Les magistrats guinéens ont déclenché, ce jeudi 17 août, une grève générale illimitée pour protester contre une énième ingérence du boss de la Justice dans les décisions judiciaires. Au cœur du bras de fer judiciaire, une affaire domaniale jugée par le tribunal de première instance de Labé qui a condamné une dame du nom d’Asmaou Diallo. Qui est cette justiciable qui fait monter Alphonse Charles Wright (ou Wrong) sur ses grands chevaux ?

En plus de s’ingérer dans une affaire judiciaire, c’est dans un problème de famille que le Garde des Shows a fourré son nez. Par arrêtés datés du 16 août, Alphonse Charles Wrong a suspendu coup pour coup le robin Moussa Cas-marrant et le substitut du pro-crieur près le tribunal de première instance de Labé, Cé Avis Gamy. Il est reproché à l’un d’avoir exagérément condamné une citoyenne peu ordinaire ; et à l’autre, d’avoir exécuté la décision, comme le lui commande la loi. Une mesure qui a irrité toute la corporation, au point que l’AMG (Association des magistrats de Guinée) a déclenché une crève générale illimitée dans les cours et tribunaux du pays, avec effet immédiat.

Elle conditionne toute reprise des activités au rétablissement des robins suspendus : « Au regard du danger que court le pouvoir judiciaire en ce moment crucial, relativement à la gestion bancale du département de la Justice, le conseil d’administration de l’AMG invite l’ensemble des magistrats de Guinée à cesser immédiatement toute activité sur toute l’étendue du territoire national ce, jusqu’ à ce que messieurs Moussa Camara et Cé Avis Gamy, arbitrairement suspendus, soient rétablis dans leurs fonctions respectives. »

Epouse d’ancien ministre

La justice, c’est normalement « la boussole de la transition », si on prend aux maux le colonel Mamadi Doum-bouillant. Si le Garde des Shows a pris les risques de faire vaciller un secteur si important aux yeux de son patron, de surcroît auquel il a appartenu en étant juge, puis pro-crieur, il y a sûrement une bonne raison.

A l’origine de ce méli-mélo, une affaire domaniale oppose les héritiers de la famille Diallo de Labé à leur tante, Asmaou. Feu Abdourahmane, le père des plaignants, est décédé en 2019. Sa sœur, Asmaou qui vit en Côte d’Ivoire, débarque dans la ville de Karamoko Alpha, prend les titres fonciers d’un certain nombre de lopins de terre de son frère. Elle aurait fait croire aux héritiers que c’est pour les légaliser. Depuis là, elle refuserait de les rendre.

L’affaire se transporte devant Dame Thémis pour « abus de confiance ». Les enfants soupçonnent leur tante de vouloir grignoter dans leur héritage. Elle aurait notamment tenté de s’attribuer la paternité des parcelles se trouvant à Safatou (commune urbaine de Labé), en se fabriquant des attestations de cession post-mortem. L’une d’elles aurait d’ailleurs été fabriquée près de six mois après la disparition d’Abdourahmane, le présumé cessionnaire.

Selon nos informations, dame Asmaou Diallo était la douce-moitié d’un certain El Hadj Lansana Cissé, ancien ministre de Nana Boigny, décédé depuis 1993. « Elle a de l’argent et des relations. Elle utilise son statut pour avoir ce qu’elle veut », nous confie un membre de la famille Diallo. Ce dernier soupçonne même la dame d’avoir des bras long au département de la Justice qu’elle utiliserait pour se soustraire de la justice. Condamnée à un an de prison, dont deux mois fermes, elle a été emprisonnée, non pas à la prison de Labé, mais dans le bureau feutré du Garde des Shows.

Ce dernier a en effet aussitôt ordonné à l’Inspecteur des services judiciaires et pénitentiaires d’extraire la nounou du gnouf. Les téméraires magistrats de Labé, ayant refusé de s’exécuter, ont été convoqués dare-dare à Cona-cris. Dans l’ascenseur menant au bureau de Charles Wrong, ils se seraient retrouvés nez à nez avec celle qu’ils avaient jugée, condamnée et contre laquelle mandat de dépôt a été décerné à l’audience. Ils ont dû être interloqués de voir la fameuse boussole judiciaire indiquer le sud.   

Le juge de la justice

Magistrat à ses heures perdues, qui a annoncé n’avoir plus l’intention de retourner dans les tribunaux après le gouvernement, le ministre de la Justice a pris goût de juger le travail de ses anciens con()frères. Il sanctionne à tout va les hommes en robe, généralement ceux qui osent le défier. Et les sanctions disciplinaires, qui devraient être prises par le Conseil supérieur de la magistrature, sont aussitôt publiées sur la page Facebook du mystère de la Justice. Ce fut encore le cas ce 16 août. Alphonse Charles Wrong estime que le juge Moussa Cas-marrant et le substitut du pro-crieur Cé Avis Gamy ont mal appliqué la loi, en décernant un mandat de dépôt contre dame Asmaou.

Il s’appuie sur « l’article 537 du Code de procédure pénale qui stipule qu’en matière pénale, lorsqu’il s’agit d’un délit de droit commun, la peine prononcée devra être au moins de six mois pour qu’un mandat de dépôt soit décerné contre un prévenu comparant libre ». Sans compter que la condamnée a relevé immédiatement appel.

Alphonse Charles Wrong reproche également aux robins de n’avoir pas obéi au doigt et à l’œil lorsqu’il leur a enjoint de rappliquer au département pour s’expliquer. Pour ceux qui ne le savent pas, la capitale est à 400 km de Labé, dont la moitié de la route reste un parcours de combattant. Après avoir sévi, il annonce la saisine du Conseil supérieur de la magistrature « aux fins d’actions disciplinaires ». Le médecin, après la mort.

Antécédents entre censeur et censurés

Les robins sanctionnés dénoncent un acharnement. Cé Avis Gamy dit n’avoir « exécuté qu’une décision judiciaire. Je n’ai fait que mon travail. Celui qui veut tuer son chien l’accuse de rage ». Le substitut du pro-crieur du tribunal de première instance de Labé de renchérir : « Le juge m’a suivi dans mes réquisitions en condamnant la prévenue à un an de prison, mais avec aménagement de la peine. Comment peut-on faire croire qu’elle n’a écopé que de deux mois? Qu’est-ce qu’on fait des dix autres mois alors ? Nous ne méritons pas un tel traitement, à moins qu’il y ait un agenda caché ».

A propos du retard de l’arrivée des robins à Cona-cris, le substitut du pro-crieur se défend : « Est-ce qu’il est interdit de chercher à connaître les motifs de la convocation ? C’est ce que nous avons fait. On assimile cela à une insubordination ».

C’est un secret de polichinelle que Charles Wrong et Cé Avis Gamy ne filent pas le parfait amour. Ce dernier, lorsqu’il servait au tribunal de Dixinn (banlieue de Cona-cris), pilotait la procédure judiciaire visant les activistes du FNDC en 2022, opposés à la junte. Après avoir requis leur relaxe, il fut muté à Labé. Depuis, leurs relations ne font que se détériorer. Le robin met désormais son destin entre les mains de l’Association des magistrats de Guinée. A l’allure du débrayage, on peut croire qu’il est en des bonnes mains.  

Yacine Diallo