Le procès du massacre du 28 septembre 2009 s’est poursuivi au tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la Cour d’Appel de Conakry ce mercredi, 18 octobre. Les victimes, Mohamed Ali Fofana, Thierno Hamidou Diallo, Mamadou Ciré Diallo et Thierno Souleymane Diallo se sont succédé à la barre pour expliquer les violences qu’ils ont subies au stade de Dixinn. Eux aussi pointent du doigt les gendarmes, les policiers, les militaires et d’autres personnes en civil (recrues de Kaléya) armés de poignards qui les ont fait subir des sévices et d’autres actes de barbaries au stade.
Mohamed Ali Fofana, élève en 10ème année à l’époque des faits, habitait le quartier Kissosso. Comme bien d’autres personnes, il avait suivi le mouvement de la foule pour se rendre au stade du 28 septembre à Dixinn. Il a emprunté l’axe Hamdallaye. Arrivé au niveau du quartier Bellevue, lui et d’autres manifestants ont trouvé un cordon de la gendarmerie. Mais ils ont réussi à passer, pour aller au stade. A l’intérieur, il a eu envie d’aller aux toilettes, il y est allé. Entre temps, les tirs ont commencé, il est sorti dans l’intention de rejoindre ses amis. Mais la panique était telle que chacun cherchait à se sauver. Dans cette débandade, Mohamed Ali Fofana dit avoir reçu une balle à la main droite, il a même perdu l’usage deux de ses doigts. Malgré tout, il a pu escalader le mur du stade, pour se retrouver vers le pont du marché Madina. C’est là qu’il a rencontré les agents de la Croix-Rouge qui l’ont transporté dans un premier temps à l’hôpital Donka, mais là l’atmosphère ne le rassurerait pas. Il y avait des corps et des blessés. Il a demandé aux agents de la Croix-Rouge de l’envoyer à Ignace Deen. Mohamed Ali Fofana affirme avoir fait 3 mois de soins dans cet établissement hospitalier. Durant son séjour, selon lui, le ministre de la Santé d’alors, Colonel Abdoulaye Chérif Diaby, s’était rendu à l’hôpital. « Une infirmière est venue me réveiller pour me dire que le ministre de la Santé vient avec la Directrice de l’hôpital, pour rendre visite aux blessés. Le ministre est venu me menacer avec son doigt, pour demander : ‘’Qui vous a dit d’aller au stade ?’’ ». Mohamed Ali dit qu’il a vu des militaires prendre des corps qui étaient à la morgue de l’hôpital Ignace Deen pour les envoyer à une destination inconnue.
« J’ai informé la famille que Thierno Amadou est mort »
Thierno Hamidou Diallo, marchand, a expliqué qu’il était allé au stade avec son petit frère Thierno Amadou. Quand les tirs ont commencé, c’était la panique, chacun se cherchait. « Dans la bousculade, j’ai trouvé un monsieur coincé, j’ai voulu l’aider mais j’étais moi-même fatigué. Après, je suis sorti au niveau de l’esplanade, quelqu’un m’a dit que mon petit frère Thierno Amadou est tombé, il est mort. Comme je connaissais son habillement, j’ai trouvé effectivement que c’était lui, il était couché superposé avec d’autres corps. J’ai pris soins de prendre la clé et d’autres effets qui étaient sur lui. Des gendarmes sont arrivés avec deux camions, ils ont embarqué les corps. Je suis rentré à la maison pour informer la famille que Thierno Amadou est mort au stade ». Thierno Hamidou affirme que jusqu’à présent, la famille n’a pas retrouvé le corps de son petit frère.
« Instinctivement, je me suis mis à prier deux rakats »
Mamadou Ciré Diallo, juriste, a indiqué qu’il a quitté Madina pour se rendre au stade. Après, il s’est rendu au domicile de feu Jean-Marie Doré où se trouvaient les leaders. Avec la pression des jeunes, les leaders politiques sont sortis pour se rendre au stade, ils se sont heurtés au cordon sécuritaire des gendarmes. Le colonel Moussa Tiegboro Camara (dans le box des accusés) a essayé de dissuader les leaders, mais les jeunes criaient sur lui. Il (Tiegboro) a dit : ‘’Je parle aux grands leaders, celui qui parle je lui rentre dedans’’. Après la foule a fait sauter le cordon, les gens sont entrés à l’intérieur du stade. J’étais dans la tribune, mais je ne me sentais pas à l’aise, je me suis dit d’aller rejoindre les jeunes dans la zone appelée Sahara, au milieu de la pelouse. Instinctivement, je me suis mis à prier deux rakats. Après, j’avais soif, je voulais sortir pour chercher de l’eau. Au moment où je sortais, j’ai entendu des tirs, les gens disaient « woulé ». Mais au fur et à mesure, le crépitement de fusils continuait. J’ai compris que ce n’était pas de l’amusement. J’ai couru pour aller me réfugier quelque part. De là, j’ai vu des militaires qui entraient au stade avec des fusils, avec des torchons rouges au bout, ils tiraient sur les gens qui tombaient. Pendant ce temps, il y avait des gens en civil qui poignardaient les manifestants. La violence que je voyais, j’ai dit que c’était fini pour moi. Quelques temps après, j’ai décidé de sortir de ma cachette, au moment où un assaillant a voulu poignarder quelqu’un, je suis sorti le prendre pour m’échapper. Je suis allé vers l’espace Marocana, pour escalader le mur, je n’ai pas pu. Je pense que c’est là que j’ai reçu une balle à l’épaule. Mon corps est devenu lourd, j’avais soif, je ne pouvais plus prononcer un mot. C’est pourquoi, je ne pouvais pas grimper le mur. Un jeune m’a poussé, je suis tombé de l’autre côté. Des militaires nous ont interceptés, ils nous ont dit de les suivre, nous les avons suivi. Là, j’ai vu des femmes nues, elles pleuraient. Les militaires ont arraché notre argent et nos téléphones, ils nous ont donnés des coups de pieds à chacun et nous ont laissés partir. C’est de là que je suis sorti, pour rentrer dans le quartier. De là, on m’a transporté à l’hôpital Donka où j’ai subi une intervention chirurgicale sans anesthésie. Dans la soirée, quelqu’un m’a aidé à appeler mes parents. Quand ils sont venus, je leur ai dit que je ne pouvais pas rester là-bas à cause de l’atmosphère qui y régnait… »
« Au moment où je fuyais, j’ai reçu une balle sur les fesses »
Thierno Souleymane Diallo a dit que ce jour, difficilement il s’est rendu au stade avec des amis. D’abord, il ne voulait pas entrer à l’intérieur du stade, mais ses amis l’ont forcé. « Après les tirs ont commencé, nous avons cherché à fuir. C’est pendant cette fuite que j’ai reçu une balle au niveau du bras. J’ai continué à courir, mais je ne sentais plus mes pieds. Je suis tombé à côté d’autres personnes qui étaient déjà mortes. Des militaires sont venus nous chercher, on a rencontré d’autres militaires qui leur ont dit de les laisser nous tuer. On nous a embarqués dans un pick-up, j’avais un téléphone Sony, le militaire voulait me le retirer, j’ai refusé. Un autre militaire a sorti sa machette, il m’a asséné un coup, ma dent s’est arrachée. Nous sommes restés dans le pick-up, j’ai risqué pour sauter, m’en fuir. Au moment où je fuyais, le militaire qui se trouvait à côté du pick-up m’a tiré dessus sur les fesses. J’ai réussi à m’échapper pour aller vers Dixinn-Oasis. Sur mon chemin, la Croix-Rouge m’a pris pour me transporter à l’hôpital Donka. »
Ibn Adama