Le 24 octobre, le gouvernement guinéen a annoncé un recrutement à la fonction publique. Mais satisfaire aux critères de participation au concours, dont disposer d’un extrait de naissance, une carte d’identité ou un passeport biométrique est un vrai casse-tête. Reportage devant les banques (où on paie les frais) et les mairies chargées de délivrer les précieux documents.
La route qui mène à la fonction publique est pavée d’obstacles à franchir. Instaurés en 2020, l’extrait de naissance et la carte d’identité biométriques se font désirer, surtout ces derniers temps. Avoir l’un d’eux ou le passeport biométrique est en effet indispensable pour espérer un matricule à la fonction publique, à l’issue du concours projeté par les autorités de transition.
Officiellement, l’extrait et la carte coûtent 160 000 francs guinéens, à verser obligatoirement à la banque. Cependant, les obtenir nécessite une véritable prouesse. L’affluence des demandeurs, l’obtention des reçus bancaires, le manque d’équipements dans les mairies, la lenteur de la procédure sont entre autres les principaux obstacles auxquels sont confrontés les demandeurs. Ces derniers doivent postuler à compter du 1er novembre, jusqu’à la fin du mois. Après, suivra le concours.
Contrairement au passeport biométrique, l’extrait de naissance et la carte d’identité biométrique se délivrent dans toutes les communes urbaines du pays. Cela n’atténue pour autant pas les affluences dans les centres, depuis l’annonce du recrutement à la fonction publique. Lundi 30 octobre, la mairie de Ratoma est envahie dès 6h matin. Des tentes sont installées dans la cour pour accueillir les demandeurs. Ces derniers font la queue pour soumettre leurs demandes.
Des journées d’attente
Arrivé à 7h, Mohamed Cheik Barry s’est enrôlé aux environs de 11 heures. Il ne tarit pas de griefs. « Après une journée à la banque pour avoir le reçu, j’ai passé le vendredi 27 octobre à la commune. Je suis rentré sans m’enregistrer. Le processus est trop lent, il y a trop de monde. J’ai pu m’enrôler, récupérer le récépissé. Ils disent qu’ils vont m’appeler ». Il n’a d’autre choix que de patienter, dans l’angoisse de l’incertitude et le temps lui est compté. « Si je n’ai pas mes papiers à temps, ça sera une double perte pour moi », grommèle le candidat, impuissant.
Il admet pourtant sa responsabilité, sa négligence : « Les gens attendent les urgences pour chercher des papiers. C’est ce qui est à la base de tous ces problèmes. Si j’avais fait mon extrait de naissance et ma carte d’identité depuis le lancement de la biométrie, je ne serais pas là à perdre du temps. J’ai vraiment été négligeant sur ce coup. »
Casse-tête bancaire
Pour encaisser les frais de délivrance de l’extrait de naissance et de la carte d’identité biométriques, le gouvernement a signé un partenariat avec First-Bank, ancien FBN-Bank. Une institution bancaire sous-implantée à Conakry et à l’intérieur du pays, se plaignent les clients. Selon les témoignages recueillis, certaines de ses agences ne délivreraient qu’entre 60 et 150 reçus par jour.
À l’agence de Ratoma, ils sont nombreux à faire la queue, certains assis à même le sol. Simon Zaro Goumou patiente depuis 6h. « On m’a dit que pour faire partie du quota du jour, il faut s’inscrire à 4h du matin. Ce qui est pratiquement impossible pour moi qui habite à Kagbélen (Dubréka). La banque n’a pas assez d’agences. Le peu qu’il y a est bondé. J’ai préféré venir à Ratoma, espérant récupérer le reçu et faire ma demande à la mairie d’à côté ». Il invite le gouvernement « à prendre des dispositions, en négociant avec les opérateurs de téléphonie mobile pour que le payement puisse se faire par Orange-money ou Mobil-money, de manière simple. Ce qui devrait accélérer les choses pour les candidats, vu le délai court imparti par le gouvernement ».
Fassou Moriba Onomo erre d’une banque à l’autre depuis vendredi. Ce n’est que lundi 30 octobre qu’il a obtenu son reçu. Il narre son calvaire: « Quand je suis arrivé à l’agence de Ratoma, vendredi, les agents m’ont dit que le quota de 60 personnes est déjà atteint. J’ai continué à l’agence de Madina, où j’ai passé le reste de la journée, sans succès. J’ai dû déposer l’argent dans un kiosque de la banque, pour récupérer le reçu ce lundi après 2h d’attente ». C’est en effet une alternative au dépôt direct de l’argent à la banque, mais qui nécessite des frais supplémentaires. Fassou dit avoir déboursé 10 000 francs guinéens de plus.
Du côté de la banque, pas d’interlocuteur prêt à répondre à nos questions. Aussi bien à Ratoma, Matoto ou Madina, les responsables des agences de First-Bank ont opté pour le silence. Ils exigent l’autorisation préalable de la direction générale de l’institution.
Manque d’espace et d’équipements
À la Commune de Ratoma, Aliou Souaré, chef service adjoint de l’état-civil pointe le manque d’espace d’accueil dû à la rénovation en cours de la salle de réception. Mais également l’insuffisance de matériels didactiques : six machines pour la saisie, une pour la validation et une pour l’impression. « On reçoit un grand nombre de demandeurs, par ordre d’arrivée. On a mis en place une commission pour vérifier l’authenticité des documents fournis. Avant, chaque machine traitait 30 à 40 dossiers par jour. Désormais, on travaille de 8h à 22h. Nous sommes prêts à venir même les week-ends ».
Aliou Souaré ne veut pas être tenu pour responsable de l’échec d’un candidat au concours d’accès à la fonction publique. Il se dit compréhensif de la frustration des demandeurs, promet de ne favoriser que les vieillards et les malades. Dans la seule journée du 30 octobre, le chef service adjoint de l’état-civil de la commune de Ratoma a enregistré plus de 300 dossiers. « Je ne peux pas dire exactement combien de temps cela peut prendre » pour délivrer les extraits de naissance, avoue-t-il, prudent. Il promet de mettre les bouchées doubles pour y arriver dans un délai « raisonnable ». Un travail de fourmi qui exige de l’attention afin d’éviter l’irréparable. Surtout que la mairie peut confectionner les documents, mais n’a pas le droit de corriger les éventuelles erreurs. Souaré espère que le gouvernement leur fournisse au moins trois ordinateurs pour augmenter la cadence de production. Le personnel nécessaire à leur utilisation serait disponible. Les postulants sont priés de faire preuve de discipline et de patience.
Abdoulaye Bah