Le mois dernier, l’ambassade des Etats-Unis à Conakry a publié sur son compte Facebook le « compte à rebours » pour le retour à l’ordre constitutionnel normal en Guinée : la Transition s’achève le 31 décembre 2024. Ce dont s’irrite Conakry.

Ce compte à rebours succède, une dizaine de jours plus tôt, au rapport alarmant sur les droits humains que le Pays de l’Oncle Sam a publié sur la Guinée. Si la réaction d’Alphonse Charles Wright, le Garde des Sceaux, ministre la justice et des Droits de l’homme, n’avait pas fait réagir les Etats-Unis, du moins de façon officielle, la sortie de Morissanda Kouyaté, le ministre des Affaires étrangères, le 2 avril, suite au compte à rebours ne les a pas laissés de marbre.

Conakry juge « inacceptable » le compte à rebours américain qui accentue ainsi la pression sur la junte du CNRD, à céder le pouvoir aux civils. Sur ce, elle est d’accord avec la CEDEAO, sur papier, pour une transition de deux ans, à compter « du 1er janvier 2023 ». Mais, la sortie du ministre Morissanda Kouyaté interroge désormais sur le respect de ce chronogramme. Pour lui, « autant les Etats-Unis d’Amérique sont le maître des horloges pour les activités décidées par le Gouvernement américain, autant la République de Guinée est le maître des horloges pour les activités décidées par le Gouvernement guinéen ».  Ajoutant que « ce compte à rebours donne l’image d’un surveillant de classe veillant sur des élèves en examen. Ce qui est évidemment inacceptable pour un pays jaloux de sa souveraineté et de son indépendance, comme la République de Guinée. »

Morissanda Kouyaté a tout de même essayé de mettre de l’eau dans son vin : « Après avoir échangé avec les hauts responsables de l’ambassade des États-Unis d’Amérique en Guinée, j’ai été rassuré que ce compte à rebours n’avait aucunement l’intention de mettre une pression quelconque sur les autorités de notre pays et de leurs programmes. Il n’a donc aucune valeur contraignante et ne devrait d’ailleurs pas exister. C’est l’occasion de rappeler que nos bonnes relations diplomatiques, historiques avec ce grand pays de démocratie et des droits de l’homme sont au beau fixe, dans le respect et la considération mutuelle. »

Les Etats-Unis réitèrent

Seulement voilà, les Etats-Unis d’Amérique ne badinent pas et ne semblent pas prendre le compte à rebours à la légère. Dans un message transmis à notre confrère Mediaguinee.com le 3 avril, l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Conakry souligne que le « compte à rebours » est bel et bien un « rappel de l’engagement des autorités » de la transition guinéenne et de l’engagement des Etats-Unis « en faveur de la démocratie en Guinée ». Que « le 1er janvier 2025 sera un jour de célébration du retour du peuple guinéen à la démocratie et à l’ordre constitutionnel ». Voici l’intégralité du message : « Les États-Unis demeurent un partenaire solide de la Guinée. Depuis le coup d’État du 5 septembre 2021, nous avons poursuivi et même renforcé notre soutien au peuple guinéen. Dans la lettre de l’ambassadeur Fitrell adressée au président Mamadi Doumbouya, il a souligné les plus de 50 millions de dollars américains que nous avons fournis en assistance technique et matérielle au peuple guinéen dans les domaines de la santé, de la sécurité, des droits de l’homme, de la démocratie et de la gouvernance, et de la croissance économique. Cet investissement dans le peuple guinéen s’appuie sur notre relation solide depuis l’indépendance de la Guinée — une relation qui est fondée sur l’amitié, le respect mutuel et un engagement pour un monde plus libre et plus prospère.

Le mois dernier, nous avons lancé notre « Compte à rebours pour la démocratie » sur les réseaux sociaux. Ce compte à rebours reconnaît et célèbre l’engagement du président Doumbouya et des autorités de transition à achever la transition le 1er janvier 2025. Nous continuons de soutenir les Guinéens et leurs efforts tout au long de la transition. En janvier, nous avons lancé un nouveau programme de 15 millions de dollars américains sur cinq ans pour soutenir tous les aspects d’un processus électoral transparent, inclusif, légal, politique et électoral. Ce projet renforcera les capacités de l’organe de gestion des élections et des responsables locaux des élections, aidera à la réforme constitutionnelle et électorale, fournira un soutien technique d’experts juridiques et formera des journalistes et des citoyens à reconnaître les fausses nouvelles et à fournir des informations précises et impartiales. Ceci s’ajoute aux milliers de Guinéens qui ont bénéficié de la programmation de la démocratie, de la gouvernance, et des droits de l’homme financée par l’ambassade en 2022. Comme toujours, cette assistance n’est assortie d’aucune condition.

Le « Compte à rebours pour la démocratie » est un rappel de l’engagement des autorités de transition et de notre engagement en faveur de la démocratie en Guinée. Le 1er janvier 2025 sera un jour de célébration du retour du peuple guinéen à la démocratie et à l’ordre constitutionnel. Nous sommes ici en tant qu’amis et partenaires pour encourager et soutenir cet avènement historique. Et le 1er janvier 2025, nous serons là pour encourager et soutenir la nouvelle démocratie guinéenne que vous créerez et qui présidera pendant des générations. Ensemble pour la Guinée ! »

Compte à rebours supprimé et justifié, malgré tout le doute

Cette passe d’armes ne risque-t-elle pas de crisper les relations entre Conakry et Washington ? Toujours est-il que l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique a décroché le « compte à rebours » de son mur Facebook. Et elle s’est justifiée dans un communiqué publié ce mardi, 4 avril, intitulé : « Une célébration de la démocratie guinéenne».  Lisez-le, plutôt : « Depuis plus de 60 ans, les États-Unis sont un partenaire et un ami du peuple guinéen. La transition en cours est l’occasion de créer une démocratie qui fonctionne pour tous les Guinéens, par le biais d’un processus dirigé par les Guinéens. 

 Le « compte à rebours vers la démocratie » a été créé pour célébrer le processus de transition et le jour où l’ordre constitutionnel sera rétabli en Guinée.  Nous avons supprimé le compte à rebours pour permettre au peuple guinéen de se concentrer sur le travail important que représente l’achèvement des points du calendrier de transition de 24 mois. Les États-Unis resteront des partenaires tout au long de ce processus. Nous sommes impatients de célébrer la démocratie guinéenne en janvier 2025. » Qui vivra verra !

Mamadou Siré Diallo