence de braise pour annoncer qu’ils boycotteront le procès de leurs clients. Ils le justifient par deux recours déposés à la Basse-Cour suprême. Le premier est un pourvoi du pro-crieur spécial près la Crief Aly Touré qui s’oppose aux différentes ordonnances de remise en liberté rendue en amont en faveur de l’ancien Premier ministre. Alors que le second pourvoi est des avocats (sans vinaigrette) de ce dernier qui contestent la programmation (l’ordonnance de renvoi) du procès, avant que la Basse-Cour suprême ne se prononce sur le premier recours.

Les deux camps ont une interprétation différente de la loi. Pour la défense, les deux recours ont pour effet la suspension de la procédure relative au jugement au fond de l’affaire. Ce que conteste, à contrario, le parquet spécial qui avance deux arguments : le premier recours relatif à la remise en liberté de Cas-Sorry est une question de forme qui, selon lui, n’empêche pas l’examen de l’affaire au fond. Tandis que le second recours est qualifié d’illégal, en ce sens qu’on ne saurait s’opposer à une décision du juge d’instruction de rendre une ordonnance de renvoi aux fins de l’ouverture d’un procès.

« La justice de Dieu »

Avant l’ouverture de l’audience, le parquet spécial déclare avoir dépêché à 9h50 un huissier de justice et des gardes pénitentiaires, accompagnés du Régisseur de l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie, dans les cellules des prévenus. L’ancien ministre de la Défense, Mohamed Diané, aurait opposé le fait qu’il n’aurait pas été informé de l’ouverture du procès ce 15 mars. Puis, il a invité le parquet à passer par ses avocats pour le faire comparaître. Un autre huissier devait également se rendre au gnouf pour constater le refus de comparaître de l’ex-ministre de l’Environnement, Oyé Guilavogui.

Quant à Cas-Sorry, il avait déjà annoncé les couleurs dans une longue lettre publiée la veille. « Je ne me présenterai pas à un juge dans les conditions d’aujourd’hui. Tout comme mes codétenus ne se présenteront pas à un procès aussi longtemps que leurs droits à la liberté et les décisions judiciaires pertinentes déjà prises à cet effet ne seront pas respectées », a-t-il martelé. « Le problème posé, il est politique, la solution sera donc tout aussi politique, renchérit-il. (…) Là où on ne peut espérer la justice des Hommes, il faut s’attendre à celle de Dieu qui peut tarder, mais aura le dernier mot ».

« Question de vie ou de mort »

Outre la violation alléguée de la procédure et de ses droits, Cas-Sorry Fofana invoque son état de santé pour justifier son refus de comparaître. « J’informe l’opinion publique nationale et internationale que je suis arrivé à la clinique Pasteur dans un fauteuil roulant. Il m’a été administré perfusion sur perfusion. Le dernier rapport établi par la clinique Pasteur, qui ne peut être soupçonnée de complaisance et de légèreté, confirme celui de l’infirmerie de la Maison centrale six mois plutôt et d’autres médecins guinéens et étrangers, ayant diagnostiqué déjà une pathologie qui ne peut être traitée sur place, donc nécessite une évacuation sanitaire urgente. C’est une question de vie ou de mort. » L’ancien Premier ministre d’ajouter : « Dans aucun pays au monde, on ne peut se permettre de juger une personne malade, attraire devant la barre un patient qui ne dispose pas de toutes ses facultés pour pouvoir s’expliquer et se défendre, convenablement. »  

Manu-militari

Cas-Sorry Fofana « s’est inventé une fausse pathologie pour ne pas comparaître », répliquent les avocats de l’Etat qui poursuit Cas-Sorry Fofana, Mohamed Diané et Oyé Guilavogui. Leur absence, renchérit la partie civile, « est un mépris, un manque d’égard pour la justice. Nul n’est au-dessus de la loi. Il ne revient pas à une partie au procès de dicter la conduite à suivre ». La partie civile et le parquet ont demandé à la Cour d’ordonner la comparution manu-militari des prévenus à la prochaine audience. Les avocats (sans vinaigrette) de la défense étaient, eux, aux abonnés absents comme leurs clients.

La Cour a ordonné, en définitive, la comparution de l’ancien Premier ministre et de l’ex-ministre de la Défense nationale le 20 mars à 9h. L’ancien ministre de l’Environnement est quant à lui attendu à la barre le 22 mars, de gré ou de force.

Depuis le renversement d’Alpha Grimpeur par le colonel Mamadi Doum-bouillant, le 5 septembre 2021, les barons du régime déchu sont sous le coup d’interminables poursuites judiciaires. La présenté procédure a été enclenchée le 17 février 2022 par Aly Touré, pro-crieur spécial près la Crief. Ce dernier a transmis, ce jour, à la Direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie nationale « la liste des membres du gouvernement déchus après les événements du 5 septembre 2021 contre lesquels il existe des indices sérieux […] de détournement de deniers publics, enrichissement illicite, blanchiment d’argent, corruption et complicité ». Moins de deux mois après s’ensuivront les interpellations, le 6 avril 2022, de Cas-Sorry Fofana, Mohamed Diané, Oyé Guilavogui et Djakaria Koulibaly, ancien ministre des Hydrocarbures. Ce dernier bénéficiera d’une remise en liberté, contrairement aux trois premiers.

Dans les faits, et pour le cas particulier de l’ancien Premier ministre, l’ordonnance de renvoi fait état d’infractions de corruption et de détournement de deniers publics portant sur 15 milliards de francs glissants, de blanchiment présumé de capitaux et d’enrichissement illicite relatifs à 19 milliards de francs, selon le parquet spécial près la Cour de répression des infractions économiques et financières.  

Diawo Labboyah