En prélude à l’élaboration de la nouvelle constitution, l’Association guinéenne de sciences politiques déploie à travers le pays son Programme de soutien à la limitation des mandats en Guinée. Un projet de sensibilisation des Guinéens sur les conséquences du pouvoir à vie, financé par le NDI (National democratic institute). Le boss de l’AGSP, Kabinet Faux-fana, en parle dans cet entretien avec Le Lynx.

Le Lynx : A quoi consiste le Programme de soutien à la limitation des mandats en Guinée ?

A sensibiliser l’opinion à l’idée de limiter les mandats. Nous estimons que la limitation des mandats est un acquis des Constitutions de 2010 et 2020 à préserver. Il est important que la future Constitution garantisse l’alternance.

Quelle est votre approche ?

Ce sera en trois étapes principales. La première a consisté à diffuser les capsules vidéo d’acteurs sociopolitiques, des diplomates, qui rappellent l’importance de limiter les mandats en s’appuyant sur des exemples de réussite. En second lieu, il s’agit de faire intervenir des intellectuels, chercheurs nationaux ou étrangers dans les différents médias. La troisième étape, c’est l’organisation de forums régionaux et à Conakry, pour conférer avec les acteurs à la base, les populations, l’opinion publique de manière générale. Une façon de les préparer à la campagne référendaire à venir.

Vous été à Kindia et Boké. Quel enseignement tirez-vous de vos différentes rencontres avec les populations à la base ?

Elles sont très imprégnées de l’actualité sociale et politique de notre pays. Contrairement à ce qu’on peut penser, elles ont leur propre opinion différente de celles médiatiques, politiques. Elles ont vraiment leur lecture, comprennent les enjeux de, par exemple, la question de nomination des chefs de quartiers et districts par les gouverneurs. Elles pensent que c’est un véritablement frein à la décentralisation et qu’il est nécessaire d’avoir une transition apaisée. C’est surprenant de voir combien de fois on comprend les enjeux liés à la CEDEAO, aux élections…

Quelle est l’utilité de limiter les mandats en Guinée ?

Nous pensons que notre pays a entamé une nouvelle ère depuis le 5 septembre. Celle-ci a trouvé un acquis consigné dans la constitution de 2010 et celle de 2020 : la limitation des mandats, principalement celui présidentiel. Premièrement, cet héritage doit être renouvelé par la prochaine Constitution. Nous voulons que les conseillers nationaux du CNT limitent aussi les mandats des députés, des maires mais aussi des chefs de quartiers. Nous croyons à l’émulation, à l’égalité des chances. Il faut que tous ceux qui estiment avoir les ressources et les ressorts nécessaires pour diriger, à quelque niveau que ce soit, aient la même chance de réaliser leurs ambitions. Et que ce choix revienne uniquement aux populations. L’histoire politique récente de notre pays démontre que la forme de dévolution du pouvoir est la chose la plus importante. Si les chances sont les mêmes pour tous, les gens ne sont pas amenés à penser qu’ils ne peuvent accéder au pouvoir par les formes légales, cela nous éviterait des recours anticonstitutionnels.

En 2020, le président Alpha Condé a changé la constitution, pour faire sauter le verrou de limitation de mandat à deux. Mais même la Constitution de 2020 a reconduit cette intangibilité. Autant dire que même quand on procède à un changement opportuniste, on préserve généralement cet acquis. Pour justifier le putsch du 5 septembre, un des arguments que l’on a mis en avant, c’est qu’Alpha Condé a voulu mourir au pouvoir comme ses prédécesseurs. Il faut consolider les acquis, les ancrer pour que les formes de dévolution du pouvoir soient seulement celles qui sont admises en démocratie.

Ce message, les populations à la base le comprennent-elles ?

Absolument ! Que ce soit à Conakry, où on a tenu les premiers forums, à Kindia ou aujourd’hui à Boké, c’est extraordinaire de voir combien de fois elles sont déjà préparées à cela. Elles savent ce que c’est parce qu’elles le vivent dans les quartiers, les communes… Le maire élu, s’il devait rester éternellement, c’est un problème. Elles comprennent les enjeux, savent qu’en 2020, l’adoption de la nouvelle Constitution était liée à cette envie de se maintenir au pouvoir. Ce forum est une forme de rappel : la répétition est pédagogique. Quelque fois, sur une vingtaine de personnes, il y a juste une ou deux qui sont contre la limitation de mandats, mais qui finissent par rallier la majorité.

Certains pensent que la démocratie est quelque chose d’importer. A voire aussi ce qui se passe au Niger, on pourrait en déduire que l’alternance n’est pas toujours la solution contre les coups d’Etat.

On est parfaitement d’accord que limiter les mandats ne garantit pas d’emblée l’encrage démocratique. Toutefois, c’est un principe important sans lequel l’alternance est impossible. Il faudrait également disposer d’institutions fortes. Pour que les lois soient appliquées, il faut des hommes de valeur. Ces derniers ne peuvent provenir que d’une saine compétition. Il est important que les dirigeants sachent que leurs actions peuvent être arrêtées à un moment par des institutions fortes. On a l’exemple de Trump, aux Etats-Unis, qui a été stoppé grâce aux institutions américaines. Aujourd’hui, il est devant les tribunaux. Pour garantir la démocratie, il faut beaucoup d’autres leviers, dont la limitation des mandats.

Le décret du président de la transition qui transfère le pouvoir de nomination des chefs de quartiers et de districts aux gouverneurs tombe-t-il ainsi au mauvais moment ?

C’est une mauvaise coïncidence en effet qui, d’ailleurs, a permis d’apporter un élément nouveau aux thématiques que nous abordions. Nommer des chefs de quartiers et de districts, c’est enfreindre à la dévolution démocratique du pouvoir. Il faut que ce soit les populations qui élisent de la base au sommet. Le décret vient renforcer l’importance de la thématique que nous traitons. Nous sommes confortés de voir les personnes que nous rencontrons le rejeter. En attendant, ce n’est qu’une disposition transitoire, puisque les élections devront avoir lieu de la base au sommet. Les Guinéens auront des chefs de quartiers et de districts de leur choix.

Cette campagne que vous menez participe-t-elle au débat d’orientation constitutionnelle ou à préparer l’opinion, comme vous le dites, à s’opposer à toute constitution qui ne limiterait pas le nombre de mandats ?

Techniquement, on peut dire que le débat d’orientation constitutionnelle est terminé. Nous avons voulu que ce débat continue, mais cette fois-ci dans les médias qui sont des leaders d’opinion, mais aussi à la base. C’est bien sûr aussi une manière de préparer les Guinéens à la campagne référendaire à venir, d’interpeler les conseillers nationaux quant à la position des populations sur la limitation des mandats. Au même moment que nous sensibilisons, nous recueillons les avis des gens en amont et en aval. L’acte du forum va reprendre en gros les avis des populations que nous allons transmettre au CNT. On fera le suivi à travers les rencontres que nous allons instituer avec les conseillers nationaux.

Après Kindia et Boké, les prochaines étapes ?

Après Kindia, nous allons marquer une petite pause, avant de mettre le cap sur Mamou, Faranah et Nzérékoré.

Interview réalisée à Boké par

Diawo Labboyah