Le 25 mai, on a commémoré le 60ème anniversaire de la première initiative panafricaniste, à l’aube des indépendances de la plupart des colonies européennes d’Afrique. A la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) aujourd’hui Union Africaine (UA), deux groupes d’États antagonistes animaient la vie politique. D’un côté le groupe de Casablanca : il rassemblait les États qui prônent les Etats Unis d’Afrique à l’image de ceux d’Amérique ; de l’autre côté, le groupe de Monrovia : il fédérait les États modérés qui défendent l’idée d’une Afrique des Etats-Nations. Ces deux vastes assemblages dont les composantes sont unies par des liens tenus, se retrouvent, après de long mois de conclaves et de parlotes, aux quatre coins du continent d’ébène, dans la nuit du 25 au 26 mai 1963, à Addis Abeba sur les terres du négus, pour sceller leur union dans une charte qu’ils baptisent la « Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine ».
Ce papelard concocté par les intellos formés dans les Universités des pays qui ont eu l’outrecuidance de coloniser les autres et de leur imposer leur culture et leur civilisation, insiste sur les valeurs de liberté, de dignité, d’égalité et sur les principes de solidarité, de non-immixtion dans les affaires d’autrui, d’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, de décolonisation totale de l’Afrique. Excusez du peu !
Sans être un fourre-tout, la charte est un pesant cocktail de compromis et de compromissions. En effet, les deux groupes qui ont fusionné ce 25 mai 1963 avaient de profondes divergences idéologiques soutenant des modèles de société fort disparates. Pays voisins, abritant des peuples de cultures et de civilisations quasiment similaires, la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët Boigny et la Guinée de Sékou Touré ont parfaitement illustré ce hiatus qui a nourri entre elles une récurrente querelle de clocher. Capitaliste, pro-occidentale, la Côte d’Ivoire est partisane des initiatives privées. A contrario, proche du bloc socialo-communiste, la Guinée expérimente la collectivisation des moyens de production et le régime du Parti-Etat.
Ce cas de figure n’est d’ailleurs pas isolé et très rapidement des fissures lézardent la nouvelle construction, qui ne résiste pas aux rivalités de la guerre froide qui oppose l’Ouest à l’Est, depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale. Les Etats africains naissants se fragilisent davantage et deviennent peu aptes à répondre aux aspirations légitimes des populations. Cette inaptocratie se généralise et encourage un peu partout sur le continent la Grande muette à sortir de ses gonds pour tâter du pouvoir politique. L’OUA semble avoir oublié nombre de ses engagements pourtant toujours consignés dans la Charte. Apparemment, nul ne songe plus à la formation des Etats Unis d’Afrique. Quelque émule de Kwame Nkrumah tel que le colonel Kadhafi caresse encore cette idée. Mais y croit-elle encore ? Rien n’est moins sûr. Le rêve s’est brisé sur le réel. Face à ses déconvenues, l’OUA fait peau neuve. Elle devient en 2002, l’Union africaine et s’organise sur le modèle Européen.
Peut-on, pour autant, conclure que l’OUA n’a été que pire vanité ? Ce serait manquer de gratitude à l’endroit des femmes et des hommes qui n’ont ménagé aucun effort pour mettre en place un instrument de solidarité agissante qui a largement contribué au processus de décolonisation de l’Afrique. L’OUA n’aura pas répondu à toutes les attentes. Loin s’en faut. Mais elle a le mérite d’exister.
Abraham Doré