Le procès du colonel Ibrahima Naby Traoré, ex commissaire spécial de l’Aéroport international Ahmed Sékou Touré, a repris le 12 octobre, au tribunal de première instance de Mafanco. L’audience a été consacrée aux plaidoiries et aux réquisitions.
Juillet 2022, Conakry bouillonne. Le Front national pour la défense de la Constitution, mécontent de la gestion unilatérale de transition par le CNRD, appelle ses partisans à battre le pavé et à réclamer le retour rapide à l’ordre Constitutionnel. Pour contrer la manifestation, la junte décide de mettre le grappin sur les responsables du FDNC. Pour y arriver, une réquisition aux fins d’interdiction de sortie du territoire les concernant est prise par le parquet de Dixinn. Celle-ci est transmise à la police de l’air et des frontières. Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Ibrahima Diallo, respectivement coordinateur national et responsable des Opérations, sont interpellés et écroués à l’hôtel cinq étoiles de Coronthie. De l’eau coule sous le pont, les deux membres du Front sont libérés manu militari dix mois plus tard, jugés et relaxés. Ibrahima Diallo entreprend alors un voyage sur le Niger. Il est stoppé net dans la salle d’embarquement de l’aéroport par les sévices de la DCPAF sur la base de la réquisition prise un an plutôt. On lui fait comprendre qu’il ne sortira pas du territoire, malgré le fait qu’il ne fasse l’objet d’aucune procédure judiciaire. Le voyage avorté, Ibrahima Diallo porte plainte contre le commissaire spécial de l’aéroport à l’époque, le colonel Ibrahima Naby Traoré pour « atteinte à la liberté individuelle et abstention délictueuse».
A la barre, le prévenu rejette les faits, explique avoir exécuté l’ordre de son supérieur hiérarchique, le procureur de la République près le tribunal de première instance de Dixinn. Dans ses réquisitions, le ministère public demande au juge, Mohamed Sangaré, de le relaxer : « Il ressort des pièces versées à la procédure que ce qui est arrivé à Ibrahima Diallo ne peut pas être imputable au colonel. L’acte ne vient pas d’Ibrahima Naby Traoré». Dame Elise Guilavogui invite le plaignant à mieux se pourvoir : « S’il veut poursuivre quelqu’un, il connaît celui qu’il doit viser, ce n’est pas Ibrahima Naby Traoré. Il ne lui a rien fait, ils ne se sont même pas vu». La défense abonde dans le même sens. Me Saa Millimouno accuse la partie civile de s’être livrée à « une campagne diabolique contre le colonel. Mon client n’a jamais exécuté d’ordre illégal. La réquisition interdisant le plaignant de sortir du territoire existe toujours. La preuve, il est toujours interdit de sortir du pays». Il demande non seulement de libérer son client, mais aussi de condamner Ibrahima Diallo pour « Abus de constitution de partie civile. Pour nos intérêts civils, nous vous demandons de le condamner au franc symbolique…le dénigrement que mon client a subi est incroyable».
Pour la partie civile, le prévenu a décidé de son propre chef de bloquer Ibrahima Diallo. Me Salifou Béavogui assure qu’Ibrahima Naby Traoré a utilisé une simple « correspondance pour empêcher un citoyen de sortir du territoire, alors qu’il ne fait l’objet d’aucune restriction. La correspondance du procureur n’était accompagnée d’aucune réquisition écrite…Ibrahima Diallo n’était pas au courant de cette correspondance, il ne l’a vu qu’à la barre». Il estime d’ailleurs que la « réquisition » que brandissent le prévenu et son avocat n’avait plus sa raison d’être « dès lors que mon client a été interpellé et emprisonné. On ne peut pas interdire à quelqu’un qui est en prison de sortir du territoire». Il supplie le juge de ne pas relaxer le prévenu : « C’est une affaire de principe, la liberté n’a pas de prix, seul un juge peut interdire à un citoyen d’aller et de venir. Si le tribunal le laisse partir, elle aura encouragé une pratique rétrograde…son comportement est impardonnable».
Pour les intérêts civils, Me Salifou Béavogui demande au tribunal de condamner le colonel Ibrahima NabyTraoré au paiement de 50 millions de francs guinéens. Histoire de rembourser le billet d’avion, les frais d’hébergement, la restauration que son client aurait déjà financé. Le délibéré est attendu le 26 octobre prochain.
Yacine Diallo