Officiellement, le débat d’orientation constitutionnelle a pris fin le 3 juin. Mais les avis et les suggestions continuent. Bien que les formations politiques soient largement entendues lors de ce débat au CNT (Conseil national pour la transition), la Coalition politique pour la rupture (CPR) n’avait pas tout dit sur les réformes constitutionnelles engagées en Guinée. Ne se sentant pas assez bien entendue au CNT, la CPR dirigée par Faya Millimono, président du Bloc libéral (BL) a animé une conférence de presse ce mardi 6 juin à Conakry. Objectif : réaffirmer sa position et soumettre davantage des propositions pour l’élaboration de la nouvelle constitution guinéenne.

D’entrée de jeu, Faya Millimono signale que bien avant l’arrivée du CNRD au pouvoir, la CPR avait déjà un projet de réforme constitutionnelle. Elle propose un régime présidentiel composé d’un vice-président élu, mais avec une forte décentralisation du pouvoir central. Un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois, un gouvernement de dix-neuf ministres au maximum et la suppression du poste de Premier ministre. « L’efficacité veut qu’avec peu de moins on fasse beaucoup. Il ne faut pas créer un ministère pour chaque fraction de la population. Nous avons les plus beaux textes en Guinée, ce qui nous manque, ce sont leurs applicabilités », déclare-t-il. Il estime qu’il ne faut surtout pas créer des institutions dont le peuple ne pourra pas prendre les charges. « Le peuple de Guinée n’est pas capable de soutenir les institutions que nous créons. Il faut les diminuer… La constitution de 2010 avait beaucoup de faiblesses… Au niveau de la hiérarchie supérieure du pouvoir judiciaire, il y avait une cour suprême. À l’intérieur de cette cour, on avait une chambre administrative, une chambre économique, une chambre constitutionnelle. L’innovation qu’on a faite en 2010, c’est de sortir ces chambres de la Cour suprême pour en faire des institutions à part entière sans se poser la question est-ce que l’État guinéen avait des bureaux pour abriter ces institutions. Le Conseil économique, social et environnemental est logé où ? La Médiation de la République est logée où ? La Commission électorale nationale indépendante est logée où ? La Cour constitutionnelle est logée où ? La Cour des comptes logée où ? Toutes ces institutions sont dans des édifices privés qui coûtent extrêmement cher à l’État et c’est le bas peuple qui en fait les frais ».

La CPR opte pour un État présidentiel et non présidentialiste avec un plein pouvoir du président. La diminution des institutions et la décentralisation du pouvoir feraient de nous un État fort : « Nous sommes un État mendiant depuis longtemps, qui tend la main même pour organiser des élections de quartiers ». Une situation singulière, selon Faya Millimono.

En 30 ans, la Guinée a connu trois Coup d’État. Le président de la CPR trouve anormale qu’à chaque fois qu’un président meurt en Guinée, qu’il y a vacance de pouvoir, que ce soit un groupe de militaires qui prend le pouvoir. «C’est parce qu’il y a un flou dans nos constitutions». Il faudrait donc avoir un vice-président et une loi organique capable d’assumer le plein pouvoir et remplacer le président sans effusion de sang.

La HAC ? Un simple organe de veille

Dans ces recommandations, le président de la CPR propose que la Haute autorité de la communication soit mise sous tutelle en tant qu’organe de veille. : « La HAC qui deviendrait la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication (HAAC) sera sous l’autorité du ministère de la Communication, elle ne sera plus une institution mais un organe de veille, de police et de régulation de l’audiovisuel et de la communication incluant le service de l’ARPT comme organe administratif ».

Du chômage des jeunes

Faya Milimono se révolte contre ceux qui affirment que c’est à cause du refus des vieux à faire valoir leur droit à la retraite que les jeunes sont au chômage. « Même si on met dehors les cent-mille fonctionnaires de l’État et on les remplace par les jeunes, cela ne va pas résoudre plus de 5% du chômage des jeunes en Guinée ». Et d’ajouter : « Rien ne prouve que les jeunes soient plus vertueux ou plus compétents que les vieux ». Pour lui, le problème serait ailleurs et c’est pourquoi il faudrait compresser l’administration publique et laisser la place aux entrepreneurs au lieu de les concurrencer.

Les pouvoirs exécutifs et judiciaires

Parlant du pouvoir législatif, Ahmed Keita membre de la CPR suggère de fortement diminuer le pouvoir exécutif. « Le régime présidentiel en Guinée entretient depuis toujours un déséquilibre qu’il faudrait corriger par un recadrage des pouvoirs. L’étendue du pouvoir exercé par le président de la République écrase les autres pouvoirs (judiciaires et législatifs) ». Selon lui, il faudrait accorder à l’Assemblée nationale le pouvoir de destituer le Président, si nécessaire, et élire les députés en fonction de la population.

Pour ce qui est du pouvoir judiciaire, Ahmed reconnaît que dans notre pays, la Justice est souvent de connivence avec le pouvoir exécutif. « L’intimidation, la corruption, les poursuites fantaisistes, les incarcérations sans aucune forme de procédure judiciaire et avec l’injustice, caractérisent le pouvoir judiciaire guinéen ». Selon lui, la Justice doit être indépendante de l’Exécutif et avoir un Conseil supérieur de la magistrature qui n’est pas dirigé par le Président de la République. La justice doit être solidaire, à la disposition du public. « L’État doit se battre pour rapprocher les avocats aux problèmes du peuple ». Chaque citoyen doit être libre de recourir à la Justice par rapport à n’importe quel problème et l’État doit le soutenir, déclare Ahmed Keïta.

Abdoulaye Pellel Bah