Il y a des signes qui ne trompent pas. Le 21 septembre dernier, comme pour fêter ses deux ans de pouvoir, Mamadi Doumbouya, pourtant formellement interdit de voyage par la Cédéao, monte à la tribune des Nations-unies pour s’insurger contre « le modèle démocratique insidieusement, savamment imposé à l’Afrique ». « La greffe n’a pas pris » a conclu le Lieutenant-Colonel guinéen sur le ton contrit du théâtreux qui a du mal à entendre le souffleur. La greffe, c’est celle de la démocratie et bien sûr, et ce n’est pas la première fois que l’on entend ce genre d’ânerie. On se souvient de la fameuse sortie de Jacques Chirac (« L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ») et de la cinglante réplique de Wole Soyinka : « L’a-t-elle jamais été pour la dictature ? » On est tenté de parodier l’écrivain nigérian et de demander au putschiste de Conakry, s’il a déjà vu un pays où la greffe de la tyrannie militaire a pris ?
A entendre ce lieutenant-colonel, la démocratie est impropre à l’Afrique, inadaptée à ses coutumes et à son environnement. Si l’on a bien compris, c’est un luxe réservé aux Blancs, les Nègres n’étant bons que pour la cravache et les coups de crosse. Tant-pis pour nous qui pensions que la démocratie était un bien universel auquel aspirent tous les peuples du monde surtout les peuples africains qui n’ont généralement connu que les coups de botte du bidasse et le bâillon du parti unique !
Cela nous irrite, d’entendre un chef africain –ce légendaire boulimique du pouvoir !- défendre son bifteck de manière aussi simpliste, mais cela ne nous étonne pas. Ce qui nous étonne, c’est la sympathie quasi-générale avec laquelle ses propos ont été accueillis.
Madame Louise Mushikiwabo, la Secrétaire générale de l’OIF ou plutôt la sainte patronne de la démocratie et des droits de l’Homme s’est empressée de lui serrer la pince et de couvrir de louanges : « Le président me donne l’impression d’un homme sincère… La Guinée est l’un des pays qui avancent le mieux… Les engagements du chef de l’Etat et du pays par rapport à l’OIF sont respectés ».
Après Madame Mushikiwabo, c’est la revue Jeune Afrique qui frappe les cymbales pour donner la mesure à ce véritable éloge funèbre de la démocratie africaine : « A l’Onu, Mamadi Doumbouya fait le show », titre-t-elle, admirative, avant de prêter au speech du président guinéen des élans sankaristes (excusez du peu !).
Et voilà que, cerise sur le gâteau, le 29 septembre, Dansa Kourouma, le président guinéen du Conseil national de la Transition est reçu au Sénat de la République Française où une certaine Ligue Universelle du Bien Public lui a décerné une médaille d’or et un diplôme sans doute pour le féliciter de son inguérissable inertie, surtout pour l’encourager à demeurer dans sa fonction sinon ad-vitam aeternam, du moins pour une ou deux petites décennies encore.
En principe, la conduite d’une transition brève et inclusive et le respect du calendrier électoral font partie de ces engagements. Or, tout porte à croire que la présidentielle de 2024 n’aura pas lieu. Cet « homme sincère, respectueux de ses engagements » n’a affûté aucun des outils destinés à la clôture de sa transition. A ce jour, la Guinée ne dispose ni d’un projet de Constitution ni d’un organe de gestion des élections, ni d’un fichier électoral ni d’un opérateur technique. Assurément, l’heure n’est pas au retour à l’ordre constitutionnel, elle est à la corruption et à la répression ; elle est à l’inauguration des chantiers-bidon avec le double objectif de divertir les Guinéens et de placer insidieusement un investissement politique à long terme.
Rien que pour ça, on sait que la Transition dont on nous rabâche les oreilles, de Conakry à Niamey, n’a rien à craindre : elle aura une longue vie devant elle.
Tierno Monénembo
Source : Le Point.