S’appuyant sur des expériences et des théories d’éminents économistes, Abdoulaye Guirassy explique, à travers cette tribune, les avantages d’une indépendance plus marquée de la BCRG (Banque centrale de la République de Guinée) vis-à-vis du gouvernement. Au passage, cet économiste et politologue guinéen déplore les violations répétées des règles qui gouvernent l’institution bancaire guinéenne.

L’indépendance des banques centrales est un sujet de controverse et de divergences entre économistes. Certains, comme Alex Cukierman (1992), Alberto Alesina-Lawrence Summers (1993) et Robert Joseph Barro (1997), soutiennent que l’indépendance d’une banque centrale est négativement reliée à la croissance de la masse monétaire et à l’inflation. En d’autres termes, une indépendance poussée favorise des taux moyens d’inflation et d’une faible croissance de la masse monétaire, se traduisant par une stabilité monétaire plus grande. Cette indépendance permet ainsi aux autorités monétaires d’engager, en toute liberté, des reformes, sans la moindre contrainte des politiques pour maîtriser l’inflation.

Des banques inféodées au gouvernement

Ces économistes en concluent que les reformes légales et réglementaires destinées à conférer une plus grande indépendance à une banque centrale sont de nature à contenir l’inflation à des niveaux raisonnables. Leur raisonnement semble étayé par l’histoire monétaire de certains pays développés comme l’Allemagne où la Bundesbank, avant la création de la Banque centrale européenne (BCE), enregistrait des meilleures performances dans la lutte contre l’inflation et pour la stabilité monétaire.

En revanche, d’autres économistes comme Milton Friedman (1968) s’opposent à l’indépendance d’une banque centrale. La monnaie étant un bien public trop précieux, le gouvernement doit, selon eux, prendre une part active dans l’orientation et la gestion des questions monétaires. Une véritable indépendance de la banque centrale ne saurait exister.  La position de ces économistes semble également tenir la route : à chaque fois qu’une opposition se manifestait entre un gouvernement et les autorités monétaires, l’expérience prouve que c’est la banque centrale qui cède. Même les banques centrales réputées indépendantes sont tacitement inféodées aux gouvernements. Selon ces économistes, l’instauration d’une banque centrale indépendante est intolérable sur le plan politique. Ces derniers reprochent aux banques centrales d’avoir une dissémination des responsabilités du fait que le pouvoir monétaire et budgétaire ne relève pas de la même hiérarchie. Conséquence, chaque partie rejette la responsabilité sur l’autre. L’indépendance suppose que les pouvoirs soient jumelés pour situer les niveaux de responsabilité, chose inconcevable et inadmissible, s’opposent ces économistes.

Maîtriser l’inflation et stabiliser la monnaie

Dans la pratique, aucun gouvernement ne souhaite octroyer une pleine et entière indépendance à sa banque centrale. La politique monétaire apparaît comme un outil de celle économique de l’ensemble du gouvernement. La situation de la Banque centrale du Japon corrobore ce point de vue : bien qu’ayant une indépendance très faible, celle-ci a toujours réalisé des performances élogieuses dans la maitrise de l’inflation et la stabilité monétaire.

De cette diversité de visions, les études empiriques démontrent clairement que l’indépendance d’une banque centrale favoriserait toutefois la maîtrise de l’inflation et une plus grande stabilité monétaire. Globalement, elle recouvre trois dimensions essentielles: l’indépendance managériale, opérationnelle et financière. Le besoin d’indépendance des banquiers centraux dépend surtout de la nature de la gouvernance et de la rigueur dans la conduite de la politique économique de l’ensemble du pays. Au sein des économies développées, le problème ne se pose pas, les banques centrales étant généralement rigoureuses et disciplinées. A contrario, dans les pays en développement, la question retrouve tout son sens, à cause de la mauvaise réputation des autorités monétaires.

Des conditions techniques et politiques

L’indépendance d’une banque centrale requiert des conditions techniques : caractère irrévocable de la nomination des gouverneurs et autres dirigeants pendant la durée de leur mandat ; interdiction ou limitation faite à la banque centrale de financer le déficit public; possibilité pour le gouverneur de collaborer avec un collège de personnalités non liées au pouvoir politique ; l’autonomie pleine et entière de la banque centrale.

À ces celles-ci s’ajoutent des conditions politiques qui concernent la solution consensuelle des partis politiques sur l’élaboration des différentes missions dévolues à la banque centrale, la libéralisation de la politique monétaire avec les interventions de la banque centrale sur les marchés financiers.

En tout état de cause, l’expérience de la gestion de la politique monétaire dans les pays développés et celle des pays en voie de développement démontrent à suffisance la relation positive entre la stabilité monétaire et l’indépendance d’une banque centrale.  Généralement, les pays à faible inflation sont ceux dont les autorités monétaires disposent d’une marge de manœuvre et d’une liberté d’action plus large.

Cas de la BCRG

Selon ses statuts, la Banque centrale de la République de Guinée est une institution dotée de la personnalité juridique, de l’autonomie financière et de gestion, qui relève de la Présidence de la République. Elle comprend un conseil d’administration, un gouverneur, deux vice-gouverneurs, un comité de politique monétaire, un comité d’audit et un conseil de cabinet. Les membres du Comité́ de politique monétaire et du Conseil d’administration sont nommés par décret, sur proposition conjointe du ministre des Finances et du gouverneur pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois. Ils ne doivent pas faire partie du personnel de la Banque centrale.

Le gouverneur et les deux vice-gouverneurs sont également nommés par décret pour cinq ans, renouvelables une fois. Ils sont choisis parmi les personnalités disposant de compétences et d’expériences professionnelles dans les domaines économique, financier, monétaire, juridique ou comptable.

Les statuts de la BCRG permettent de consentir des avances à l’État à une hauteur raisonnable des recettes budgétaires des années antérieures. Ces aménagements juridiques se démarquent très nettement de la pratique constatée dans le fonctionnement de la Banque. Dans l’histoire monétaire de notre pays, jamais un gouverneur ne s’est conformé à l’obligation de prestation de serment après sa nomination prévue par les textes. Hormis les prestations de serment collectives imposées par le CNRD. Une violation flagrante des textes qui prévoient que « le gouverneur et les deux vice-gouverneurs prêtent serment devant le Président de la République, avant de prendre fonction, de bien et fidèlement diriger la Banque centrale conformément aux lois et aux statuts de la BCRG ».

Non-respect des textes

Il serait judicieux que le rattachement de la Banque centrale à la Présidence de la République soit sous forme de relation fonctionnelle et non de subordination. Selon les statuts de l’institution, « le gouverneur et ses vice-gouverneurs ne peuvent être relevés de leurs fonctions au cours de leur mandat uniquement que pour raison de faute professionnelle ou d’incapacité physique et cela par décret du Président de la République, sur recommandation du Conseil d’administration. A cette occasion, une majorité́ simple des membres du Conseil d’administration est requise ». Une disposition systématiquement violée. Depuis l’indépendance, la nomination des dirigeants successifs (gouverneurs, vice-gouverneurs) dépend du président de la République qui use et abuse de son pouvoir discrétionnaire.

L’interdiction ou la limitation faite à la Banque centrale de financer le déficit public est largement transgressée, en raison des pressions politiques des gouvernements successifs sur les autorités monétaires. Pourtant, le plafonnement légal des avances de la Banque centrale au Trésor public est une ligne rouge à ne pas franchir, pour maîtriser l’inflation. Or, les besoins de financement de l’État ont souvent été couverts par le crédit bancaire interne. Selon le FMI, le crédit net à l’État a triplé en passant de 0, 2 % du PIB en 2008 à 6 % en 2009 et jusqu’à 11 % en 2010! La masse monétaire au sens large aura plus que doublé durant ces années. La volatilité des montants en pourcentage du PIB est consécutive à la violation des plafonnements légaux.

Notons qu’en 2021, l’encours brut des avances de la BCRG au trésor était à hauteur de 1, 8 % du PIB, dont 1, 2 % accumulé en 2020. Une embellie appréciable à l’honneur des autorités monétaires.

Des dirigeants trop politiques

L’autre unité de mesure de l’indépendance de la Banque centrale est la possibilité pour le gouverneur de collaborer avec un collège de personnalités non liées au pouvoir politique. Mieux, les hauts fonctionnaires de la BCRG doivent faire montre d’honorabilité en s’abstenant d’exercer des activités politiques comme l’a fait Fodé Soumah, défunt vice-gouverneur et parrain national du PUP de l’ère feu Lansana Conté, du gouverneur et des vice-gouverneurs du régime précédent qui étaient des grands promoteurs du troisième mandat de l’ex-président Alpha Condé.

Pour pallier ces pratiques aux antipodes de l’orthodoxie monétaire, les textes régissant le fonctionnement de la BCRG doivent clairement faire mention de l’interdiction faite à ses dirigeants de s’ingérer dans les activités politiques, afin de garantir l’autonomie pleine et entière de la Banque centrale. Ces mesures permettront à la BCRG d’agir sans interférence extérieure dans la gestion opérationnelle des activités et l’exercice des choix stratégiques du Comité de politique monétaire. L’unique boussole devant guider les choix stratégiques doit demeurer la stabilité monétaire.

De ce qui précède, il apparaît clairement que le fonctionnement de la BCRG s’écarte dans une certaine mesure de ses statuts. Les conditions techniques d’une véritable indépendance de la BCRG ne sont nullement respectées. La refondation et la rectification institutionnelle prônées par le CNRD doivent inéluctablement inclure la réforme de notre système économique en général et celui du secteur monétaire en particulier, en vue de tirer les meilleurs dividendes de la stabilité du cadre macroéconomique guinéen. Le respect scrupuleux des textes et des différentes conditions d’indépendance permettra à la Banque centrale d’intégrer le cercle des institutions bancaires stables.

Abdoulaye GUIRASSY

 Économiste-Politologue