Du 24 au 29 mai, la ville de Labé a vibré au rythme de la 6e édition du FAR (Festival des arts et du rire), organisé depuis 2015 par la structure Sudu Dardja production de Mamadou Lamine Diallo alias Mamadou Thug. Mamoudou Nagnalen Barry, ministre de l’Agriculture et de l’Elevage, représentant son homologue de la Culture, des membres du CNT comme le Pr Hassane Bah et Me Mohamed Traoré, ainsi que les autorités administratives et communales hôtes ont rehaussé de leur présence l’événement, officiellement lancé vendredi 26 mai au Centre culturel Ka Werdhè, nouvellement construit par l’organisateur du FAR.
Des artistes de tout genre ont également rallié la ville de Karamoko Alpha mo Labé. L’humoriste vedette invité, cette année, était l’Ivoirien Kouamé Gilles Romuald Kacou, plus connu sous le nom de Boukary. Ce dernier a bien voulu nous accorder une interview exclusive, pour parler de sa carrière, de son style particulier et de la Guinée qu’il visite une nouvelle fois.
Le Lynx : Comment avez-vous été piqué par le virus de l’humour ?
Kouamé Gilles Romuald Kacou alias Boukary : C’est inné, le talent bouillonnait en moi. Il fallait juste que je trouve un cadre où m’exprimer. Déjà à l’école, je le pratiquais. Les élèves se regroupaient autour de moi pendant la récréation. Je leur apportais de la gaieté, de l’humour. On formait des troupes de théâtre et participait à des concours. Mon groupe n’était pas le meilleur, mais on était parmi les cinq premiers.
A partir de 1996, il y avait une émission à la RTI consacrée à l’humour appelée « Sacrée soirée ». J’ai tenté ma chance, Dieu a fait qu’aujourd’hui je suis Boukary.
On vous trouve un accent burkinabé. Pourquoi ?
J’aime beaucoup le peuple burkinabé. La majorité de mes amis sont du Burkina. Ce pays m’a adopté. J’ai un peu mis en valeur la culture Moré. Les Burkinabés pouvaient m’accepter, tout comme me refuser. J’ai juste été chanceux d’avoir une autre famille, à part celle biologique. C’est un peuple très intègre, fidèle. Lorsqu’il te choisit, c’est définitif. Chez eux, il n’y a pas de demi-mesure. Aujourd’hui, beaucoup me prennent pour un Burkinabé.
Comment le contact s’est-il noué ?
Mon grand-père, qui avait une grande plantation, y employait des Burkinabés. Boukary, c’est le nom de l’un d’eux : un monsieur âgé, qui m’a adopté et pris comme son fils. Il m’invitait à chaque fois chez lui. Peut-être qu’il connaissait mon étoile, ce que j’allais devenir. Il m’a aimé, comme s’il savait que le peuple burkinabé allait en faire autant. J’appartiens à l’Afrique.
A vous entendre parler, on croirait que Boukary n’a pas étudié…
Je m’exprime, je conjugue des verbes… C’est un rôle que je joue. Pour comprendre les mots, il faut vraiment aller à l’école. J’ai fait le tour du monde, je me retrouve devant des personnalités, je parle affaires. Il est vrai que je suis humoriste, mais c’est du show-biz. Il y a un business derrière. Il faut contrôler tout cela. Cela requiert un niveau d’études. On ne vient pas dans l’humour parce qu’on a échoué. C’est un boulot : cinéma, théâtre…
Vous étiez récemment en Guinée dans le cadre d’un autre événement. Vous y revenez au compte du Festival des arts et du rire de Labé…
Oui, j’étais là le 12 mai pour un One-man show : « La rivière au bord de l’eau ». Après, je suis allé à Dakar avant de revenir ici. Voyez-vous que je n’appartiens plus qu’au peuple ivoirien. Le peuple guinéen me soutient beaucoup. Il représente une part importante de mes fans sur Facebook.
Vous revenez sur invitation de Mamadou Thug. Comment l’avez-vous connu ?
C’est un confrère. Nous nous sommes connus sur un plateau de tournage télé. Depuis, nous avons scellé une amitié. C’est un Monsieur bien, qui a la main sur le cœur. Il m’a tendu la perche, alors qu’il n’en était pas obligé. Il aurait pu inviter d’autres grands humoristes : Gohou Michel, Digbeu Cravate, Zongo sont déjà passés ici. Si ceux-ci ont accepté de venir, c’est parce qu’il est bon. Tous ceux qui viennent au FAR disent de bien de lui. Il fait beaucoup pour la culture africaine.
Labé, c’est à 400 km de Conakry qui centralise tout. Le FAR cherche à décentraliser, à susciter des vocations chez les jeunes de l’arrière-pays. Que pensez-vous de telle initiative ?
L’initiative est louable. Il est vrai que je connaissais déjà, outre Conakry, N’Zérékoré, Kamsar mais je n’étais jamais venu à Labé. En venant, j’ai remarqué qu’il y a des belles constructions, la ville est développée. C’est l’accès qui est très difficile. Je me dis que cela relève de la volonté politique. Il faut que les décideurs se mettent ensemble pour remonter leurs besoins et problèmes. Labé ne fait pas partie d’un autre pays. C’est une partie de la Guinée. Comme on le dit, la voie précède le développement. Pour que les gens viennent facilement, investissent, il faut l’accessibilité. C’est tout ce que je trouve à redire. Pour le reste, les gens vivent bien.
Vous n’avez pas remarqué les belles femmes ?
Je suis arrivé à 6h, elles dormaient encore (rires). Quand je les verrai, je dirais adieu à la Côte d’Ivoire (rires).
Qu’avez-vous à dire aux aspirants humoristes ? C’est quoi la potion magique pour devenir un bon humoriste ?
En Côte d’Ivoire, il y a l’INSAC, l’école de théâtre, musique et tout. Encore une fois, on ne devient pas humoriste parce qu’on a échoué dans la vie. Il y a le déplacement scénique, comment se tenir face à une caméra. Derrière la caméra et toi, il y a des millions de regards ! Les retenir et les tenir en haleine afin qu’ils vivent ta scène avec toi, tout cela s’apprend à l’école.
Ce n’est pas un métier ingrat, il nourrit son homme. Si je prends l’exemple des comédiens burkinabés, maliens… Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, presque tous les humoristes ont un toit. J’ai fait le tour du monde grâce à l’humour. C’est parce que j’ai pris mon travail à cœur. C’est comme tout boulot : quand tu le respectes, il te respecte. C’est un métier qui nourrit vraiment son homme.
Que pensez-vous de l’événement « Abidjan capitale du rire » du célèbre humoriste Mamane ?
Mamane a mis en valeur tous les humoristes africains qui ont vraiment de l’ambition. Il y a le Parlement du rire, Abidjan capitale du rire, les Awards du rire africain. Il a créé beaucoup d’espaces. Il pouvait rester en France, comme Jamel Debbouze qui est africain, Omar Sy… Il a aussi vu qu’en Côte d’Ivoire il y a de la graine (du potentiel). Il s’est investi pour son éclosion. Mamane a beaucoup fait, surtout pour ma carrière.
Interview réalisée à Labé par
Diawo Labboyah