L’Association des magistrats de Guinée, pour protester contre ce qu’elle appelle ‘’les incursions’’ du ministre de la Justice dans les affaires judiciaires, a déclenché une grève le 17 août. L’AMG n’a pas aimé les sanctions prises contre les magistrats. Le Garde des Sceaux se défend.
Entre Charles Wright et les magistrats, la guerre est totale. Le Garde des Sceaux, accusé de gérer son département de façon ‘’bancale’’, de prendre illégalement des sanctions contre des magistrats qui refuseraient de courber l’échine, de rendre systématiquement publiques toutes les sanctions qui frappent les hommes en robes, n’entend pas se laisser marcher dessus. Chez nos confrères de Fim fm, le 21 août, il a sorti l’artillerie lourde pour balayer du revers de la main toutes les accusations articulées contre lui. Il tire à boulets rouges au président de l’Association des magistrats : « Il n’y a jamais eu de bras de fer entre le ministre de la justice et l’Association des magistrats. Le bureau exécutif de l’association des magistrats est géré par un président émotionnellement instable qui n’arrive pas à fédérer l’intérêt des magistrats pour lesquels nous battons et défendons quotidiennement ».
Charles Wright révèle que Mohamed Diawara lui en veut à cause de son refus de le faire nommer procureur général près la Cour d’appel de Conakry : « Il est venu à mon bureau au lendemain de ma prise de fonction, il dit qu’il veut être procureur général puisque moi j’ai déjà quitté la cour d’appel qui est resté à un moment vacant. Chacun est libre de poser son problème au ministre, mais en faire une cause non avouée pour des intérêts personnels, c’est ce qui me pousse à clarifier la situation. Je lui ai dit que je ferai mes propositions et que le Conseil supérieur va examiner, moi je n’ai pas de problème. J’ai été clair avec lui, je ne peux pas le proposer comme procureur général…Un magistrat ne demande pas de poste à un ministre».
Il accuse Mohamed Diawara de manipulation et menace de sévir contre tout magistrat qui observerait la grève : « On reste dans un petit coin, on prend un communiqué. Tout magistrat qui arrêtera le travail sera considéré comme celui qui a abandonné son poste. Pour le moment les magistrats continuent à vaquer à leurs obligations parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas réclamer la légalité en violant la légalité».
Cette nouvelle fronde qui fait vaciller l’institution judiciaire est partie de la banale affaire domaniale qui oppose des membres d’une même famille à Labé. Dame Asmaou Diallo, inculpée pour « faux et usage de faux et abus de confiance », jugée et condamnée par le TPI de Labé, est libérée à la Cour d’appel de Conakry. Ceux qui l’ont jugé sont suspendus par le ministre de la Justice pour « insuffisance professionnelle ». Les parties civiles dénoncent une connivence entre la prévenue et le département de la Justice. Mais pour Charles Wright, il n’en est rien.
Selon lui, l’article 38 du Statut des magistrats lui donne la latitude de suspendre tout magistrat fautif : « Quand je suis saisi d’une plainte, je peux vérifier et prendre des mesures. C’est ce que j’ai fait parce que la loi me le permet». Il réfute les allégations selon lesquelles il a sanctionné les magistrats parce qu’il prend fait et cause pour Asmaou Diallo : « Mon cabinet et moi n’étions même pas au courant de la procédure à Labé. Ils pouvaient la condamner à 10 ou 20 ans si la loi le leur permettait. La sanction a été prise plus de deux semaines plus tard. Comment peut-on parler d’immixtion ?».
Yaya Kaïraba à la rescousse
Il se murmure que le juge Moussa Camara, convoqué à Conakry pour s’expliquer, s’est retrouvé nez-à-nez avec la prévenue dans l’ascenseur du ministère : « Je n’ai jamais vu cette dame, je ne l’ai pas rencontré. Mais les gens disent qu’elle a été vue dans l’ascenseur du ministre. Mon bureau se trouve au 4e étage, l’Inspection se trouve au 3e. Le ministre n’utilise même pas le même ascenseur que les autres ».
Le traitement qui a été réservé aux deux magistrats a fait couler de l’encre de salive. Les sanctionnés eux-mêmes n’ont pas compris que l’Inspection leur adresse un courrier le 14 août pour leur intimer de se présenter au département le 16. Yaya Kaïraba, Inspecteur général des services judiciaires et pénitentiaires explique que les concernés ont préféré laisser la situation pourrir : « Je n’ai pas appelé le juge Moussa Camara, je lui ai envoyé une lettre d’information. Ils ont demandé les motifs de l’invitation, nous l’avons fait. Ils ont demandé une semaine supplémentaire, moi je n’ai plus réagi ».
Il reconnaît avoir reçu dame Asmaou Diallo, mais nie l’avoir confronté à un juge : « Je ne l’ai jamais convoqué, je ne savais même pas qu’elle était à Conakry. J’ai été surpris de la voir à mon bureau avec son avocat, c’est ce dernier qui me l’a présenté. J’ai demandé ce qu’il y avait, l’avocat m’a dit qu’il était allé me la présenter et m’informer de la décision de la Cour d’appel. Dire qu’elle a rencontré Paul ou Pierre dans l’ascenseur, j’ignore cela, mais l’ascenseur est un lieu public». L’affaire Asmaou Diallo n’a pas fini de livrer tous ses secrets.
Yacine Diallo