Ses prises de paroles étaient devenues rares, très rares. Abdourahmane Sano décide de sortir du bois. Le 4 janvier, l’ancien coordinateur du Front national pour la défense de la Constitution, FNDC, devant des journaleux, a porté son regard sur la gouvernance CNRD. Du manque de dialogue avec les acteurs politiques et sociaux aux restrictions des médias et des réseaux sociaux, en passant par la corruption, les velléités du colonel Mamadi Doumbouya de rester au trône ou encore les harcèlements judiciaires, Abdourahmane Sano a fait un réquisitoire plus que cinglant. Dans sa déclaration intitulée Lettre au Président, il invite les autorités de la transition à rectifier rapidement le tir, avant que la Guinée ne fonce tout droit vers l’abîme. Bonne lecture !
Monsieur le Président,
Permettez-moi tout d’abord de présenter mes condoléances et ma compassion au Peuple de Guinée, aux familles et aux proches des personnes décédées et disparues, dans la tragique catastrophe que notre pays a vécue, dans la nuit du 17 au 18 décembre. Tout mon soutien aux sinistrés et aux victimes des dégâts. Je saisis cette occasion pour adresser mes meilleurs vœux de nouvel An 2024 à toutes et à tous.
Monsieur le Président,
Le 05 septembre 2021, nombreux étaient les Guinéens qui ont accueilli avec bonheur et espoir votre avènement au pouvoir. Ils y voyaient, la fin d’un système politique avilissant et l’opportunité de rupture pour renforcer les fondements de notre nation et offrir à notre Peuple de meilleures perspectives et conditions de vie. Le changement intervenu et l’adhésion populaire manifestée étaient le fruit du farouche combat mené par le Peuple, contre le 3eme mandat et pour l’ancrage de la démocratie, sous la houlette du FNDC. Les Guinéens ont aussi salué l’accélération des projets d’infrastructures routières initiés par le régime précédent. Ils ont loué votre intention de moraliser la gestion des affaires publiques et de lutter contre la corruption et l’enrichissement illicite. D’autres initiatives annoncées ou en cours, comme le procès des événements du 28 septembre 2009, ont donné espoir, quant à un changement de fond dans la gouvernance globale du pays.
À un an de la fin de la durée que vous vous êtes librement accordée pour conduire la Transition et mettre en œuvre le programme que vous avez établi unilatéralement, et au regard des développements qu’on observe, il y a lieu de vous exprimer mes profondes inquiétudes, quant au respect des engagements du CNRD et à une issue apaisée de la Transition actuelle.
Monsieur le Président,
Une bonne Transition se veut un moment de communion et une opportunité de réflexions et d’engagement de tous les acteurs du pays, autour des causes qui l’ont provoquée. Un moment pour s’accorder, en toutes responsabilités et sérénité, sur les solutions viables et sur les mécanismes efficaces et transparents de mise en œuvre, dans l’intérêt exclusif de la nation. Or, le constat d’aujourd’hui révèle l’absence d’un cadre de dialogue paisible et inclusif, permettant de créer les bases d’un consensus national sur la gouvernance le chronogramme et la durée de la Transition. Une telle démarche aurait permis de garantir à la Transition actuelle une légitimité forte et une plus grande chance de succès, se traduisant par des élections transparentes, libres et apaisées, dont les résultats ne feraient l’objet d’aucune contestation crédible.
Malheureusement, et comme on pouvait le redouter, l’égocentrisme, les calculs politiciens, les vieilles rancœurs, les ambitions démesurées, l’opportunisme et la passion, stimulés par la corruption et la quête effrénée de statut de l’élite, ont pris le dessus sur la raison, sur le sens de responsabilité et sur l’intérêt de la nation. Cet état de fait a conduit à des positions inconciliables qui compromettent aujourd’hui la recherche de solutions endogènes appropriées, devant permettre de redresser nos errements démocratiques. Dans ce pathétique affrontement, le CNRD n’a pas su s’élever en arbitre impartial, en privilégiant les retombées bénéfiques et durables pour le Peuple, d’une Transition répondant aux espérances de nos populations, en cette phase cruciale de notre histoire.
Monsieur le Président,
Plus d’un an après la mise en place contestée d’un cadre de dialogue, nous n’avons pas encore réussi à lui conférer le caractère inclusif et la crédibilité qui sied.
Des difficultés persistantes sont constatées dans la coordination de l’action gouvernementale, notamment en raison de l’imprécision et du manque de transparence des relations entre le Gouvernement et le CNRD, qui demeure un organe largement informel dans sa constitution et dans son fonctionnement, plus de deux ans après son avènement au pouvoir. Le mode de sélection des hauts cadres du pays, a placé l’État sous la coupe de l’inexpérience, altérant ainsi les performances de l’administration et la qualité de l’offre de services publics.
Les constantes violations de la charte de la Transition et des lois par le CNRD, obèrent l’efficience et la cohérence du fonctionnement de l’Etat et nous éloignent des exigences d’un État de droit. Ces violations sont illustrées par les restrictions de la liberté de presse et des droits civiques, l’interdiction de manifester, les limitations de l’accès à l’internet, le brouillage des ondes des media privés, l’instrumentalisation et la personnalisation de la justice, la persécution des magistrats qui défendent l’éthique dans leur profession.
En plus, les répressions judiciaires contre les acteurs politiques et sociaux, les violations des droits de l’homme, les atteintes à la dignité humaine, les traitements inhumains et dégradants sur des personnes sans défense, les violences et les tueries lors des manifestations, sont autant d’actes qui se poursuivent comme par le passé. Or, les régimes qui ont précédé le vôtre avaient déjà fait trop de morts, pour qu’on continue encore de compter des martyrs pour l’effectivité de l’État de droit et de la démocratie dans notre Pays. Cette atmosphère ne laisse aucun doute sur le recul démocratique enregistré en si peu de temps.
La démagogie, le populisme, le culte de la personnalité et la propagande règnent, sans partage et comme par le passé, sur tous les canaux publics de communication.
Le regain de corruption et d’enrichissement illicite et l’accaparement de l’Etat par un petit groupe d’individus au détriment des intérêts de la nation, ainsi que l’absence d’exemplarité dans la gouvernance économique et financière, font que nos compatriotes ne croient plus à la sincérité des engagements, à établir un État libre de corruption. La CRIEF, dont l’institution était perçue comme salutaire, est devenue un instrument de règlement des comptes avec des personnalités bien ciblées, sans enquêtes préalables rigoureuses.
Monsieur le Président,
La recrudescence de l’insécurité, la dégradation continue du pouvoir d’achat des populations, ainsi que le chômage des jeunes qui quittent massivement leur patrie, sont autant de signes du désespoir dans lequel la Guinée est installée. Les conditions de vie sont devenues épouvantables pour nos populations, face aux multiples charges pressantes qui les assaillent nourriture, logement, eau, électricité, soins de santé, vêtements, scolarité des enfants, transports, entre autres défis. Même les produits locaux de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche affichent des prix qui sont hors de portée pour un nombre croissant de nos compatriotes.
À cette situation qui met à mal la paix et la cohésion sociale, s’ajoute un climat des affaires marqué par les difficultés d’écoulement des stocks des commerçants, les problèmes de trésorerie au sein du secteur privé, la hausse des coûts des facteurs et des impôts et taxes, devenue insoutenable pour les opérateurs économiques. La révocation extrajudiciaire de contrats et d’actes de l’État au préjudice de sociétés privées et de citoyens, crée l’instabilité juridique et accroit le risque-pays aux yeux des vrais investisseurs notamment miniers.
Les effets conjugués de ces failles sur les plans politique, social, économique et sécuritaire, plongent le pays dans une dangereuse impasse qui constitue une menace évidente pour sa stabilité, d’autant que les Incidences croisées de la situation sécuritaire sous-régionale, des tensions géopolitiques mondiales et de la conjoncture économique internationale, pourraient constituer des facteurs catalyseurs.
Certes, tous ces problèmes, aggravés au cours des deux dernières années, ne trouvent pas leur origine sous le règne du CNRD. Et ces problèmes complexes ne peuvent être résolus que par des réformes en profondeur, qui exigent plus de temps et de légitimité, que ne peut offrir une Transition, dont la durée doit être naturellement concise. En revanche, une sortie efficace et apaisée de cette impasse est de votre entière responsabilité.
Monsieur le Président,
Le pays va mal! Il va très mal aujourd’hui ! Force est de reconnaître que la description de la situation du pays faite dans votre déclaration de prise de pouvoir, correspond tout aussi bien à celle d’aujourd’hui ! E la répression n’est pas la solution. De nos jours, si on peut encore prendre le pouvoir par les armes, on ne peut le conserver durablement par les armes. Les perspectives ne sont pas rassurantes quant à une issue pacifique et démocratique de la Transition, avec des bases institutionnelles et réglementaires enfin convenables et des élections ouvertes, transparentes, crédibles et globalement incontestables.
Monsieur le Président,
C’est à ce niveau que votre véritable rendez-vous avec l’histoire va se jouer, pour le meilleur (ce que je souhaite) ou pour le pire. Je continue donc d’espérer que l’issue de cette Transition sera heureuse pour le pays, même si au fond de moi-même, j’ai de fortes raisons d’en douter.
Monsieur le Président,
Au regard de la grave situation qui prévaut actuellement dans notre cher pays, des mesures urgentes s’imposent pour sortir de l’impasse, si cela n’est pas déjà trop tard. Elles viseront essentiellement le redressement et la réorientation de la transition vers l’unique direction envisageable Celle de créer les conditions d’un authentique dialogue inclusif afin de décrisper l’atmosphère sociopolitique, rassurer les milieux d’affaires et les populations, de circonscrire les risques encourus et de favoriser l’édification d’institutions indomptables pour les futurs dirigeants. Dans cette optique, les récents événements du 4 novembre et du 17 au 18 décembre, aussi tragiques qu’ils soient, vous offrent une opportunité politique en Or, pour déclencher un processus d’apaisement et de rectification, sans que vous perdiez la face. Ce serait un acte de grande sagesse, d’autant plus souhaitable, qu’il permettra d’éviter à la Guinée tout débordement éventuel de la situation et redonnera l’espoir à tous ceux qui ont cru aux promesses du CNRD. La sagesse n’est pas une faiblesse, c’est une des marques des leaders d’exception. Elle est une puissance qui permet la maîtrise de soi et insuffle la lucidité, l’intelligence, la clairvoyance et l’énergie positive à un dirigeant qui s’en prévaut, notamment dans les moments difficiles.
Malgré ces longues et douloureuses épreuves et la persistance des obstacles, je demeure convaincu que la Guinée se remettra un jour debout. Je suis convaincu qu’elle fera renaître l’espérance de Travail, de Justice, et de Solidarité pour ses filles et ses fils, dans un cadre de vie digne, libre, harmonieux et prospère Je suis convaincu que cet espoir est déjà près de nous, car ses jeunes, femmes et hommes d’honneur ne courberont jamais l’échine, et sauront s’unir, face au statu quo. Je continue enfin d’espérer que le Peuple de Guinée finira par être le Maître absolu de son pouvoir et de son destin, à travers des institutions véritablement démocratiques, dans un État de droit. Et je prie de tout cœur, pour que vous soyez l’artisan de cet accomplissement sublime pour notre Peuple, dans le cadre de cette Transition.
Que Dieu vous éclaire et bénisse la Guinée !
Conakry, jeudi 04 janvier 2023
Abdourahamane Sano
Citoyen Pour la République (CPR)